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La Passion de la Terre

Première Partie

•> 05. Folie Messianique

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Chapitre 5

La Folie Messianique

John Lash

Traduction de Dominique Guillet.

“Le Monastère [de Khirbet Qumran], cet édifice de pierre qui perdure, entre les eaux amères et les falaises vertigineuses, avec son four et ses encriers, son moulin et ses égouts, sa constellation de fontaines sacrées et ses tombes sans ornements, est, sans doute plus que Bethléem ou Nazareth, le berceau du Christianisme”.

Khirbet Qumran, les “ruines de Qumran”, est situé à environ 50 kilomètres à l’est de Jérusalem, surplombant la Mer Morte. A partir de 1947 jusqu’à la fin des années 1950, des excavations sur ce site désolé permirent de mettre à jour un trésor inégalé d’écrits antiques. Ces découvertes comprenaient des oeuvres complètes, tel que le manuscrit le plus antique d'Isaïe, aussi bien que des milliers de fragments de la taille d’un timbre-poste qui durent être patiemment réunis tels les morceaux d’un puzzle. Les manuscrits furent rédigés entre 250 avant EC et 70 EC, date de la destruction de Jérusalem par l’armée Romaine lors d’une offensive draconienne de répression de la révolte Juive. Cette révolte avait pour finalité d’établir un état théocratique Juif en Palestine, en cohérence avec les deux premiers principes du complexe du rédempteur. C’était, du moins, ses buts politiques et militaires avoués. Mais le culte de Khirbet Qumran avait également un autre objectif, un programme apocalyptique de jugement final, en cohérence avec les troisième et quatrième principes du complexe du rédempteur: la venue du messie et le jugement final. Ce mélange mortel d’éléments mystiques et militants n’est pas, bien sûr, étranger au monde moderne. La secte Zaddikite de la Mer Morte représente la forme larvaire du syndrome de terrorisme global prévalant de nos jours.

Les manuscrits furent rédigés sur des parchemins de cuir en Hébreu et en Araméen et parfois en Grec. Leur contenu est extrêmement diversifié: règles de vie communautaire, visions apocalyptiques, commentaires érudits, récits mythologiques, oeuvres astrologiques (incluant un thème natal du messie), les derniers mots de divers patriarches, des psaumes, des liturgies, des argumentations légales, des incantations et des calendriers. Les manuscrits se divisent en deux catégories: biblique et sectaire. La première catégorie, qui constitue un quart environ de toute la collection, inclue des fragments déjà connus de la Bible Hébraïque. Les versions Qumraniques de ces textes datent d’un millier d’années de plus que la Bible Masorétique, la version Hébraïque standard de la Bible Chrétienne. Etonnamment, la Bible Masorétique correspond souvent lettre pour lettre aux équivalents dans les Manuscrits de la Mer Morte, ce qui atteste du très grand soin dont firent preuve les scribes Juifs au fil des siècles; cependant, il existe également de nombreuses variantes. La Septante Grecque, découverte à Alexandrie entre 250 et 100 avant EC, fut traduite à partir de textes Hébraïques originels qui furent rédigés plusieurs siècles auparavant et qui furent ensuite perdus. Les textes Qumraniques s’accordent encore plus étroitement avec la Septante, ainsi que d’autres traductions Grecques, qu’avec la Bible Masorétique. Nul besoin de préciser: les Manuscrits de la Mer Morte constituèrent une aubaine fantastique pour les érudits bibliques.

Les autres trois-quarts des documents retrouvés à Khirbet Qumran sont spécifiques à la secte religieuse minuscule qui produisit les manuscrits. Les écrits de cette secte ont généré pas moins d'une demi-douzaine de théories concernant l'identité de leurs auteurs; cependant, le caractère Zaddikite des manuscrits n'est que trop manifeste, quels qu'en soient les auteurs. La Règle de la Communauté, la charte fondamentale de la secte, met clairement en exergue les conditions requises de ceux souhaitant en devenir les membres: “ils devront se séparer de la compagnie des fausses personnes et s'unir, en ce qui concerne la Loi et les possessions, sous l'autorité des Fils de Zadok” (1QS 5:1-3). Michael Wise et Robert Eisenmann ont écrit que les manuscrits “contiennent l'information la plus précieuse qui soit sur les concepts et les courants du Judaïsme et sur l'éthique qui donna naissance au Christianisme... Ce sont des récits de témoins vivant à cette période... rien de moins qu'une photographie du mouvement à partir duquel le Christianisme émergea en Palestine”.

