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L'Evangile de Philippe

John Lamb Lash

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Traduction par Dominique Guillet de l'essai "The Gospel of Philip"

L’Evangile de Philippe. NHC II.3. 19 pages. Un patchwork de divers matériaux cousus maladroitement ensemble. Intact. Sujets majeurs : sexualité mystique, les rites de la cellule des Mystères, le nymphion, l’onction par la Lumière Organique, l’immunité à l’intrusion des Archontes, les enseignements sur la sémantique et la mésattribution (mésusage du langage), la stérilité déroutante de Sophia (corrélée à la protestation des Gnostiques contre la procréation), la réconciliation entre les genres. Ce traité contient le célèbre épisode de Jésus embrassant Marie Magdeleine sur la bouche.

Contrairement à certains textes de la Bibliothèque de Nag Hammadi, qui sont difficiles mais pas particulièrement gratifiants, l’Evangile de Philippe offre une magnifique moisson à celui qui veut y consacrer ses efforts. Le texte est long, de la page 141 à 160 dans le NHLE. Etant une compilation de fragments de textes sans rapport, entassés ensemble pêle-mêle, il peut s'avérer frustrant mais il contient un trésor de conceptions Gnostiques authentiques, dont certaines sont élaborées et d’autres simplement suggérées.

Comme c’est une compilation plutôt qu’une composition, cela ne fait pas de sens de lire l’Evangile de Philippe de façon séquentielle car il n’y pas de séquence à suivre. Je propose plutôt de le lire de façon thématique. Six thèmes principaux sont évoqués mais ne sont pas traités de façon linéaire. Nous trouvons des paragraphes, et même des phrases isolées, relatifs à chaque thème éparpillés au hasard dans tout le document.

Mésattribution

Les paragraphes 53-54 affirment que “les noms donnés aux choses sont trompeurs car ils détournent nos pensées de ce qui est correct vers ce qui est incorrect”. Ce thème est traité dans la perspective de la conception Gnostique des Archontes, à savoir des parasites mentaux dont l’activité est soulignée par les termes Grecs “plane”, égarement et “apaton”, tromperie, et par le terme Copte “sorem”, erreur. Le mot Grec “antimimon”, imitation, et le mot Copte “hal”, simulation, jouent également un rôle majeur dans la théorie Gnostique de l’erreur. Bien que le langage Copte soit pauvre en concepts explicites pour les analyses psychologiques et noétiques et bien que la surimposition Grecque-Copte soit au mieux un douteux palimpseste, il en émerge cependant une pléthore d’explications claires sur l’erreur et sur ses relations au facteur extra-humain des Archontes.

Les Gnostiques enseignèrent que l’influence des Archontes peut être décelée dans les distorsions de langage, les failles sémantiques. La forme primordiale de distorsion est la mésattribution, à savoir le fait de conférer une signification erronée aux mots. Le paragraphe 53 met en garde, explicitement, contre les termes utilisés dans la théologie Judéo-Chrétienne qui sont trompeurs et qui ne disent pas réellement ce qu’ils semblent dire. La syntaxe mentale - la manière dont nous élaborons et développons nos idées - devient pervertie lorsque les mots sont mésattribués. Si nous définissons, par exemple, la résurrection comme le renouveau physique du corps après la mort, nous ne pouvons y penser que selon certains termes, de manière littérale, et nous ne pouvons pas développer ces idées d’une manière telle qu’elles puissent être validées ou invalidées.

La mésattribution initiale de n'importe quel mot enclenche un processus conceptuel qui ne peut que dérailler (plane). La faute ne peut pas en être imputée aux Archontes mais ces derniers peuvent s'immiscer dans le processus et amplifier nos erreurs mentales au-delà de toute correction possible. Le problème n'est pas que nous ayons une conception fausse de la résurrection (ou de n'importe quoi, en l'occurrence), le problème est que nous ne puissions pas détecter et corriger les erreurs dans notre syntaxe mentale parce que la mésattribution initiale (la dénomination fausse) maintient notre mental dans une ornière. Un processus de pensée routinier et aveugle caractérise le mental humain qui a cédé à la distorsion Archontique.

Dans le Bouddhisme Tibétain, le processus par lequel le mental se méprend, et se détourne de sa nature vraie et illuminée, est appelé 'krul pa, l'égarement, l'équivalent exact de plane. Le paragraphe 53 observe que “tant que nous ne sommes pas parvenus à savoir ce qui est correct - à savoir, la nature illuminée du mental en termes Bouddhistes ou le noos, le potentiel divin du mental chez les Gnostiques - nous ne pouvons pas percevoir ce qui est incorrect”. Il nous faut découvrir comment nous nous égarons avant de prétendre au plein potentiel de l’illumination.

L’Evangile de Philippe affirme que ceux qui entretiennent des idées mésattribuées au sujet de “Dieu”, la “lumière” et “l’église” sans avoir l’option de penser autrement - c’est à dire sans une terminologie alternative générant une syntaxe différente - ne seront jamais capables de corriger leurs idées fausses. Ceux qui n'ont vu que le plastique ne peuvent pas en connaître la différence d'avec le nacre.

“Les noms qui sont utilisés dans le monde (c'est à dire utilisés de façon routinière) ont tendance à induire en erreur”. Ici le texte a recours au terme “apaton”. “Si ces termes procédaient du royaume éternel (éons), ils ne seraient jamais utilisés comme mots dans ce monde”. A savoir, si les noms que nous attribuons aux choses étaient considérés dans la perspective d'une conscience supérieure, selon la valeur éternelle des choses, nous pourrions percevoir que ces termes ne sont pas adéquats et ne devraient pas être imprimés dans notre mental “fixés parmi les choses de ce monde” comme ils le sont habituellement. Nous pourrions alors réaliser que toutes les définitions s'effondrent (atteignent une limite stricte) lorsque nous envisageons les choses avec une perception accrue. C'est une leçon sur la sémantique et sur les limites conceptuelles du langage.

