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Le Jésus Mystique: le Pendu et le Danseur

L’Hérésie Gnostique dans le Psautier de Paris Eadwine

John Lamb Lash

Télécharger le document, avec les illustrations, en PDF.

Traduction de Dominique Guillet.

Cet essai est dédié à Joanna Harcourt-Smith, avec gratitude et amitié.

Parmi ses nombreuses surprises et splendeurs, le Psautier de Paris Eadwine contient une image du sauveur crucifié à l'envers, la tête en bas:

Cette image saisissante apparaît sur la page 56v (voir détail ci-dessus) et illustre une allusion supposée au Psaume 33 qui comprend 22 versets de louange typique au “Seigneur” mais sans aucune référence patente à un messie ou à la crucifixion. Bien que de nombreuses pages, parmi les cent premières du psautier, évoquent des extraits des Psaumes, je ne trouve que peu ou pas de relation entre ces versets Bibliques et les illustrations, surtout lorsque ces dernières sont hautement embellies d'imagerie enthéobotanique.

La crucifixion inversée n'est pas une illustration enthéobotanique et on ne trouve pas une seule trace de champignons, littéralement ou symboliquement, dans le folio 56v. Si les concepteurs du Psautier d'Eadwine avaient voulu faire allusion à un culte de champignons, tel que celui évoqué par Allegro, avec le sauveur en tant que personnification du champignon, il semblerait qu'ils l'eussent fait à cet endroit. En fait, le Psautier d'Eadwine, dans son intégralité, n'offre rien qui puisse suggérer une identification claire et directe entre le sauveur et le champignon. Dans de nombreuses pages, Jésus-Christ apparaît parmi les champignons et l'on pourrait aisément en déduire qu'il les offre en sacrement dans certains épisodes des tableaux en douze sections mais il serait exagéré d'en conclure que le sauveur lui-même personnifiait le sacrement, à savoir que Jésus était un champignon.

L'Avatar Champignon

Il est aisé d'objecter, dans ce cas, que l'injonction messianique “prenez-et mangez, car ceci est mon corps et ceci est mon sang”, attribuée à Jésus lors du Dernier Souper, identifie clairement le corps du sauveur avec le sacrement: si donc le sacrement est un champignon, le sauveur doit l'être également. Ou du moins, c'est ce qu'il semble. Cette interprétation peut aisément être consolidée par le fait que les Aztèques appelaient les champignons psychoactifs “Teonanacatl”, “la chair des dieux”. Comme je l'ai souligné dans l'Aube de la Révolution Enthéogénique (le chapitre 1 de mon livre non publié sur la thèse de Wasson), Sahagun (1499-1590) était un missionnaire, de l’ordre des Franciscains, capable de parler et d’écrire trois langues: l’Espagnol, le Latin et le Nahuatl. Etant très observateur et très subtil, il ne pouvait pas manquer de remarquer les similarités alarmantes entre sa foi et la religion Aztèque. Le conquistador Cortez était lui-même tout aussi troublé, et plus particulièrement par deux phénomènes de la religion Aztèque parallèles à sa propre religion: l’image d’une divinité Aztèque portant une croix et l’ingestion d’une substance intoxicante appelée Teonanacatl, “la chair des dieux”.

Il faut cependant veiller à bien saisir que l'essence des dieux, selon les Aztèques, ne correspond en rien au concept Judéo-Chrétien d'un dieu sauveur. Le sacrement du champignon, pour les peuples indigènes, est un moyen de communication avec les esprits de la nature - à savoir, les attributs animistes de Gaïa, l'entéléchie planétaire - et non pas une permission spéciale de contacter une divinité paternelle affublée des prétentions de Yahvé et de Jésus. L'identification “Jésus-champignon-divinité” est une impasse tant que l'on continue de conférer à Jésus les attributs de messie sauveur, de victime divine, etc. C'est une version fonctionnelle que celle d'un Jésus-Christ en tant que personnage cosmique qui révèle à l'humanité le pouvoir illuminant des champignons, en offrant un outil sacramental pour atteindre une conscience supérieure et l'hyperception, mais pour autant seulement que les éléments distinctifs du complexe du rédempteur Palestinien soient exclus de ce parallèle.