En bref, l'idéologie Zaddikite, découverte dans les manuscrits, présente l'infrastructure idéologique de la religion Chrétienne.

Rôles Qumraniques

Bien que la matière des Manuscrits de la Mer Morte soit non historique dans le sens qu’elle ne décrit pas des personnes et des événements spécifiques, elle ouvre une fenêtre sur la période historique qui s’étend de l’an 250 avant EC à l’an 70 EC, permettant ainsi aux érudits de reconstruire les événements de cette ère unique de turbulences et de transitions. C’est ainsi que la littérature de la Mer Morte projette une lumière toute nouvelle sur la vie et les accomplissements du Jésus historique. Une partie de la matière est rédigée en codes et certains documents-clés, telle que la Règle de la Communauté, utilisent des noms de code pour diverses personnes tels que le Maître de Justice, le Messie, le Prêtre Impie, les Fils de Zadok, les Kittim et l’Homme de Mensonge. Divers individus correspondent à ces rôles au fil de sept ou huit générations. Les Zaddikims se voyaient comme incarnant un script pré-rédigé, un scénario historique qui reflétait, du moins le croyaient-ils, la providence de Dieu le Père. Et, curieusement, les épisodes du scénario ne s’avérèrent pas toujours favorables à la poignée de justes qui furent les acteurs dans le drame historique épique de Dieu.

Le Maître de Justice était la figure spirituelle prédominante de la secte Zaddikite et le Messie en était le héros militaire et le roi qui établirait le Royaume d’Israël en accomplissement du plan divin. Cela se produirait lorsque les Kittims (les Romains) seraient chassés par les Fils de Zadok, les révolutionnaires Zélotes (Zadokites) sous le commandement du Messie. Le scénario était assez simple si ce n’est pour une complication fascinante. Les manuscrits font sans cesse référence à un acte de trahison de la part de l’Homme de Mensonge, également appelé le Moqueur, le Débiteur et l’Homme des Moqueries, qui va s’infiltrer dans l’Alliance et se retourner contre elle en faisant s’égarer une bonne partie d’Israël. Le Maître de Justice doit dévoiler l’Homme de Mensonge et s’y opposer tout en confrontant, simultanément, le Prêtre Impie, le chef des Sadducéens au temple de Jérusalem. Le Maître de Justice était le personnage public le plus révéré des Zaddikim. Il représentait un standard ultra orthodoxe et à ce point sévère que même les conservateurs Sadducéens en furent alarmés et lui résistèrent ainsi qu’au mouvement qu’il représentait.

En raison de la trahison de l’Homme de Mensonge, la cause des Zaddikims était sans cesse vaincue et l’établissement du Royaume de Dieu dans la Terre Sainte était ajourné, encore et encore. Ce schéma projetait l’histoire dans la fin des temps mythiques lorsque le triomphe du Messie et des Fils de Zadok ne serait plus simplement un événement localisé à la Palestine mais une bataille globale impliquant les bataillons célestes sous le commandement d’un leader appelé le Nasi, qui est en fait Melchisédech dans le rôle du vengeur surnaturel. La bataille finale entre Dieu et Bélial, lançant les Enfants de Lumière contre les Enfants des Ténèbres, constituait l’événement culminant dans le scénario visionnaire de l’apocalyptisme Juif. Il est décrit, très concrètement, dans les colonnes du Manuscrit de la Guerre retrouvé à Qumran.

Le recours à ces noms codés constitue l’aspect le plus intriguant et le plus révélateur des Manuscrits de la Mer Morte. Dans son analyse brillante des Manuscrits, Hugh Schonfield montre que ces désignations pouvaient s’appliquer à différents personnages historiques, mais pas de façon exclusive, chaque rôle n'étant pas limité à une seule personne. Après 1991, lorsqu'éclata le scandale de la suppression des manuscrits par le Vatican, Robert Eisenmann s'engagea dans la phase décisive d’identification des personnes historiques spécifiques qui accomplirent les rôles Qumraniques durant le premier siècle de l’Ere Commune. Il proposa que le Maître de Justice fût Jacques le Juste, que le Prêtre Impie fût probablement Ananus, le principal adversaire de Jacques au Sanhédrin du temple de Jérusalem. Proposant une thèse qui fit sensation, et qui est encore le sujet de débats chez de nombreux érudits, Eisenmann identifia le Messie de la secte des Zaddikim avec Jésus, le frère de Jacques. Les Fils de Zadok étaient, bien sûr, les rebelles Zadokites de Qumran, le poste fortifié de la Mer Morte, à savoir les disciples de Jésus.