Le paragraphe 54 continue sur ce thème mais ajoute un autre aspect: “La vérité amena les noms à l'existence... parce qu'il n'est pas possible d'apprendre la vérité sans ces noms.” On nous dit maintenant que même si les définitions sont dépassées dans le sens absolu (dans le sens des Eons, de la connaissance éternelle), elles sont nécessaires dans un sens relatif, sinon nous ne serions pas capables d'apprendre ce qui est vrai, ici et maintenant. Le paragraphe 67 réitère ce point: “La vérité ne vint pas en ce monde nue, mais elle vint en espèces et en images. Le monde ne recevra pas la vérité d'une autre façon.” (Les passages 54 et 67 devraient être séquentiels mais l'éditeur de l'Evangile de Philippe fait peu de cas de la continuité). Nous avons ici de nouveau un enseignement subtil sur la sémantique, très proche de l'enseignement Bouddhiste sur la vérité absolue et la vérité conventionnelle. On pourrait comparer ces passages sur la mésattribution avec le Sutra Vimalakirti en raison des parallèles remarquables quant à l'acte de nommer qui influence à la fois notre perception de la réalité ultime et notre perception de la réalité mondaine.

Vient alors un passage débordant d'éclats colorés. Il mérite d'être cité dans son entièreté:

“Les Archontes voulaient tromper l'humanité lorsqu'ils virent qu'elle était liée à tout ce qui est vraiment bon. Ils prirent donc les termes pour ce qui est bon et les attachèrent à ce qui est mauvais afin qu'à travers la dénomination des choses, ils puissent leurrer les humains et les lier à ce qui peut leur nuire. Mais après tout, quelle faveur ils firent à l'humanité! Ils font en sorte que les humains doivent se détacher de ce qui n'est pas bon afin de s'identifier avec ce qui est bon. Ces choses perverses, les Archontes savaient comment les fomenter car ils voulaient capturer les hommes qui sont libres et les mettre à jamais en esclavage.”

Ici, le problème de la mésattribution est directement associé avec les Archontes, l'espèce extra-terrestre qui envahit l'humanité. Il n'y a pas que les Archontes, bien sûr, qui appliquent cette technique insidieuse; il y a aussi les humains qui sont pervertis Archontiquement, c'est à dire qui sont intoxiqués par la mésattribution. Considérons l'utilisation du mot “libération” dans l'agression US contre l'Irak. C'est un exemple clair d'usage d'un terme avec de bonnes connotations pour l'attacher à quelque chose qui n'est pas bon, pour déguiser la vraie nature d'une action. La même chose s'applique au mot “sécurité” dans l'hypocrisie politique commune ou au terme “le saint esprit” dans la théologie Chrétienne, ainsi que le texte de l'Evangile de Philippe nous en met en garde (53:30). En acceptant ces mésattributions, nous jouons le jeu des Archontes. Nous nous fourvoyons et nous devons nous fourvoyer afin d'apprendre; donc ce n'est pas fondamentalement un problème. Mais les Archontes peuvent nous influencer au travers de nos erreurs lorsque nous les nions et que nous leur permettons de se développer au-delà de toute correction possible. Dans la vie, il est parfois tout simplement trop tard pour corriger certaines conceptions erronées trop enracinées.

De par leur perception aiguë de la syntaxe mentale, les Gnostiques semblent avoir anticipé la notion Orwelienne de double-langage, la stratégie de mésattribution délibérée de mots afin qu'ils signifient l'opposé de ce qu'ils veulent dire. Le passage ci-dessus convie assurément une définition convaincante du double-langage. Mais ensuite, dans un retournement surprenant, l'enseignement nous dit que nous avons la chance d'être leurrés par les Archontes pour la raison suivante: le risque de tromperie est une épreuve nous permettant de voir si nous sommes capables de discerner la vérité et de nous débarrasser des mésattributions de la vérité. En faisant face à l'épreuve des Archontes, nous réalisons notre potentiel réel, la capacité de connaître tout comme les dieux connaissent (ce qui n'est pas dire que nous devenions des dieux).

Les enseignements Gnostiques veillent étroitement à nous rendre attentifs à cette épreuve et plus particulièrement dans le domaine de l'idéologie et de la croyance religieuses. Rappelons ce passage étonnant du Second Traité du Grand Seth, qui met en garde contre l'esclavage de “mourir en Christ”. “C'est une honte de se laisser réduire en esclavage par le concept de rédemption alors que notre mental possède la faculté d'auto-libération.” En fait, le terme théologique de rédemption est une mésattribution: il s'agit d'asservissement et non point de rédemption. Dans le Grand Seth, l'instructeur Gnostique dévoile explicitement cette mésattribution, ou inversion du sens sémantique, lorsqu'il souligne que ceux qui acceptent la doctrine de l'expiation divine réalisent l'opposé de ce qu'ils croient: “Car la mort dont ils pensent que j'ai souffert, c'est en fait eux qui en souffrent dans leur erreur et leur aveuglement.” (55:30).

La distorsion syntaxique est comparable au jeu de Password dans lequel un mot initial “humble” finit par devenir “trouble”. Dans le jeu, les joueurs sont éventuellement informés du mot initial mais dans la vie réelle, très souvent nous ne pouvons pas détecter le terme original qui a été mésattribué. Le terme “Dieu”, par exemple, est tellement entaché de mésattributions qu'il en devient presque impossible de formuler un concept viable, simple et clair.