En bref, le Psautier d'Eadwine suggère que le Jésus-Christ Biblique puisse camoufler un avatar champignon mais seulement s'il est considéré comme un personnage mystique et mythique et non pas comme un messie historique avec une mission sacrificielle. Se pourrait-il que cela ait été la finalité de l'insertion de la crucifixion inversée dans le psautier? Serait-ce pour renverser toute l'histoire du Fils de Dieu et pour réfuter, ou au moins pour défier, la doctrine du sacrifice messianique? L'histoire de l'utilisation d'imagerie religieuse inversée, par de supposés cultes satanistes et hérétiques, confirme ma vision selon laquelle l'inversion est une façon de défier une doctrine reçue et de présenter une position opposée. Le pentagramme inversé est l'exemple le plus parlant de cette stratégie. La pointe en haut, il signifiait (entre autres choses) le Saint Ange Gardien, un gardien astral qui s'intègre aisément aux hiérarchies célestes Chrétiennes. La pointe en bas, avec les deux pointes supérieures représentant les cornes d'une chèvre, il représente les pouvoirs chtoniques de ce monde, plus particulièrement Pan, le dieu-chèvre archaïque que les idéologues Chrétiens pervertirent en une personnification du Diable.

L'inversion des symboles et des signes accompagne toujours un comportement hérétique ou inversé: par exemple, les cultes Adamites de la fin de l'époque antique, que l'on peut considérer comme des courants Gnostiques, rejetèrent la notion de péché originel et la remplacèrent par son opposé, l'innocence originelle (une notion adoptée par le guru Rajneesh qui eut une profonde influence sur la jeunesse des Etats-Unis dans les années 70). Un second exemple nous est offert par le mouvement Néo-Adamite, qui émergea au treizième siècle en Hollande, en Bohème et en d'autres contrés d'Europe, dont les membres considéraient la nudité d'Adam et d'Eve comme une marque d'élection divine plutôt que de honte et qui, par conséquent, pratiquaient une nudité de groupe (décrite de façon très vivante dans le roman historique de Marguerite Yourcenar “L’oeuvre au noir”). Il n'était pas permis, à de tels groupes, de coexister avec les autres Chrétiens. Ils furent combattus et anéantis lors d'une série de guerres religieuses dont les cicatrices ne sont pas encore guéries dans l'inconscient collectif Européen. La culpabilité par rapport à l'oppression religieuse et à la suppression brutale des minorités explique, en partie, la passivité qu'éprouvent de nombreux Européens face à l'Islamification de l'Europe.

En rédigeant un essai, sur ce site, quant au difficile sujet du Mesotes, j'ai cité un passage fragmentaire extrêmement rare en Grec qui révèle la vision Gnostique panthéiste de la Divinité dans la nature:

“Les oiseaux des cieux, et les animaux qui sont dans la terre et au-dessus de la terre et les poissons dans la mer, ce sont eux qui vous conduisent vers le Divin”. Papyrus d’Oxyrhynchus.

Si nous pouvions imaginer l'archétype cosmique Christos comme une projection avatarique des Eons Pléromiques dans l'habitat terrestre (ainsi que nous l'avons décrit dans le huitième épisode du mythe de Sophia), il serait peut-être possible, FINALEMENT, d'expurger de nos esprits la corrélation spécieuse qui fait de Jésus/Christ le modèle idéal de l'humanité, l'Anthropos. Cela ouvrirait les portes de la perception du personnage du Christos-Mesotes comme le Manitou (l'Esprit de la Nature Sauvage), une sorte de médiateur interspécifique et de guide dans la quête de vision planétaire. Cette correction étant réalisée, et le Christos relocalisé dans l'imagination mythique, nous pourrions chercher ailleurs que dans Jésus-Christ un parangon ou modèle idéal de l'humanité générique (Anthropos, l'identité de l'espèce). L'identification de l'Anthropos est, ainsi que je l'ai souligné sur ce site et dans mon ouvrage Pas en Son Image, le problème non résolu le plus crucial auquel nous devions faire face en raison de la destruction des Mystères.