L’équipe des érudits attachés aux manuscrits, sous le contrôle du Vatican, cacha au grand public le fait que Qumran avait été un poste fortifié pour les militants combattant pour libérer la Judée de l’occupation Romaine, et non pas un havre idyllique pour des hippies pacifistes appelés Esséniens. Les Zaddikites semblent avoir été des zélotes religieux comparables aux terroristes dans le monde d’aujourd’hui. Le personnage-clé parmi les rebelles dans les camps isolés était leur leader et héros national, Jésus, le prétendant messianique destiné à devenir le “roi des Juifs” et à gouverner un état théocratique Israélite libéré de l’occupation Romaine. Si Eisenmann est correct quant à son interprétation controversée du Nouveau Testament, Jésus aurait été non pas un rabbin radical avec un message d’amour pour les Juifs, tout comme pour les Gentils, mais bien plutôt un rebelle politique, le Yasser Arafat de la secte de la Mer Morte.

Intifada Juive

Les Maccabées, qui lancèrent le mouvement de résistance Juif en Palestine, avaient brièvement établi un régime nationaliste durant la Période Asmonéenne (165 à 63 avant EC) mais ce fut largement à l’encontre de la volonté de leur propre peuple. Au second siècle avant l'Ere Commune, la Galilée était en grande partie Païenne. La religion locale était centrée sur les divinités végétales Sumériennes, Inanna et Dumuzi, la déesse et le berger-roi, dont les parallèles Hébraïques étaient Astéroth et Yahvé. Les courants mythiques sont silencieux et profonds. Des siècles plus tard, lorsque la légende du sauveur Chrétien fut élaborée, Astéroth avait été complètement oblitérée et Yahvé fut rapidement converti du statut de dieu tribal Cananéen du tonnerre à celui de souverain absent de toute la planète.

En écrivant le script de la religion Hébraïque pour l’adapter au complexe du rédempteur, la classe des prêtres Juifs fit tout son possible pour dénier les éléments biorégionaux et Païens dans leur scénario tribal. Les rédacteurs du Nouveau Testament, qui n’étaient pas astreints aux mêmes contingences, purent réintroduire quelques éléments Païens dans le portrait de conte de fée de leur faiseur de miracles et guru populaire, qui serait ensuite ajusté au moule du messie Juif. Lorsqu’il fut question de rédiger une histoire de nativité pour Jésus, il fut placé dans la crèche où Dumuzi, le berger adoré de sa Déesse, s’assoupissait parfois lorsque fatigué.

De nombreux Juifs Palestiniens de cette époque se sentaient complètement à l’aise avec les divinités Indigènes de Canaan et ils furent donc convertis par la force à la religion nationaliste imposée durant la Période Asmodéenne. Il y eut une brève poussée de fièvre messianique lorsque Jérusalem fut proclamée capitale en 141 avant EC, mais, généralement parlant, une écrasante majorité du peuple Juif était encline à tolérer (pour ne pas dire imiter) les voies Païennes, s’intégrer à la culture Helléniste qui avait prévalu depuis l’époque où Alexandre le Grand revendiqua la région en 322 avant EC, et tout simplement vaquer à leurs occupations quotidiennes. La poursuite d’un objectif messianique ne fut jamais vraiment une option populaire en Palestine. Elle était l’apanage d’une bande de visionnaires purs et durs, apocalyptiques et assoiffés de vengeance qui se nommaient eux-mêmes “les Fils de la Lumière”. L’aile militaire de ce mouvement était constituée par les Zélotes, des guérilleros et des coupe-gorges tout aussi enclins à trucider les Juifs collaborateurs qu’à assassiner leurs ennemis, les Kittim haïs - le nom Qumranique de code pour les Romains. Les guides spirituels des Zélotes étaient les Chasidim, les Pieux. Ils constituaient le second cercle, ou cercle masorétique, de la secte Qumranique. Dans le cercle intérieur ou ésotérique, se trouvaient les Zaddikim, des idéologues extrémistes dont les visions apocalyptiques sont préservées dans les Manuscrits de la Mer Morte.