La notion de mésattribution est encore abordée dans d'autres passages de l'Evangile de Philippe. Le passage 56 présente une discussion peu claire au sujet des noms “Jésus”, “Christ” et “le Nazaréen”. (Cette discussion est reprise, de façon quelque peu différente, dans les passages 62 et 63:20). Les deux premiers termes, comme d'habitude, sont indiqués en Copte sous forme de code. L'affirmation selon laquelle “Jésus n'est pas propre à un langage particulier” est étonnante parce qu'elle souligne que le terme Jésus est communément adopté dans tout le monde. Est ce dû à une perception spirituelle universelle du personnage du sauveur, Jésus? Les Gnostiques diraient que non. Cela vient plutôt du fait que quelque chose est toujours appelée par ce nom même lorsque ceux qui l'utilisent ne sont pas conscients de la nature de cette chose. L'universalité de ce nom signifie que les gens ne savent pas de ce dont ils parlent. Ils pensent qu'ils s'adressent à Jésus mais “Jésus est un nom caché”. Ce passage fait allusion à l'enseignement Gnostique relatif au Mesotes, le guide intérieur, qui est également appelé “le Jésus vivant”. La plupart des gens utilisent de nos jours le nom Jésus pour désigner le personnage historique supposé du Nouveau Testament. Pour les Gnostiques, ce terme signifiait quelque chose de tout autre.

Contrairement à Jésus, “Christos est un nom révélé”. Pourquoi? Parce que l'acte de consécration réalisé par l'Eon Christos, et décrit dans le mythe de la Sophia Déchue, est manifeste dans l'entièreté de la nature et imprègne la nature humaine. Ce paragraphe se fonde totalement sur des enseignements des Mystères qui ne sont pas ici élaborés mais juste suggérés. (Voir ci-dessous).

Les passages sur la mésattribution sont mis en valeur par un éclair qui plane dans le mental comme un signal lumineux: “La Vérité, qui exista depuis l'origine du monde, est partout semée. Nombreux sont ceux qui la voient semée et peu sont ceux qui la voit moissonnée.” (55:20).

Résurrection

Le terme “résurrection” fait partie des termes mésattribués communément trouvés dans l'idéologie Judéo-Chrétienne. L'Evangile de Philippe contient de nombreux passages remarquables (et de nouveau non séquentiels) à ce sujet. Ce texte est implicitement anti-Juif et anti-Chrétien dans le sens qu'il démolit et inverse la conception littérale de la résurrection promue par ces religions. Nous devons souligner que le courant principal du Judaïsme ne croit pas en la résurrection du corps physique au contraire de l'idéologie Zaddikim de la secte de la Mer Morte. Ce fut contre les doctrines rédemptrices des Zaddikim, (“le complexe du rédempteur palestinien”) que les Gnostiques protestèrent avec le plus de véhémence. C'est pour cela que les Gnostiques, les “enfants de Seth”, étaient considérés, par la secte de la Mer Morte, comme leurs pires ennemis.

Ce thème apparaît furtivement dans le passage 52 qui affirme, de façon paradoxale, que seul celui qui a réellement vécu peut mourir - mais cette notion n'est pas clairement ou complètement explicitée. Le passage 53 semble promouvoir la théologie orthodoxe Chrétienne de la rédemption, mais il lui donne une autre tournure. En effet, il affirme que “le Christ a sacrifié sa vie” mais pas au travers de l'événement unique de la Crucifixion de Jésus. Cet acte s'est plutôt réalisé “avant la fondation du monde”. Ce langage fait allusion à l'intercession du Christos décrite dans le Mythe de Sophia. Saint Paul utilise ce langage, ce qui conduit Elaine Pagels à assumer qu'il possédait une connaissance Gnostique. Mais le simple usage de termes ne garantit pas la connaissance de ce qu'ils signifient. Dans le passage 55, l'intercession est décrite en langage symbolique: “Avant que l'Eon Christos ne vienne, il n'y avait pas de nourriture pour l'humanité... et donc les humains se nourrissaient comme des animaux... mais lorsque se manifesta Christos, l'homme parfait, il apporta de la nourriture afin que l'humanité soit nourrie de la manière appropriée”.

“L'homme parfait” est PITELIOS ROME en Copte. Je le rend par “l'homme ultime” ou “ultra-homme”, terme utilisé par l'écologie profonde. On pourrait aussi le rendre par “homme potentiel”, en empruntant une expression à Jean Houston. Dans le mythe de la création Gnostique, l'Eon Christos est un être divin qui focalise le potentiel de l'humanité, l'Anthropos, la singularité humaine. L'Anthropos est défini par son potentiel ultime, l'expression la plus élevée de la singularité qu'il puisse achever: PITELIOS ROME. Considéré de façon dynamique, notre potentiel est un ensemble d'instincts qui nous caractérise en tant qu'humains distincts des autres animaux qui possèdent un autre ensemble d'instincts. Dans le mythe de la Sophia Déchue, l'Eon Christos intervient très tôt dans l'évolution de la biosphère parce que Sophia, elle-même, de par sa métamorphose en Gaïa, est incapable de générer de l'ordre dans sa progéniture, y compris l'humanité. Christos régule les processus de l'instinct humain et remet ainsi sur une bonne voie l'expérimentation biologique de Sophia afin que l'humanité puise évoluer “de la manière appropriée”. C'est l'intercession du Christos qui est mentionnée dans le passage 55.

L'action du Christos n'est pas la résurrection mais l'intercession: élever l'humanité vers le domaine adéquat de ses instincts. C'est la correction Gnostique du concept de résurrection. Il est évident que nous ne pouvons pas opérer la correction sans connaître l'arrière-plan mythologique.