Les Shamans aux Arbres Pendus

Le Pendu est la douzième lame majeure du Tarot. Une recherche avec Google Images va donner de nombreuses illustrations de cet archétype dont une émanant du jeu conçu par Aleister Crowley et peinte par Frieda Harris (ci-contre).

Des ouvrages entiers ont été rédigés sur la signification de cette illustration. Dans les lectures du Tarot, le Pendu peut être sujet à de nombreuses interprétations: complexé, à savoir stressé et névrosé ou bien être pris dans un dilemme ou bien auto-sacrifice de nature cosmique ou ésotérique. Si vous êtes enclin au martyre, cette carte fait partie du jeu gagnant. Quelles que soient ses connotations nombreuses, le Pendu soulève indubitablement la notion de l'inversion et suggère que tout n'est pas comme il semble l'être et que la réalité est peut-être à l'opposé de nos conceptions.

Le bleu utilisé par Frieda Harris rappelle le bleu prononcé des robes dans la crucifixion inversée du Psautier d'Eadwine qui, à son tour, rappelle la couleur bleuissante des champignons, une réaction chimique qui dénote la présence de tryptamines psychoactives. Dans le mythe Hindou, Khrisna, le dieu d'amour, tout comme Shiva, le yogi shaman, sont dépeints avec cette couleur qui pourrait, en raison de ses nombreuses associations, être appelée le “bleu mystique”. Pour les étudiants de certaines traditions ésotériques et pour certains gurus, tels que Swami Muktananda, “les expériences de la Lumière Bleue, de la Perle Bleue, ou de l'Humain Bleu, dans le Siddha Yoga, sont considérées comme de très bonne augure et comme des étapes importantes sur le chemin spirituel”. (Stanislas Grof, When the Impossible Happens). Cette remarque s'applique au chemin du Siddha Yoga sur lequel Grof et son épouse Christina sont entrés, sous la guidance de Muktananda, mais également à de nombreuses autres traditions religieuses.

La crucifixion inversée dans le Psautier d'Eadwine représente-t-elle l'Humain Bleu ou quelque autre épiphanie mystique qui lui soit corrélée? Il n'est pas improbable que les concepteurs du psautier aient voulu souligner quelque chose qui constituait, à leurs yeux, une réalité mystique confirmée mais interdite par le contrôle religieux. Quelle que fut leur intention, je considère que cette image est complètement unique et qu'elle ne peut être comparée à rien de semblable dans l'art religieux de cette époque ou de toute autre époque. La crucifixion inversée dans le Manuscrit 8846 convie d'importantes répercussions en raison de son caractère unique, si ce n'est pour rien d'autre.

D'autres connotations hérétiques potentielles, codées dans cette image, viennent à l'esprit, lorsque nous remontons aux origines les plus antiques qui soient connues de cet archétype du pendu. J'ai réalisé ce travail dans trois essais, qui sont présentés sur le site, sous le titre “Nymphes des Arbres et Shamans aux Arbres Pendus”. J'ai également indiqué, dans mon ouvrage “Pas en Son Image”, que “les Juifs introduisirent la crucifixion seulement pour la voir adoptée par les Romains et utilisée contre eux-mêmes”. N'est ce pas un cas typique d'inversion? Une étude attentive de l'Ancien Testament, et de la mythologie Cananéenne, suggère que la crucifixion devint une problématique pour les anciens Hébreux lorsqu'ils furent confrontés à la pratique shamanique native de se pendre dans les arbres - non pas comme un supplice mais comme un rite mystique. Les shamans aux arbres pendus sont connus dans tout le monde du Pérou à l'Oural en passant par la Scandinavie.

“Le monothéisme commence avec un dieu qui haît les arbres” (Pas en Son Image, chapitre 17).

“Vous détruirez tous les lieux où, dans les nations que vous posséderez, servent leurs dieux, sur les hautes montagnes, sur les collines, et sous tout arbre vert. Vous renverserez leurs autels, vous briserez leurs statues, vous brûlerez au feu leurs idoles, vous abattrez les images taillées de leurs dieux, et vous ferez disparaître leurs noms de ces lieux-là.” Deutéronome 12:2-3.