Le noyau Zaddikite, quelle que fut la période, n’aurait jamais pu aller au-delà de quelques centaines d’individus mais ce sont eux qui conduisaient le mouvement et exerçaient suffisamment de pression pour déstabiliser la Palestine et menacer l’intégrité de l’Empire. La pression devint critique lorsque, après 63 avant EC, la Judée fut annexée à Rome par Pompée, le grand rival de César. Cet événement mit fin à la période de cent années d’indépendance qui suivit la révolte des Maccabées. L’impact de ce bouleversement se traduisit par une escalade du désespoir qui se propagea même aux membres non radicaux de la population. Dans les Guerres Juives, l’historien Joseph observa de très près les dégâts psychologiques: “Pour autant que les Juifs croyaient que Yahvé allait les sauver, ce dernier refusait constamment de le faire et leurs souffrances s’intensifiaient à la mesure de leurs espérances”.

Nous avons déjà détecté ce schéma bizarre: le plan divin est prédestiné à faillir en tant que dynamique humaine afin qu’il puisse être accompli en tant que drame apocalyptique trans-humain. Il n’est nul besoin de préciser que ce type de pensée est schizophrénique et extrêmement désorientant. Dans sa description de l’atmosphère sociale de l’époque, l’historien Hugh Schonfield écrivit:

“A partir de 160 avant EC, nous sommes dans un nouvel âge, un âge de ferveur et de religiosité extraordinaires durant lequel presque tout événement, qu’il soit politique, social ou économique, était saisi, examiné et analysé afin de découvrir comment il représentait un signe des Temps et comment il projetait de la lumière sur l’approche du Jour Dernier. La condition intégrale du peuple Juif était psychologique ment anormale. Le peuple accordait du crédit aux imaginations et aux histoires les plus étranges. Une nouvelle littérature pseudonyme émergea, en partie exhortation morale, en partie prophétie apocalyptique, une sorte de science fiction messianique”.

“La condition intégrale du peuple Juif était psychologiquement anormale”. De nouveau, le facteur d’anomia est évident et il devient même dominant. Cela se manifeste parce que quelque chose d’anormal, et même d’inhumain, a été imposé par la force au peuple Juif par les Zaddikims. Les Juifs traditionnels mirent le meilleur de leurs forces dans la résistance à cette intrusion. Ils repoussèrent le mouvement Zaddikite et démasquèrent les Zélotes parmi eux, les forçant à fuir vers des campements sauvages en Judée et près de Damascus, où Saul, le chasseur de primes, vint les débusquer pour les liquider. Jacques le Tzaddik, le “Juste”, resta au temple de Jérusalem. Il constituait le pilier solitaire du “parti d’opposition” Qumranique, ainsi que Robert Eisenmann qualifie la secte des Zaddikims dans son étude monumentale, James, the Brother of Jesus.

Les membres de la secte de Qumran étaient convaincus qu’ils menaient l'Intifada Juive, le soulèvement contre l’occupation Romaine de la Palestine et, en même temps, ils croyaient d’autres choses de nature plus mystique et métaphysique, qui n’avaient rien à voir avec des changements politiques. Le Manuscrit de la Guerre, un des premiers textes retrouvés par les paysans Bédouins durant l’été 1947, décrit la confrontation finale entre les Fils de la Lumière et les Fils des Ténèbres. C’est un scénario de bataille apocalyptique au cours duquel la mission en échec du Peuple Choisi est finalement accomplie et leur cause vengée. Ce qui commença avec la révolte des Maccabées se terminerait par un événement magique au cours duquel la poignée de Justes, même s’ils étaient exterminés par l’ennemi, seraient ressuscités par Yahvé et vengés par la puissance du Nasi, la forme cosmique de Melchisédech. La révolte politique et la résurrection physique appartenaient au même plan souverain. Dans le drame psycho-historique de l’apocalypse, les événements qui se déroulent dans un temps linéaire et historique culminent à la fin des temps, le moment de la minute de vérité. Le Manuscrit de la Guerre se lit comme un manuel de manoeuvres de camp d’entraînement étrangement cérémonieux destiné à préparer les troupes pour cet événement final et hallucinatoire.