L'Evangile de Philippe aborde, ailleurs, le thème de la résurrection sous une perspective différente. Le passage 56 présente une remarque frappante: “Certains ont peur (lorsqu'ils seront ressuscités) qu'ils s'élèveront nus, sans vêtements. A cause de cela, ils ne souhaitent pas s'élever dans la chair et ils ne savent pas que ce sont ceux qui portent la chair qui ne sont pas nus.” (le passage accentué est de mon fait). L'allusion à “s'élever dans la chair” possède une connotation sexuelle. Ce passage énigmatique associe le thème de la résurrection à un autre thème principal de l'Evangile de Philippe, les rites du mysticisme sexuel. La mésattribution concernant la résurrection est liée à la présentation de la réapparition dans un nouveau corps comme une promesse alors que ce qui est réellement merveilleux, c'est de prendre conscience de la façon dont nous ressuscitons dans ce corps, ici et maintenant. “Ceux qui portent la chair ne sont pas nus” parce qu'ils comprennent que la chair elle-même, ce corps dans lequel nous vivons, est un instrument divin, un vêtement sacré. Tel est l'enseignement des Mystères sur la résurrection qu'il nous faut lire entre les lignes, çà et là, dans ce document étrange et étonnant.

L'affirmation la plus remarquable sur la résurrection est, peut-être, le passage 73:5 - là encore, sans logique séquentielle. “Ceux qui disent qu'ils mourront avant de s'élever sont dans l'erreur”. Cela constitue une réfutation sans ambages de la notion littérale et orthodoxe de résurrection. La phrase utilise une forme du Grec plane, planasthe, “être dans l'erreur, être dévoyés”. Après avoir souligné une conception erronée - à savoir, après avoir dévoilé la mésattribution de la résurrection - le texte présente une alternative: “S'ils ne reçoivent pas la résurrection tout d'abord pendant qu'ils vivent, ils ne recevront rien lorsqu'ils meurent” (le passage accentué est de mon fait). C'est une révélation incroyable. Ce que les Gnostiques enseignaient, quant à la résurrection, émanait de l'expérience de la régénération, palingenèse, dans les Mystères. Ici et là, l'Evangile de Philippe affirme que nous possédons une capacité de régénération perpétuelle qu'il nous faut découvrir pendant que nous vivons, si nous voulons espérer vivre une forme quelconque d'existence post-mortem.

“Il est nécessaire de s'élever dans la chair, puisque tout chose existe en elle” (57:15). Ce n'est pas une affirmation émanant de gens qui haïssaient le corps physique alors que c'est souvent une accusation qui est proférée à l'encontre des Gnostiques. Le passage 57 évoque le sacrement par lequel la chair de Jésus est consommée et son sang est bu mais là encore il corrige les mésattributions afférentes. Cependant, la discussion s'enlise dans des expressions obscures et hésitantes. On a le sentiment que le sujet est épineux ou bien trop délicat à gérer. On ressent une réticence à aller au coeur du problème et le langage devient évasif... Pourquoi? Probablement parce que la nature de la “messe” appréhendée en termes Gnostiques était un sujet tabou, un sujet réservé à l'expérience des Mystères. Cet aspect du thème de la résurrection est, cependant, repris lorsque l'Evangile de Philippe aborde deux autres aspects qui lui sont corrélés, la Lumière Divine et la sexualité mystique.

La Lumière Divine

Le passage 57:15 introduit le thème intrigant de “la lumière dans la chair”, évoqué de façon plus explicite dans le passage 58: “Vous qui avez rejoint la lumière parfaite, unissez les anges avec nous, comme étant les images” (58:10). La traduction est à peine intelligible. “La lumière parfaite” est MPITELEION PIOYOEIN, qui utilise de nouveau la racine telos. Si je proteste contre la convention des érudits de traduire teleios par “parfait”, c'est parce que je considère que c'est une traduction qui nous fourvoie sans cesse. La “lumière parfaite” est la “lumière initiatrice”, le vecteur d'instruction dans les Mystères. J'ai par ailleurs suggéré de l'appeler “la Lumière Organique” afin de la distinguer de la lumière invisible de l'atmosphère.

Il existe deux évocations fugitives de la Lumière Organique mais ensuite le passage 67 commence par une description plus extensive et plus explicite.

“Le feu est le chrisme, la lumière est le feu. Je ne fais pas référence à ce feu qui est sans forme mais à l'autre feu dont la forme est blanche, radieuse et magnifique et qui confère la beauté”.

C'est une révélation rare et remarquable d'une expérience des Mystères, connue uniquement de ceux qui sont initiés dans les Mystères les plus Grands. Dans cet ancien idiome, le terme “feu” (en Copte KOTH) était utilisé pour la lumière de l'atmosphère, c'est à dire la lumière du soleil qui génère de la chaleur et peut allumer un feu. Cette sorte de lumière se manifeste lorsque la radiation solaire pénètre dans l'enveloppe atmosphérique. Ainsi que Wilhelm Reich l'a souligné, la lumière atmosphérique est un phénomène local: ce n'est pas simplement de la radiation solaire libérée dans l'atmosphère mais une transformation chimique spécifique des rayons solaires qui ne se manifeste que localement, au sein du fourreau atmosphérique, et qui est sujette aux conditions de la biosphère. Le feu ou le feu solaire est la base de la lumière atmosphérique mais il existe aussi une autre sorte de lumière, qui est appelée ici le chrisme, le vecteur de l'onction. Selon le texte, cette autre lumière est blanche, radieuse et magnifique et elle confère la beauté. La Lumière Organique est blanche et visible, c'est à dire, elle peut être perçue, en contraste avec la lumière naturelle et atmosphérique qui est invisible, et donc ne peut être perçue, bien qu'elle rende tout chose visible.

