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Le Témoignage Véritable

John Lamb Lash

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Traduction par Dominique Guillet

Le Témoignage Véritable. 9 pages. Un traité sans titre joint à une diatribe à l'encontre des Chrétiens ecclésiastiques et une réinterprétation de la Genèse. Contient une protestation rare contre certaines pratiques d'autres groupes Gnostiques. Condition fragmentaire.

Avec ce texte, nous passons des splendeurs métaphysiques d'élaboration Gnostique de mythe aux préoccupations immédiates d'une cellule ou d'une communauté Gnostique qui doit faire face à la persécution. Bien que pauvrement conservé, ce texte nous donne une bon aperçu de ce que cela voulait dire que d'appartenir à une communauté menacée, non seulement par l'agression des Chrétiens convertis mais aussi par l'erreur que ces convertis promouvaient. Ce traité est imprégné d'un sentiment de tension et de désordre, d'une impression que la situation dans le monde ne tourne pas rond. Il en émane, par moments, une tonalité de jérémiades.


Le Témoignage Véritable présente des affirmations radicales de certains principes et de certaines pratiques Gnostiques. Par exemple, il réfute la résurrection (34.27-35.5) et condamne le baptême et la propagation (la progéniture d'enfants). Il accuse les convertis au Christianisme de “double-pensée”, une traduction maladroite de MNTHET. Ce terme est un composé utilisant HET, “coeur”, et la signification littérale est “deux-coeurs”. Une traduction un peu plus pointue, peut-être. Le texte lance des coups à l'encontre des scribes et des pharisiens (29.1) mais il critique principalement différentes conceptions soutenues par différents groupes Gnostiques. Les érudits ont identifié ces groupes comme étant les Valentiniens, la Basilidiens, les Simoniens et les Archontiques. Les conceptions promues par l'auteur reflètent une “éthique encratique” qui dénie le plaisir et dévalue le corps. Ce sont, bien sûr, les marques d'un dualisme anti-cosmique, ou déni du monde, typiquement (et à tort) attribuées au mouvement Gnostique en général.

L'auteur est estimé être un Alexandrin nommé Julius Cassianus, ou peut-être Hierakas de Léontopolis, un contemporain du Chrétien Copte Pachomius, dont le monastère était situé près de la cache où furent découverts les Codex de Nag Hammadi. Il est extrêmement rare que les érudits aient une quelconque idée de qui pourrait avoir écrit un texte des Codex. Je parierais que ce fut Hierakas, un homme piégé entre deux camps. En tant que Gnostique assimilé au Christianisme, il aurait professé des vues ambivalentes vis à vis des deux côtés de l'argumentation. Quel que soit le cas, l'auteur du Témoignage Véritable est un type grincheux, empêtré dans une situation tendue et précaire.

Il y a peu d'enseignement Gnostique à récupérer de ce texte. Il s'ouvre avec une attribution directe de la religion Juive, “le vieux levain des Pharisiens”, à l'influence des puissances de l'erreur. “Les Pharisiens et les scribes sont ceux qui appartiennent aux Archontes dont ils sont sous l'autorité” (29.18-21). Il condamne la Loi Juive (logos), la Torah, stipulant que ceux qui la suivent “prennent part au monde (kosmos)”. Dans tous les Codex, kosmos dénote le système du monde humain, non pas l'ordre cosmique. C'est un terme de condamnation. Il s'ensuit que les auteurs Gnostiques utilisent communément les termes comme logos et cosmos - termes connectés avec les hautes sphères du Platonisme, et plus tard de la théologie Chrétienne - d'une manière méprisante.

Le passage de Jean et du Jourdain est stupéfiant. Il contient le trope récurrent, “et le Jourdain se retourna” ce qui a été interprété comme une référence à la pratique du yoga de la Kundalini, à savoir l'inversion du courant de la force de vie et le déni de la relation sexuelle; mais cela est douteux. “Jean est l'Archonte de la matrice” (31.5) est cryptique. “Recevoir la parole de la vérité parfaitement (-teleios)” signifie “par initiation”, par la méthode télestique. 31.22-32.8 affirme carrément que ceux qui professent des croyances Chrétiennes sont dans l'erreur et sont tombés sous le charme des “principautés et des autorités”, arche et exousia. En langage psychologique, l'erreur et la compulsion.

32.22 relate la descente du Christ en Enfer, un épisode qui ne revient que quelques fois dans le corpus Gnostique. “Il éveilla les morts” et “Il marcha sur les eaux de la mer” semblent suivre littéralement la narration des Evangiles. Le texte ne précise pas que cela soit le Christ qui réalise ces choses. Le code CHS n'est pas utilisé ici alors qu'on le trouve ultérieurement six fois dans le texte. L'expression la plus communément utilisée est PESHIRE MMN TEROME, “le fils de l'homme” ou “l'enfant de l'humanité”, si vous préférez. 34.6-8 attribue les croyances erronées (le martyre) aux “étoiles vagabondes”, c'est à dire aux planètes, identifiées avec le royaume des Archontes. Page après page, le document est très endommagé. Dans l'édition Anglaise des Codex (NHLE), le Témoignage Véritable couvre un peu plus de 9 pages (dans l'édition Gallimard, 2007, 24 pages) alors que dans l'édition bilingue en Copte, il fait 80 pages, neuf fois plus. Une grande partie des pages ne contiennent que quelques mots lisibles. Elles requièrent de très nombreuses insertions et restaurations. Mêmes les érudits qui les font concèdent ô combien elles sont ténues.