Les Juifs, qui suivaient les commandements de la divinité paternelle, furent forcés de considérer la pratique shamanique de se pendre aux arbres comme une abomination et cette injonction fut rapidement inscrite dans la loi, tel que le Deutéronome le stipule dans 21:22-23: “Quand un homme ayant commis un crime digne de mort aura été mis à mort et que tu l’auras pendu à un arbre, son cadavre ne passera pas la nuit sur l'arbre; tu ne manqueras pas de l’enterrer le jour même, car un pendu est malédiction pour Dieu...”. Parmi les anciens Hébreux, le premier péché punissable de mort par pendaison sur un arbre (à savoir la crucifixion et pas la pendaison par le cou) était la pratique shamanique consistant à se pendre à un arbre, généralement durant la nuit, pour percer les secrets de la nature. La vision de l'homme pendu est une malédiction pour Dieu parce qu'elle rappelle un rite shamanique de culte de la Déesse (et plus particulièrement d'Asteroth, la déesse Cananéenne des arbres) qui défie la soumission pieuse à la divinité paternelle.

La crucifixion, chez les anciens Hébreux, constituait une parodie cruelle de la pratique shamanique de se pendre aux arbres et elle fut originellement réservée aux shamans des arbres ou aux dévots d'Asteroth. Le supplice de la crucifixion, pour d'autres propos, ne fut pas utilisé avant l'ère Deutéronomique, c'est à dire après 400 avant EC; mais lorsqu'il le fut, ce fut dans des proportions brutales et spectaculaires. Alexander Jannaeus (qui régna de 103 à 76 avant EC) écrasa la révolte Juive en crucifiant ses ennemis par centaines, tous des compatriotes Juifs, tous en même temps et au vu de leurs femmes et de leurs enfants alors qu'il ripaillait avec ses concubines. La terreur inspirée par ce spectacle fut à ce point efficace que les Romains l'imitèrent pour réprimer la révolte des esclaves menés par Spartacus (73-71 avant EC). Le film que réalisa Kubrick sur cette histoire montre la longue ligne d'hommes crucifiés le long de la route vers Rome, comme cela arriva réellement.

L'inversion possède des effets vicieux de boomerang. La condamnation de la pendaison shamanique aux arbres, par les prêtres Zadokites purs et durs, amena une malédiction sur leur propre peuple Hébreu car leur messie perdit sa vie par pendaison. L'inscription clouée au-dessus de la tête de Jésus précisait “le Roi des Juifs”. L'inversion à l'oeuvre, sur le long terme, dans les évolutions religieuses et historiques, génère souvent ce que Marcuse appelle “le retour du réprimé”. Elle engendre une foultitude de psychodrames de projection diabolique, d'extrajection de l'ombre, de production de boucs-émissaires, etc. Mais la crucifixion inversée, dans le Psautier d'Eadwine, constitue un exemple de la manière dont les hérétiques, et les survivants des causes réprimées, utilisent l'inversion différemment, à savoir en tant que technique consciente pour recouvrer des valeurs interdites et déniées.

Si nous admettons que la forme archaïque et originelle du shaman aux arbres pendu était représentée par des images telles que la naissance d'Adonis (ci-contre), nous pouvons alors considérer la crucifixion du messie divin comme une inversion de l'archétype indigène. Elle transforme l'extase en souffrance. Conformément à cette logique, la crucifixion inversée dans le Psautier d'Eadwine peut être considérée comme une ré-inversion ou une correction de l'archétype originel: un refus de la glorification de la souffrance et un retour à l'extase du plaisir naturel.

Maintenant, existe-t-il, dans le Psautier d'Eadwine, une preuve supplémentaire qui validerait une telle conception hérétique, à savoir l'élévation de l'extase au-dessus de la souffrance, ou qui corrélerait son pendu, selon d'autres voies, aux rites et aux traditions shamaniques réprimés?

La Croix Pléromique

Entre autres choses que les shamans font, à part de se pendre dans les arbres - principalement dans un but de divination: prenez l'exemple d'Odin qui a acquis les neuf formules runiques lors d'une épreuve de pendaison dans un arbre - c'est de danser. Le mouvement extatique est au coeur du shamanisme et de toute religion archaïque. Même dans l'Ancien Testament, David, qui devint Roi d'Israël à l'âge de trente ans, danse pour honorer la Shekinah, le Divin Féminin. Lorsqu'ils dansent, les shamans utilisent parfois des instruments de musique, principalement les percussions et la flûte ou flûte de Pan.