Le passage 69:10 poursuit la révélation de la Lumière perçue dans les Mystères. Il décrit le rite secret du baptême “dans la lumière et dans l'eau” et réitère que “la lumière est le chrisme”. Cette affirmation ne prend du sens que si l'on sait de quelle lumière il s'agit. Les érudits assument que le langage est tout simplement métaphorique mais ils se trompent totalement. L'initiation implique une rencontre réelle et tangible avec la Lumière Organique. “L'eau” n'est pas H2O mais un effet prévisible qui accompagne la Lumière Organique: le sentiment d'être baigné ou immergé dans un médium porteur de vie. Le langage de ce texte n'est ni métaphorique ni symbolique mais il fait allusion à des expériences sensorielles réelles, vécues dans un état de perception non-ordinaire, et suscitées à chaque fois par le rite d'initiation. Quiconque participait aux Grands Mystères voyait la Lumière Organique et certains adeptes réalisaient cette sublime expérience mainte et mainte fois.

Le passage 70:5 affirme que les initiés qui sont vêtus, ou enchâssés, par la Lumière Mystérielle ne sont pas détectés par “les puissances” et qu'ainsi les puissances “ne peuvent pas les capturer”. C'est une allusion directe à l'intrusion des Archontes, l'espèce extra-terrestre prédatrice qui préoccupait tant les Gnostiques. “On se vêtira de cette lumière sacramentale lors de l'union”. Cette phrase bizarre utilise des termes spéciaux, PIMYSTERION HEM PIHOTER, “Le Mystère de l'Union”, mais cela est corrompu par la traduction. Cela devrait être rendu ainsi: “Quiconque sera vêtu de cette lumière demeure (ou doit demeurer) dans le Mystère de l'Union.” L'Evangile de Philippe, ici, intègre le thème de la Lumière Divine avec deux autres thèmes, la sexualité mystique et la réconciliation des genres, ou la polarité des genres, dont on discutera plus avant. L'aspect le plus essentiel à retenir de ce passage remarquable est l'affirmation selon laquelle la Lumière Mystérielle entoure et protège l'initié de l'intrusion extra-terrestre.

Reprenant le motif sang-chair-eau-lumière-baptème, le passage 75:20 affirme que la boisson sacramentale des Gnostiques “est emplie du Saint Esprit et appartient aux initiés”. Le mot Grec pour esprit, pneuma, est codé PNA avec une ligne transversale au-dessus. Vient ensuite une déclaration saisissante: “L'eau vivante est le corps”. C'est une affirmation relativement judicieuse car nous savons que le corps humain est constitué de 75 % d'eau. “L'eau vivante”, PIMOOYN ETONEH en Copte, rappelle l'expression secrète “le Jésus vivant” qui utilise également le mot ETONEH. “Il est nécessaire que nous mettions en oeuvre l'homme vivant, MPIROME ETONEH”. Cette phrase utilise le mot Copte pour humain, ROME (personne ne sait comment le Copte était prononcé d'ailleurs). Il faut lire: “Prendre conscience que l'eau vivante est le corps, c'est vivre dans le sens humain”. Le baptême dans l'eau ne signifie rien, c'est un rituel stérile. Nous vivons dans l'eau. C'est la réalité biologique de la condition humaine. Le cerveau d'un être humain est tel un mouchoir de papier détrempé. Ce n'est que lorsqu'il est extrait que le cerveau apparaît dense et solide, comme une éponge lourde.

Un passage subséquent, 77:5 utilise ROME et OUABB, “sacré”. Les érudits traduisent cela par “prêtre, saint homme” mais ils se fourvoient. Il faudrait mieux le rendre par “l'être humain qui est consacré, celui qui perçoit le sacré”. Ainsi:

“L'être humain qui perçoit le Sacré est sacré dans son corps même. Lorsqu'une personne prend du pain, elle le consacre. Si elle prend une coupe ou tel autre sacrement, elle va le consacrer. Cela étant, comment une telle personne ne va-t-elle pas consacrer son corps également?”

Les érudits nous disent que l'Evangile de Philippe est, plus que tout autre texte des Codex de Nag Hammadi, une description des sacrements Gnostiques. Il est patent que ce passage, à lui seul, réfute la mésattribution intentionnelle, dirigée par les Pères de l'Eglise contre les Gnostiques, en les accusant de haïr le corps et de rejeter le monde matériel. Tout au contraire, les Gnostiques pratiquaient une science sacramentale des sens, ainsi que je l'ai dénommée. La voie des Mystères était une illumination psychosomatique.

Dans l'Evangile de Philippe, toutes les allusions à “l'homme parfait”, PITELEIOS ROME, sont étroitement associées avec le thème de la Lumière. Les Gnostiques croyaient qu'en contemplant la Lumière Organique non seulement ils devenaient à l'image de la Lumière mais qu'en plus ils connaissaient, grâce à la rencontre avec cette Lumière, la nature authentique de l'homme et la finalité de la personnalité. L'immunité contre l'erreur des Archontes est conférée par cette expérience.

“Les puissances ne seront pas capables de capturer les initiés car elles ne seront plus capables de les détecter. Il n'existe pas d'autre façon, pour quiconque, d'acquérir cette faculté (ou immunité) que d'accepter, et de pénétrer dans, la Lumière Mystérielle, pour se transformer en cette lumière. Quiconque l'a réalisé entrera... C'est le but ultime... que nous... puissions devenir... avant que nous quittions (ce monde)... Quiconque reçoit (l'instruction de la Lumière) reçoit tout chose... ici... afin d'être capable ( de vivre au-delà de cette vie), la place (de la mortalité)... la zone médiane (où nous vivons pour devenir initiés, “perfectionnés”). Seul le guide intérieur, le Jésus vivant, connaît la finalité (telos) de la personnalité, le but ultime de la vie personnelle”.

Cela vaut sûrement la peine de souligner que l'Evangile de Philippe conclut avec une affirmation puissante quant à la Lumière Divine:

“Il en est ainsi: cela est révélé à chacun seul, non pas caché dans l'obscurité et la nuit, mais caché dans un jour parfait et une lumière divine”.

