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La Découverte d’une Vie

John Lash

Traduction de Dominique Guillet.

Télécharger le PDF avec les illustrations.

En novembre 2006, peu après la publication de mon ouvrage Pas en Son Image dans lequel je décris les rites enthéogéniques dans les Mystères Païens à Eleusis, et ailleurs, je fis une visite, que je souhaitais depuis longtemps réaliser, à la Bibliothèque Nationale de France à Paris. Après avoir contracté une carte de membre, je fus autorisé à consulter les archives des manuscrits Grecs et Latins dont la Bibliothèque Nationale possède une collection impressionnante. J'étais en quête d'un article particulier, le manuscrit Latin 8846, le Psautier de Paris Eadwine. C'est le seul et unique texte Médiéval illustré de ce type, que l'on ne peut comparer à rien d'autre.

Je fus pas autorisé à manipuler le Manuscrit réel mais je pus en examiner le microfilm en couleurs. Ma session de trois heures dans la cabine de microfilms me laissa pantois et chancelant. Je titubai littéralement dans la Rue de Richelieu. Je restai pendant deux heures dans un état de stupeur, fasciné par les images qui s'étaient déroulées sur l'écran du microfilm.

Bible Psychédélique

Le Psautier de Paris Eadwine est un ouvrage relié de grande dimension qui comporte 367 pages. La page de couverture porte un tampon précisant Volume n° 174, 10 octobre 1873, sans doute le jour de son acquisition ou de sa répertoriation. Il s'ouvre sur cinq tableaux de pleine page qui sont chacun divisés en douze sections très détaillées et richement colorées. Les tableaux représentent des épisodes de d'Ancien Testament, de la création d'Adam et Eve à la vie du Patriarche Jacob. Ils sont suivis par de nombreuses illustrations de demi-page ou de pleine page des Psaumes ponctuées de commentaires en Latin. Au bout d'une centaine de pages, se présentent quatre autres tableaux de douze sections qui résument la vie de Jacob et puis les illustrations sautent à l'Arche de l'Alliance, David et Goliath et Jean le Baptiste. Environ 45 pages plus loin, il y a une page unique composée de 18 tableaux célébrant Jésus-Christ et ensuite, de nouveau, deux pages de 12 sections illustrant des épisodes de la vie du Sauveur.

Tout cela n'est que de l'histoire Biblique totalement banale, assaisonnée de commentaires pieux et de conseils pour le chant et la prière. Ce qui est par contre peu banal, et loin s'en faut, c'est la manière dont la narration est illustrée. Des champignons cyanescents et des omphalos en forme de champignons illustrent de façon très richement colorée les 100 premières pages pour ensuite diminuer en nombre et s'arrêter tout à fait. Des douzaines de pages présentent des versions d'un arbre stylisé avec un tronc bleu, qui suggèrent comment divers champignons du genre Psilocybe peuvent croître à partir du tronc d'un unique “organe de fructification” à partir du mycélium. Les arbres-champignons sont souvent intégrés à des scènes dramatiques qui dépeignent des humains en interaction avec des anges ou des démons.



D'autres scènes plus élaborées dépeignent des événements Apocalyptiques avec le personnage du Christ souvent placé juste à côté d'un groupe de champignons. Les stipes entrelacés des champignons, dépeints de façon réaliste avec des formes élancées et sinueuses, tout comme dans la nature, sont joints artistiquement dans le style Celtique du Livre de Kells et d'autres manuscrits illustrés d'enluminures de la même époque. Dans de nombreuses scènes (comme ci-dessous), un champignon naturaliste est niché parmi des bourgeons-omphalos décorés qui rappellent l'apparence segmentée des mûres et des framboises qui elles, par contre, ne sont pas dessinées de façon naturaliste. Ce sont des ovales ou des formes d'oeufs peints qui sont distincts des champignons élancés aux chapeaux en tête d'épingle et sans segments. Il est clair que l'artiste connaissait la différence entre une représentation naturaliste et une représentation stylisée et, pour quelque raison, choisit de les juxtaposer. J'ai suggéré que le bourgeon-omphalos était une convention artistique des Mystères pour indiquer comment la structure moléculaire apparaît dans la transe visionnaire induite par les plantes psychoactives.