Très bien, mais en quoi de telles pratiques sont-elles corrélées à l'image du sauveur crucifié, qu'elle soit inversée ou non?

Les Actes de Jean constituent un texte Grec Gnostique dans la catégorie des Apocryphes du Nouveau Testament, à savoir des écrits qui ont été exclus du Nouveau Testament. Ils sont antérieurs à Nag Hammadi, ayant été découverts au dix-neuvième siècle, si je ne me trompe. Ils furent traduits en Anglais en 1924 par un érudit d'Oxford. Ils contiennent des récits anecdotiques concernant la trahison et la mort de Jésus, des démonstrations bizarres de métamorphoses corporelles (une autre pratique shamanique) et la narration d'une femme, Drusiana, qui découvre non pas Jésus mais Jean dans le tombeau vide. Quant à Jean, il est représenté comme un disciple possédant des dons paranormaux ou mystiques exceptionnels. Son expérience de ce qui arrive à Jésus crucifié en vient à être très différente de ce dont les autres autour de lui sont témoins.

Les Actes de Jean affirment que durant l'assemblée du Dernier Souper, qui eut lieu dans une salle haute le jeudi saint, Jésus réalisa une danse mystique. Il annonce à l'assemblée: “toi qui danse, perçois ce que je réalise car cette passion de l'humanité est tienne, que je suis sur le point d'endurer”. En bref, il invite ceux qui sont présents à entrer dans son acte (présumé) à venir de sacrifice avec une vision différente de sa signification. Alors qu'il mène la “ronde”, il chante un hymne antiphonique composé de phrases opposées ou inversées.

“Je veux être sauvé et je veux sauver.
Je veux être délivré et je veux délivrer.
Je veux être blessé et je veux blesser.
Je veux être engendré et je veux engendrer.
Je veux manger et je veux être mangé.
Je veux entendre et je veux être entendu.
Je veux être saisi par l’intellect, moi qui suis entièrement Intellect.
Je veux être lavé et je veux laver.
Je veux jouer de la flûte, dansez tous.
Je veux me lamenter. Frappez-vous tous la poitrine.
L’unique Ogdoade chante louanges avec nous.
La Dodécade danse en haut.
Il est permis de danser avec l’Intellect total.
Celui qui ne danse pas ignore ce qui se passe.
Je veux fuir et je veux rester.
Je veux orner et je veux être orné.
Je veux être unifié et je veux unifier.
Je n’ai pas de maison et j’ai des maisons.
Je n’ai pas de lieu et j’ai des lieux.
Je n’ai pas de temple et j’ai des temples.
Je suis une lampe pour toi qui me regardes.
Je suis un miroir pour toi qui me perçois.”

Jean décrit comment il a fui le Golgotha, incapable de supporter la scène et comment il s'en fut à la grotte de la montagne en laquelle le corps de Jésus allait être enseveli plus tard. Ensuite, au moment même où Jésus apparut devant les foules affligées dans l'agonie de la crucifixion, il révéla son expérience à ce disciple solitaire d'une manière totalement différente:

“Après avoir dansé cette danse avec nous , bien-aimés, le Seigneur s’en alla. Et nous, comme des gens égarés et séparés de leur maître, nous fuîmes qui d’un côté qui d’un autre. Quand à moi, l’ayant vu souffrir, je n’assistai pas non plus à sa passion, mais je m’enfuis sur le mont des Oliviers, pleurant sur ce qui s’était passé. Et, lorsque le vendredi, jour de la préparation, il fut suspendu à la croix, à la sixième heure du jour, il y eut des ténèbres sur toute la terre. Et mon Seigneur, se tenant au milieu de la caverne, l’illumina et dit : “Jean, je suis crucifié par la foule d’en bas à Jérusalem et suis percé de lances et de roseaux et je suis abreuvé de vinaigre et de fiel. Je te le dis, et écoute ce que je dis. C’est moi qui t’ai mis dans l’esprit de monter sur ce mont pour que tu entendes ce qu’il faut que le disciple apprenne du maître, et l’homme, de Dieu.”