La Sexualité Mystique

La dynamique sacramentale de l'Evangile de Philippe est franchement sexuelle mais elle est aussi distinctement mystique. “L'amour spirituel n'est que parfums et vins” (77:30).

Le sexe sacramental (“sexe tantrique”) était réputé avoir été pratiqué par certains groupes Gnostiques tels que les Ophites adorateurs de serpents, et les Naasenes, qui étaient espionnés par le converti Chrétien, Epiphanie. “Le culte du serpent” fait référence à la pratique yoguique avec la Kundalini, le Pouvoir du Serpent. La Kundalini peut être activée par des exercices yoguiques difficiles, combinant les asanas et la méditation, mais également de façon plus puissante et spontanée par l'extase sexuelle. Le mysticisme sexuel est une voie permettant aux intensités des préliminaires et de l'union sexuels d'atteindre à des niveaux mystiques de perception accrue. La première allusion au sexe sacramental dans l'Evangile de Philippe se situe au passage 59:5 qui décrit le “baiser tantrique” utilisé cérémonialement pour accueillir les initiés dans les Mystères. Il semblerait que les initiés s'embrassaient et s'étreignaient socialement, comme les citoyens US le faisaient à la fin du siècle passé. Les Gnostiques associaient le baiser sur la bouche avec la nourriture et le partage du don de la vie:

“C'est du fait que nous soyons consacrés aux matières divines que nous recevons la nourriture (spirituelle) (qui vient, tout comme la nourriture vient à nous) de la bouche. Et c'est ainsi qu'il est connu dans ces endroits (les Mystères) que la vie est nourrie de la bouche par ceux qui seraient initiés (“deviendraient parfaits” teleios). Car c'est par un baiser que nous concevons et donnons naissance (à nous-mêmes). C'est pour cette raison que nous nous embrassons les uns les autres. Nous concevons (notre propre humanité) au travers de la grâce (charis) que nous trouvons en chacun” (58:9).

Le baiser sur la bouche était ainsi à la fois une cérémonie sociale et un rituel spirituel chez les Gnostiques. Le plus célèbre exemple - certains diraient le plus infâme - de ce type de baiser se trouve dans l'Evangile de Philippe, au passage 63:30-64:10, où le maître Gnostique (qui n'est pas nommé Jésus, ici, et le texte est abîmé) embrasse sa compagne Marie-Madeleine sur la bouche en présence de ses “disciples” (matheses: il faut lire étudiants). L'Evangile de Philippe, dont l'édition est généralement approximative, juxtapose une ligne au sujet de la déesse Sophia avec le nom de Marie Madeleine, assumant ainsi une sorte de parallèle, mais sans aucun effort éditorial pour en présenter un commentaire. “Quant à Sagesse (Sophia), elle est appelée 'la stérile' quand bien même elle est la mère des anges. Et la compagne de... Marie Madeleine...” (63:30). Madeleine était considérée par les Gnostiques comme une personnification humaine appropriée de Sophia, mais pas comme la seule personnification humaine et pas, non plus, comme une incarnation directe de la déesse.

Après la brève apparition du baiser, il nous faut aller à la fin du passage 63 pour la première mention explicite de sexualité sacramentale: “Grand est le mystère du mariage (gamos)”. On pourrait également le rendre ainsi: “Grands sont les mystères de l'accouplement” car le pluriel mysterios est utilisé plutôt que le singulier mysterion. Les mystères de l'accouplement impliquent tous les mélanges de genres mais l'Evangile de Philippe se concentre sur la polarité de genre mâle-femelle, en cohérence avec le thème de l'harmonie des genres ou réconciliation des genres. Les passages 63:30-64 mettent en garde contre les mésattributions concernant ce problème crucial: “Maintenant, l'existence du cosmos et l'existence de l'accouplement sont corrélées. Réfléchissez sur cette relation, car elle confère du pouvoir. Cependant, l'image de l'accouplement est contaminée (est une profanation).” Le passage suivant (du bas de la page 148 au tiers supérieur de la page 149 de la version anglaise des NHLE) doit avoir été interpolé car il contient des jugements anti-sexuels flagrants qui sont incompatibles avec l'esprit général de ce texte. Les femmes faciles et les hommes salaces condamnés ici sont probablement les participants aux Mystères dont l'attrait physique et l'assurance sexuelle éveillaient la jalousie et la répugnance chez les Chrétiens qui haïssaient le corps. Dans le rapport secret d'Epiphanie sur les Naasenes, il les décrivit comme des séducteurs sans vergogne qui se livraient à des orgies sexuelles.

A partir du passage 65, l'Evangile de Philippe est largement inintelligible jusqu'au passage 67:5, où, une fois de plus, est abordé le thème du chrisme de la Lumière Organique. Le texte introduit alors un terme exceptionnel: nymphion qui est traduit par “chambre nuptiale”. A ce point du texte, les thèmes de la Lumière Divine et du mysticisme sexuel fusionnent car nymphion est le nom, dans le langage des Mystères, pour l'aura ou la cellule de Lumière Divine qui enchâsse les partenaires durant l'union sexuelle sacramentale. De par l'éveil de la Kundalini durant l'étreinte sexuelle, les partenaires prennent conscience d'une aura qui les entoure, tel un voile opaque lumineux. Transportés dans un état de conscience accrue, ils perçoivent leurs propres corps comme composés partiellement de lumière. En fait, ils ne voient pas du tout leur corps physiques solides normaux mais ils voient plutôt une image d'eux-mêmes:

“Il y a une renaissance et une image (ikon) de la renaissance. Laquelle? Résurrection (anastasis). L'image soit s'élever de nouveau au travers de l'image. La chambre nuptiale et l'image doivent entrer au travers de l'image dans la vérité: voici la résurrection.”