Il existe beaucoup de confusion quant à l'appellation du Manuscrit Latin MS 8846, nommé le Psautier Anglo-Catalan. Comme il fut réalisé à Canterbury en Angleterre aux alentours de 1180, il est parfois appelé le Psautier de Canterbury. Il fut, cependant, emmené en Espagne pour y être achevé, d'où le nom étrange d'Anglo-Catalan.

Exactement en même temps, an autre psautier, presqu'identique, fut réalisé à Canterbury: MS R 17.1 (987) qui est maintenant conservé au Trinity College de Cambridge en Angleterre. Les deux psautiers sont attribués au maître scribe appelé Eadwine (“ami généreux”) et tous deux contiennent la même séquence d'événements contés mais le Psautier de Canterbury MS R 17.1 ne présente aucune imagerie enthéogénique, au contraire du BNF Latin MS 8846, appelé le Psautier de Paris Eadwine. En 1935, M. R. James publia un fac-similé réduit du Cambridge MS. Plus récemment, en 1992, il a été publié en tant que Psautier Eadwine par la Modern Humanities Research Association of Pennsylvania aux USA. Cet ouvrage peut être commandé sur Amazon pour un prix très conséquent. Il est malheureusement totalement dépourvu d'imagerie de champignons psychoactifs.

Dans un chapitre bref du fac-similé de 1992, l'érudite religieuse Patricia Stirneman évoque la relation entre le Latin MS 8846 et sa contrepartie de Canterbury. Curieusement, elle ne souffle pas un seul mot, ni ne fait une quelconque allusion, au sujet de l'imagerie psychédélique somptueuse du Paris MS; elle n'explique aucunement, non plus, comment deux manuscrits provenant de la même source et de la même époque peuvent se révéler à ce point entièrement différents.

Je présume que la présence de champignons psychoactifs, dans l'art religieux, est considérée par les érudits comme un sujet tabou, une révélation trop audacieuse à admettre; mais pour cet érudit auto-didacte que je suis, ce fut la découverte de ma vie.

Aveuglement Intentionnel

En 2002, la maison d'édition Espagnole Moleiro publia une reproduction à l'identique du Psautier de Paris Eadwine, incluant les ternissures des pages originelles. (La seule édition d'un fac-similé fut publiée en 1958 à Copenhague). La description méticuleuse du catalogue ne fait pas la moindre allusion à l'imagerie fongique ou à rien qui ne soit inhabituel. Les échantillons d'illustrations offerts par Moleiro sont soigneusement sélectionnés afin d'éviter de montrer des images de champignons psychédéliques. Un autre site internet présentant des fac-similés de Manuscrits avec enluminures reproduit des scènes caractéristiques mais sans offrir un quelconque commentaire de ce qui est montré. Un article sur l'édition Moleiro dans le magazine en ligne de Church Times écrit (juillet 2005):

“Le Psautier, connu également sous le nom de Psautier Anglo-Catalan, fut réalisé à Canterbury aux alentours de 1180. Il ne fut pas achevé et, après 1200, il fut emmené en Catalogne, peut-être comme un cadeau. Au milieu du 14 ème siècle, la décoration du manuscrit fut complétée par des artistes Catalans, qui oeuvraient probablement à Barcelone.

L'ouvrage était destiné à être une copie du célèbre psautier Carolingien du 9 ème siècle, le Psautier d'Utrecht, et il fut acquis par le prieuré de la cathédrale du Christ de Canterbury aux alentours de l'an 1000. L'originel fut nommé d'après la bibliothèque de l'université de la cité à laquelle il appartient maintenant et il fut réalisé à l'abbaye Bénédictine de Hautvillers près de Reims, entre 820 et 835. Chaque psaume est illustré de dessins dépeignant certains passages du texte et un certain nombre de scènes sont rassemblées en un seul tableau rectangulaire”.