Jésus guide maintenant Jean vers une vision différente de la crucifixion, non pas le mélodrame sanglant du pendu, mais un mandala cosmique numineux. Au lieu de l'homme cloué à l'instrument de torture Romain, Jean perçoit une croix rayonnante de lumière qui atteint des dimensions cosmiques. Cette vision, Jésus la montre à Jean et à Jean seulement: “Jean, il faut qu’il y en ait un qui entende ces choses de moi: j’ai besoin d’un auditeur qui doive m’entendre.” La révélation mystique qui n'est rien de moins qu'une vision alternative de la crucifixion, nécessite la présence d'un témoin unique. Le Jésus Mystique s'explique:

“Cette croix de lumière est appelée tantôt par moi Verbe à cause de vous, tantôt Intellect, tantôt Jésus, tantôt Christ, tantôt Porte, tantôt Chemin, tantôt Pain, tantôt Semence, tantôt Résurrection, tantôt Fils, tantôt Père, tantôt Esprit, tantôt Vie, tantôt Vérité, tantôt Foi, tantôt Grâce. Elle est appelée de ces noms en tant que par rapport aux hommes. Mais ce qu’elle est en réalité, en tant que conçue en elle-même et dite par rapport à nous, elle est la séparation de toutes choses et la ferme élévation de choses composées d’éléments instables, et l’harmonie de la sagesse, une sagesse consistant en harmonie.”

Ainsi, au lieu du message de sacrifice divin et de glorification de la souffrance, renforcement typique de la relation victime-perpétrateur, le Jésus Mystique présente une vision de sagesse et d'harmonie. Je parierai mes galons Gnostiques que ce passage fut dérivé d'un discours d'une Ecole de Mystère concernant les Eons Pléromiques. Dans le Gnosticisme, la croix est un symbole de frontières (stauros) pour les limites extrêmes du Plérome. J'appellerais, ce que le Jésus Mystique à montré à Jean, la Croix Pléromique.

L'Urne d'Albâtre

Le Manuscrit 8846 contient de nombreuses scènes du Nouveau Testament: le folio 12v (psaume 7) montre Jésus changeant l'eau en vin au mariage de Cana (illustration ci-contre).

Le folio 3v montre une illustration du Dernier Souper sans représentation de champignons (illustration ci-dessous).

Des cinq récipients ou urnes placés sur la table, celui du milieu, en face de Jésus, est recouvert d'un couvercle en forme de champignon. Certes, une urne pourrait posséder un tel couvercle sans pour cela que l'on mette en exergue des connotations mycologiques. Un cigare n'est parfois qu'un cigare et pas un symbole phallique. On pourrait en dire autant du casque en forme de champignon que porte l'homme qui se tient aux pieds de Jésus, devant la table. Je n'en déduis pas que le couvercle ou le casque puissent représenter des symboles fongiques. Qui est ce suppliant? Ce pourrait être Joseph d'Arimathie qui est dit avoir recueilli le sang de Jésus, dans une coupe ou un graal, lorsqu'il était pendu sur la croix. Cette légende est la source de la version Chrétienne du Saint Graal découverte pour la première fois dans les écrits de Robert de Boron au 12 ème siècle.

Il semble, jusqu'à maintenant, que les illustrations du Psautier d'Eadwine correspondent à la version traditionnelle et orthodoxe du Nouveau Testament. En d'autres mots, strictement en accord avec les directives du parti. Cependant, un autre élément hérétique se fait jour dans le folio page 12v, qui est corrélé au Psaume 7. Cette page présente des épisodes en un tableau de douze sections, dont le baptême dans le Jourdain, le mariage à Cana (représenté ci-dessus) et la tentation dans le désert. Ce tableau inclue également deux sections illustrées d'une imagerie très colorée de champignons. Dans la rangée en bas du tableau, adjacent à l'une des images de champignons, se trouve une seconde représentation du dernier souper. Elle est presque identique à celle que nous avons présentée ci-dessus si ce n'est que l'homme agenouillé aux pieds de Jésus est remplacé par une femme (illustration ci-contre).