Ce passage déconcertant fait référence à une expérience ineffable qui devrait être comparée au fait de percevoir notre image rémanente et de la voir prendre vie. Le pouvoir de la résurrection dans la sexualité mystique génère une re-visualisation du corps et produit des effets certains au niveau cellulaire. “L'image du corps doit s'élever de nouveau au travers de l'image incorporelle”. L'image rémanente entraperçue dans un état altéré d'intense extase sexuelle imprègne le corps physique d'une nouvelle vie.

“Le maître fait toute chose dans un mystère, un baptême et un chrisme, et une eucharistie et une rédemption, et une chambre nuptiale” (67:25). Le compilateur de l'Evangile de Philippe décline la liste des éléments de la sexualité sacramentale sans les structurer en une séquence intelligible. La ligne précédente affirme que quiconque saisit le secret de la gauche et de la droite (chiralité) “n'est plus du tout un Chrétien mais un Christ (CHRS)”. La sexualité mystique peut atteindre à un niveau de conscience transcendante qui induit une identification momentanée avec le Divin. Au passage 69, il y a une déclaration saisissante: “Nous sommes générés par le Christ dans le deux”. Pour être techniquement correct, chaque mention de CHRS dans les écrits Gnostiques devrait être traduite par Christos plutôt que Christ. “Nous sommes nés au travers du Christos dans la dyade”. Ce langage ésotérique fait référence à l'enracinement des initiés dans la dyade mystérieuse du cosmos et du corps humain. Il nous oriente vers une vision transcendante du genre, plutôt que vers une transcendance du genre à proprement parler.

Harmonie des Genres

Le thème de l'harmonie des genres est étroitement associé à la sexualité mystique et à la consécration par la Lumière Divine. Certains érudits considèrent que c'est le message principal convié par l'Evangile de Philippe. Il apparaît très souvent et est développé de façon extensive lors de deux passages.

Selon le commentaire dans l'édition complète de la CGM, l'auteur ( de ce texte) considère que la maladie existentielle de l'humanité est un résultat direct de la différentiation des sexes, dont l'origine remonte à la séparation d'Eve et d'Adam. (W.I. Isenberg, V.II, 2, page 136). Il en est ainsi, assurément, car le leit-motiv de la séparation est un élément essentiel dans l'éthique et la cosmologie Gnostiques. Il est bien connu que les Gnostiques “rejetaient la procréation” mais la raison de ce refus est très peu souvent prise en compte, sinon jamais. Ce n'est certainement pas parce qu'ils rejetaient les relations sexuelles qu'ils considéraient, en fait, comme un sacrement; ou parce qu'ils haïssaient le corps comme leurs ennemis le prétendaient à tort. Leur refus de la procréation était plutôt du à une vision à long terme qu'ils entretenaient à propos de l'Eon Sophia, la “Déesse Déchue”, au coeur de leur cosmologie. Dans l'Evangile de Philippe, le thème de l'équilibre des genres est mélangé avec quelques petits aperçus du mythos Sophianique, tel que dans le passage suivant:

“Les apôtres dirent aux disciples: 'Puisse notre offrande complète obtenir du sel'. Ils appelaient [Sophia] 'sel'. Sans lui, aucune offrande n'est acceptable. Mais Sophia est stérile, [sans] enfant. Pour cette raison, elle est appelée... de sel. Où ils voudront, de leur propre manière, le saint esprit [...60 and ] ses enfants sont nombreux.”

Ce passage est problématique, en raisons de lacunes et d'allusions obscures. (Les érudits du Gnosticisme ont recours à ces parenthèses [ ] pour les mots manquants qui sont parfois restaurés). La “stérilité” de Sophia est étrangement associée avec le sel. Les Gnostiques refusaient d'engendrer leurs propres enfants car ils estimaient que ce qu'ils pouvaient offrir de meilleur au monde n'était pas une progéniture biologique mais du “sel” - un ingrédient qui intensifie le parfum et conserve la nourriture. De façon métaphorique, le sel est le parfum unique de l'intelligence humaine. Les Gnostiques s'étaient fixé de très hauts idéaux. Ils n'acceptaient aucun acte ou offrande qui ne soit agrémenté de la sagesse authentique humaine, la signature de notre espèce.

“Vous êtes le sel de la terre, mais si le sel a perdu sa saveur?”

Dans ce passage rendu méconnaissable de par ses lacunes, on peut suggérer que Sophia est “[prégnante] de sel” et que “ partout où ils [les initiés] vont [procréer] selon leurs propres voies, le saint esprit [l'esprit de créativité se manifestera] et sa progéniture sera nombreuse”.

Metahistory.org développe le Mythe de Sophia des Mystères dans le contexte de l'écologie profonde et de la théorie de Gaïa. Lynn Margullis, spécialiste de la biologie évolutive, et coauteure de l'hypothèse Gaïa, a affirmé que, strictement parlant, Gaïa ne peut pas être définie comme un organisme parce qu'elle ne se reproduit pas. “Sophia est stérile”. Mais s'il est vrai qu'elle ne produise pas de progéniture biologique, ne se peut-il pas qu'elle génère une autre sorte de progéniture? Reformulons la question: Gaïa ne pourrait-elle pas se reproduire par des voies non-biologiques? Au travers de la continuité phylogénétique de l'espèce humaine, l'intelligence de la planète vivante achève une continuité grâce à une conscience qui perdure au-delà des vies des créatures individuelles qui en sont porteuses; cette conscience doit être cependant portée par des individus.