En bref, on trouve à peine une envolée dans ce traité. Mais à 36.29, nous sommes frappés par cette assertion “n'attendez pas la résurrection de la chair... qui est la destruction”. 40.28 fait allusion à la division des sexes, un thème mythologique-clé que nous rencontrons dans le texte “Sur l'Origine des Mondes”. 41.26 s'engage dans une série de questions rhétoriques, suivie par un long passage dans lequel un “lui” non identifié “ayant été rempli de sagesse (sophia)” réalise des actes magiques ou initiatiques. Comme il arrive souvent avec le langage Copte, nous ne savons pas qui est “lui” ou “toi” ou “ils”. Ce passage semble recommander le comportement d'un Gnostique accompli.

45.6 reprend avec Jean le Baptiste, décrivant sa naissance comparée à celle du “Christ”. Les noms Jean et Elisabeth sont totalement épelés mais Christ est indiqué par le code CHS. L'auteur adhère à la notion de naissance vierge qui est généralement rejetée par les écrits Gnostiques. Il y a ensuite une incursion dans le scénario de la Genèse, avec des événements relatés plus ou moins comme ils le sont dans la Bible. Mais à 47.15 l'auteur demande: “mais de quelle sorte est ce dieu?” et lance une critique à l'égard du mythe Juif. Dieu n'eut pas de prescience; il est méchant et jaloux, etc. Il est aveugle et envieux. Afin de dominer, la divinité Archontique doit stupéfier ses sujets:

“Et il dit: 'J'épaissirai leur coeur et je ferai en sorte que leur intelligence devienne aveugle afin qu'ils ne puissent pas connaître ou comprendre les choses qui sont dites'. Et c'est de cette manière qu'il parle à ceux qui le servent et qui le croient!” (48.8-15).

Voilà finalement une très belle envolée. Le Dieu des Juifs et des Chrétiens ne confère pas l'illumination. En fait, il fait tout pour l'empêcher. De quelle sorte de Dieu s'agit-il? Et quelle sorte de croyants va suivre un tel tyran, tout en sachant qu'ils sont aveuglés et trompés par lui?

Dans Le Meurtre du Christ, Wilhelm Reich posa ce qu'il estimait être la question la plus déconcertante à laquelle soit confrontée l'humanité: nous sommes emprisonnés dans une cage et la porte est ouverte, alors pourquoi n'en sortons-nous pas simplement?

Il s'ensuit une tirade contre le serpent et la magie du pouvoir du serpent - apparemment une attaque à l'encontre des Ophites, les adorateurs du serpent (les adeptes de la Kundalini). Le passage est trop endommagé pour que l'on puisse en faire sens. 68.7 dit que “Mammon est le père de la relation sexuelle (synousia)”. Cette expression condamne la procréation. Les instructeurs Gnostiques sont nommés et réprouvés: Isidore, Basilides, Simon. Il y a d'autres passages sur la profanation du baptême, mais rien qui ne soit cohérent. Et ainsi de suite, jusqu'à la fin du traité.

En conclusion, l'auteur met en garde: “Même si un ange descend du ciel pour vous enseigner quelque chose qui surpasse ce que nous avons enseigné, qu'il soit anathème” (73.18). C'est un rare exemple d'un hérétique prononçant une anathème! Cette ligne fait peut-être allusion au personnage de l'Antéchrist. Les érudits sont incertains quant à l'origine ou à l'époque d'émergence de ce personnage. Cependant, cela fait longtemps que j'ai l'intuition qu'un Gnostique ingénieux puisse avoir introduit l'idée d'Antéchrist comme une technique de sabotage, plantée intelligemment dans la mentalité Chrétienne lorsque les doctrines de la foi furent formulées. En effet, l'Antéchrist fonctionne comme un système de génération du doute: les Chrétiens qui adhérent à quelque chose sur la foi ne peuvent jamais êtres sûrs de leurs convictions parce que certaines croyances, affirmées au nom du Christ et même à l'image du Christ, peuvent être trompeuses, avec une origine dans une source subversive et non pas le Christ de leur foi! C'est une proposition tortueuse, j'en conviens, mais c'est précisément comment la notion d'Antéchrist fonctionne: en sabotant ou en instillant le doute dans la foi au Christ.

Le Témoignage Véritable se termine avec une note presque poignante. L'état ruiné du texte donne l'impression que nous écoutons le témoignage incohérent et haletant de quelqu'un éprouvant un stress énorme: “Il se baptisa lui-même, et le... il devint divin; il s'envola (et) ils ne le saisirent pas... là, les ennemis... puisque cela n'était pas possible... en bas de nouveau... Si chaque... le saisit (avec) ignorance, écoutant ceux qui enseignent sur les coins et les trucs sophistiqués, ils ne seront pas capables de...”

John Lash. Andalousie, Décembre 2005.

Traduction de Dominique Guillet