Il est de suite plus qu'évident que cette femme est Marie-Madeleine. Elle est le personnage marginal des évangiles, alors qu'elle constitue le personnage central de l'interprétation Gnostique de l'histoire de Jésus. L'illustration ci-contre évoque ce qui arrive le soir du Jeudi Saint, lors du dernier souper: Madeleine oint les pieds de Jésus avec de l'huile provenant d'une urne d'albâtre.

Il existe de nombreux détails anormaux dans les illustrations du Psautier d'Eadwine. Par exemple, la version précédente du dernier souper (folio 3v) avec un personnage patriarcal agenouillé, qui tient l'un des pieds de Jésus fait ressortir clairement que les pieds de ce dernier sont réellement apparents. Dans la version avec Marie-Madeleine, dont on se souvient plus particulièrement pour avoir oint les pieds de Jésus, ceux-ci ne sont pas montrés. Dans le folio 3v, le personnage à la gauche de Jésus montre ostensiblement l'urne couverte - afin de suggérer qu'elle contient quelque chose qui ne peut pas être dévoilé? Dans le tableau du folio 12v, ce même personnage trempe son doigt dans l'urne présentée à bout de bras par Madeleine. Aucun de ces gestes n'est corrélé à un quelconque épisode des Evangiles, pour autant que je sache. Il va certainement s'avérer impossible de déchiffrer tous les détails illustrant le Psautier d'Eadwine afin d'en révéler la signification.

Cela n'a pas d'importance, néanmoins, parce que les messages essentiels du psautier sont révélés très explicitement. MS 8846 n'est pas un document codé qui requière de se creuser les méninges, de tergiverser, de spéculer à l'image du matériau cité pour valider le délire du Da Vinci Code. C'est plutôt un ouvrage ouvert d'hérésie illuminée.

Dans mes tentatives personnelles de reconsidérer le dernier souper et la crucifixion, lors de ces dernières années, j'ai osé suggérer que Jésus fut oint, non pas pour devenir l'agneau sacrificiel ou le messie martyrisé, mais pour réaliser la danse mystique décrite dans les Actes de Jean. L'onction des pieds constitue un acte sensuel qui confère à la danse un caractère sacré. Les Pères de l'Eglise, qui cherchaient à légitimer le jeu de domination de l'Empire Romain par l'autorité surhumaine du Fils sacrificiel de Dieu, considéraient comme extrêmement dangereuse cette tournure hérétique de la dernière soirée de la vie de Jésus. Les Actes de Jean furent un des ouvrages les plus condamnés de tous les temps. Elaine Pagels souligna, dans son ouvrage Les Evangiles Gnostiques, que le pape Leo V, qui régna quelque trois siècles après que ce texte fut écrit, trouva opportun de renforcer l'anathème proféré par ses pieux prédécesseurs et de condamner rigoureusement aux flammes cet ouvrage ainsi que toute personne qui en possédât une copie.

Le pape Léo V échoua cependant. Une copie survécut jusqu'à notre époque et tomba dans les mains de Gnostiques invétérés dont moi-même. A sa première lecture, je me posai la question suivante: après avoir réalisé l'acte de consécration, la mystérieuse prostituée aux cheveux rouges, celle qui oint, a-t-elle rejoint celui qui fut oint, le Jésus Mystique, dans la danse sublime du Plérome?

Je n'ai jamais découvert de preuve, textuelle ou autre, corroborant cette audace hérétique jusqu'au jour où je m'installai dans la cabine de microfilms de la salle des manuscrits de la Bibliothèque Nationale de Paris, en décembre 2006. Lorsque je déroulai le manuscrit, voici ce que je découvris dans le folio 12v:


L’Ogdoade ( la cellule des Mystères) chante louanges avec nous.
La Dodécade des Eons Pléromiques danse tout en haut.
L'entièreté du cosmos, ici-bas et en-haut, se joint à notre danse
Quiconque n'entre pas dans la danse ignore ce qui se passe.

(Hymne de la Ronde dans les Actes de Jean, réinterprété par John Lash)

John Lash. 11 avril 2008. Andalousie

Traduction de Dominique Guillet