Le passage 70 déclare que “Christos vint pour réparer la séparation” entre les mâles et les femelles et affirme que le rite de réunion se passe dans le nymphion, la chambre nuptiale. Le passage 71:15 présente l'affirmation étonnante selon laquelle “Adam émana de deux vierges, de l'esprit (en Grec pneuma) et de la terre vierge (en Copte haz, dérivé du Grec, gea, gaia). Le Christ, donc, naquit d'une vierge pour rectifier la chute qui se manifesta aux origines.” C'est un bon exemple de passage qui semble valider, de façon indiscutable, les doctrines Chrétiennes orthodoxes, la Naissance d'une Vierge, la Chute, doctrines qui étaient réfutées sans ambages par les Gnostiques dans d'autres textes des Codex de Nag Hammadi. Cependant, par la chute, les Gnostiques entendaient le plongeon de Sophia, l'événement qui précipita la division des sexes; et ils entendaient par naissance d'une vierge (en Grec parthenos) la génération de la race humaine (Adamas) à partir des femmes originelles ou autochtones qui peuplaient la terre, et ce, en toute indépendance du genre mâle. Cette histoire, enseignée dans les Mystères, fonde tous les enseignements Gnostiques authentiques sur la problématique de la “rupture des genres” comme je propose de l'appeler.


Le passage 72 offre quelques mots provocants sur l'aisance de la procréation physique, mettant en contraste la progéniture biologique avec “les enfants du nymphion qui [ ] vont prendre soin des enfants du mariage”. Il est décevant que l'on ne puisse pas tirer grand chose de cela. Il se peut que cela suggère qu'une sorte de progéniture imaginaire (les enfants du nymphion générés lors de rites sexuels sans procréation) va d'une quelconque façon servir ceux qui se sont dédiés à l'accouplement et à l'union des genres (les enfants du mariage, gamos).

Le passage 76 affirme explicitement la nature éternelle de l'union sacrée. Il utilise l'expression intrigante “le coeur de la chair” mais nous laisse totalement songeurs quant à sa signification. Le passage 78 reprend le thème de l'union sexuelle, contrastant la procréation animale et la procréation humaine, et il en est de même dans les passages 81 et 82; cependant, en raison de la présentation hachée et incohérente de ces textes, il est épuisant de tenter d'en faire du sens. Un bon exercice consisterait à extraire tous les passages corrélés à ce thème, à les rassembler dans un document unique et à méditer sur leur contenu.

Erreur et Liberté

Le thème de l'erreur, le dernier mais pas le moindre, étroitement relié à la mésattribution, est présent dans tout l'Evangile de Philippe et se fraye un chemin au travers de nombreux passages. Il est l'occasion, à un moment, d'une révélation extraordinaire: “L'origine du monde est due à une erreur” (75:1-5). C'est une des affirmations les plus provocantes de tout le corpus Gnostique. Comme je l'ai expliqué dans la première partie de Coco de Mer, cela ne veut pas dire que le monde est défectueux, ou que l'existence matérielle est mauvaise ou que nous sommes tous piégés dans une illusion. Cela signifie spécifiquement que l'ordre du monde dans lequel nous demeurons, le système planétaire, est une anomalie résultant de l'action unilatérale de la Déesse Sophia. L'erreur n'est pas le plongeon de Sophia, mais l'impact imprévisible qu'il eut sur la matière élémentaire, le chaos des champs quantiques. Tout comme tant d'autres allusions dans l'Evangile de Philippe, cette ligne ne fait pas de sens sans une connaissance de l'arrière-plan de la mythologie Gnostique. Et elle est totalement isolée, comme un joyau enchâssé dans des gravats.

Il est également une seconde façon d'interpréter cette ligne selon le sens noétique plutôt que le sens cosmologique. Dans le sens noétique “Le monde apparaît autre que ce qu'il est parce que la perception que nous en avons est erronée”. L'erreur réside dans la façon dont nous percevons, dans la façon dont nous contemplons ce qui se présente à nous. D'autres passages dans l'Evangile de Philippe développent la problématique de l'erreur perceptuelle, plane, en contraste avec l'erreur mentale, apaton. Nous avons vu comment cette problématique est traitée dans le contexte de la mésattribution, le premier thème qui soit considéré. Certains autres passages, corrélés au problème du conditionnement mental et de la capacité de se libérer de l'erreur grâce à l'illumination, offrent un certain nombre d'envolées mémorables:

“La vérité est la mère, la connaissance est le père... Quiconque est réellement libre par la connaissance est un esclave de l'amour, à savoir l'amour pour ceux qui n'ont pas encore été capables d'atteindre à cette liberté” (77:15-235).

“L'ignorance est la mère de tous les maux... La connaissance est la liberté. Si nous parvenons réellement à la vérité, nous trouverons les fruits de la vérité au sein de nous-mêmes. Si nous nous unissons avec la réalisation de la vérité, elle nous mènera à l'accomplissement” (83:30-84:10).

“N'est-il pas nécessaire à ceux qui possèdent tout (c'est à dire la singularité, le potentiel infini) de se connaître eux-mêmes? Assurément, ceux qui ne se connaissent pas eux-mêmes ne pourront pas profiter du potentiel qui est le leur” (76:15).

Ce commentaire est pour l'instant le plus long dans le plan de lecture des Codex et cependant une grande partie de ce texte n'a pas été prise en compte. Malgé avoir rédigé 14 pages de commentaires pour 19 pages de texte, j'ai tout de même négligé un certain nombre de passages-clès qui seraient source de trésors s'ils étaient explorés dans le détail. La richesse pure de l'Evangile de Philippe est épuisante mais en vaut largement les efforts qu'on lui accorde. Ce texte dessert un relecture sélective mais la cadence du plan de lecture requiert que nous avancions. Sans néanmoins omettre de souligner un couple d'envolées étonnantes:

“L'amour (agape) est le vent dans lequel nous croissons.
La connaissance (gnosis) est alors la lumière dans laquelle nous mûrissons.” (79:25-30)

Traduction de Dominique Guillet