Cet article affirme que la Psautier de Canterbury de Cambridge, celui dépourvu de champignons, fut réalisé le premier et vint ensuite “le Grand Psautier de Canterbury, ou Psautier Anglo-Catalan, qui reproduit toutes les innovations du Psautier d'Eadwine. Il possède trois textes parallèles -Latin, Hébreu et Catalan- et possède également les introductions préliminaires des scènes de l'Ancien et du Nouveau Testaments. C'est, dans une certaine mesure, une copie du Psautier d'Eadwine, en ce qui concerne plus particulièrement le texte, mais les artistes qui ont réalisé les illustrations semblent, occasionnellement, s'être référés au Psautier originel d'Utrecht du 9 ème siècle”.

Ainsi que je l'ai souligné, par ailleurs, l'imagerie de champignons du Psautier d'Utrecht (Reims, environ an 800) était connue des Wasson mais cela ne les amena pas à découvrir le Paris MS.

L'article continue ainsi:

“Une décision fut prise de modifier radicalement l'apparence des illustrations en remplaçant les monochromes ou les dessins en couleur des Psautiers d'Utrecht et d'Eadwine par des peintures en couleurs avec de plus grands personnages et des fonds en or brûlé - la technique qui fut utilisée pour les ouvrages les plus magnifiquement illustrés de la fin du 12 ème siècle.

Ce nouveau style d'illustration requérait des artistes qu'ils apportassent de nombreuses innovations à la composition visuelle de leur imagerie. De toutes les copies du Psautier d'Utrecht, c'est celui-là qui a exigé de ses artistes le plus de ressources créatives”

En dépit de la description élaborée de techniques artistiques, impliquant la comparaison détaillée de trois oeuvres d'art distinctes, pas un seul mot n'est prononcé quant aux riches images colorées du Paris MS. Il semble que les érudits religieux fassent preuve d'un aveuglement intentionnel lorsqu'il s'agit de ce travail extraordinaire d'art sacré.

Illuminations Privées

Je ne suis pas un expert en manuscrits médiévaux avec enluminures mais, d'après ce que je peux comprendre, le Psautier de Paris Eadwine constitua la réalisation unique d'artistes Britanniques-Celtiques qui fournirent le matériau psychédélique. Si la réalisation par étapes est une réalité, il semble que l'artiste ou les artistes, qui prirent le relais de cette oeuvre, firent l'impasse sur les champignons qui n'apparaissent plus après la page 100. C'est étrange car il est notoire que les champignons du genre Psilocybe croissaient en abondance en Catalogne, sur les pentes méridionales des Pyrénées. Mais ils croissent aussi, bien sûr, en abondance en Angleterre, en Irlande et au Pays de Galles.

Je présume qu'il y eut une divergence d'opinions entre les deux groupes d'artistes qui produisirent le Psautier Latin MS 8846. La seconde équipe de Catalogne n'élimina pas l'imagerie fongique très colorée mais par contre elle la discontinua. Quelle que soit la situation, “la technique qui fut utilisée pour les ouvrages les plus magnifiquement illustrés de la fin du 12 ème siècle” fut appliquée à ce chef-d'oeuvre, ce qui implique que quelqu'un engageait beaucoup de temps et d'argent dans cette oeuvre avec l'intention d'en faire une oeuvre d'art précieux. Je me demande si l'individu, ou le groupe, qui conçut initialement cet ouvrage extraordinaire, avait à l'esprit de l'illustrer totalement avec une imagerie de champignons. “L'ami généreux” qui proposa de réaliser le Psautier de Paris Eadwine, et qui peut-être supervisa sa première phase d'exécution, souhaitait-il partager ses illuminations privées avec le reste du monde?

Cela semble probable mais au vu du peu que nous sachions quant à son origine et à sa réalisation, il est impossible d'affirmer comment et pourquoi fut créé le Psautier de Paris Eadwine.

John Lash. Andalousie. 16 février 2008

Traduction de Dominique Guillet