Fièvre de la Fin des Temps

La narration secrète des anciens Hébreux n’était pas un script théocratique - du moins, pas au début. Elle le devint au fil des temps lorsque le troisième élément du complexe du rédempteur, le messie, se métamorphosa étrangement. Telle que la narration de l’Ancien Testament est communément comprise, les Justes constituent le groupe ethnique choisi par Dieu pour accomplir son plan. Cette désignation semblerait englober toute la nation Israélite mais ce n’est jamais vraiment le cas. A partir du moment fondateur de leur histoire, les Hébreux sont sujets à un double programme, ainsi que John Allegro le souligna. Les membres du noyau dur de la secte de la Mer Morte, les Zaddikim, considérèrent que le peuple Juif, dans son ensemble, avait failli à suivre le plan du Père - avait failli depuis le début.

Les Zaddikites s’appelaient eux-mêmes l’Alliance, le reliquat unique et authentique du Peuple Choisi qui vivrait une destinée divine. Même si le Royaume d’Israël n’était jamais établi en termes humains, réels, existentiels, Dieu les sauverait et les vengerait, au moment de l’apocalypse, en appelant à la rescousse le messie et les Kedoshim, les troupes célestes d’anges-guerriers installés dans des “chariots” étincelants et circulaires.

Eux seulement, les Zaddikim, et non pas le peuple Juif dans son ensemble.

Au faîte de son développement, la secte de la Mer Morte ne pouvait pas avoir compté plus de dix mille membres avec un maximum de deux mille membres vivant au camp principal isolé, à savoir le site fortifié surplombant la Mer Morte, à environ cinquante kilomètres à l’est de Jérusalem. D’autres vivaient à Damascus, une pépinière de dissidence Zaddikite. La population Juive vivant à Alexandrie, la cité native d'Hypatie, était quatre fois plus nombreuse que le nombre total des sectaires radicaux alors que la population Juive, dans le monde classique, se dénombrait par millions, constituant au moins 15 % de l’Empire Romain. Lorsque les idéologues Zaddikites et leur aile militaire enragée, les Zélotes, furent brutalement éradiqués en l’an 70, c’est toute la population Juive dans le monde classique qui en subit les conséquences. A la lecture aujourd’hui des Manuscrits de la Mer Morte, il est peut-être peu aisé de comprendre comment et pourquoi le mouvement Zélote-Zaddikite fut à ce point menaçant. Neil Asher Silberman propose une analogie éclairante:

“Les visions des Manuscrits, comme celles des apocalyptistes contemporains Jim Jones et David Koresh de la jihad Islamiste et des Kahanistes de la rive occidentale, peuvent devenir des pornocraties de violence, dépeintes avec un plaisir horrible pour le sang. Alternativement, ces visions peuvent devenir le point de départ à des hallucinations plus mystiques et à des envolées trans-mondaines; un chemin au coeur de la sphère sauvage aliénée de la psyché de l’individu. Dans leur message apocalyptique implacable, les Manuscrits donnent la parole à un groupe qui se sentait dépossédé et impuissant dans un monde marchant sur la tête.”

Durant le premier siècle, l’Empire Roman fut menacé par le mouvement Zélote de la même façon que le monde d’aujourd’hui est menacé par le terrorisme religieux. Ce parallèle frappa tellement l’esprit de l’écrivain de science-fiction Philip K. Dick, qui incorpora les thèmes apocalyptiques Gnostiques et Juifs dans de nombreux romans, qu’il proposa que le temps stoppa en l’an 70 EC, laissant le monde comme figé en cet instant, rejouant le même script. “L’Empire ne s’est jamais éteint”.

L’histoire Juive sacrée commence avec un acte d’exil, la requête faite à Abraham de quitter Ur en Chaldée. La narration qui s’en suit est une histoire de “la sphère sauvage aliénée de la psyché” d’une communauté et non pas d’un individu. Au cours des siècles, l’inconscient racial (ou psyché collective) des Juifs produit, tout d’abord, le roi oint, consacré. Le monarque Juif, qui émane d’une institution empruntée, est un messie selon la signification littérale de “oint”. Mais le personnage messianique mute lorsque les espoirs collectifs d’accomplir le plan de Dieu sont sans cesse contrecarrés - et le plus souvent, par Dieu lui-même! D’un roi littéral, le messie évolue en un personnage symbolique et mystique qui incarne la mission divine précaire de son peuple. Ce faisant, il devient moins identifié avec la victoire militaire finale qui va sécuriser la Terre Sainte et beaucoup plus associé avec la fin du monde, la culmination du temps historique.

Cette mutation mythologique intégrale est impulsée par l’échec et le désespoir, symptomatique de ce que D. H. Lawrence appelait “une destinée ajournée”. Dans son ouvrage Le Dogme du Christ, Erich Fromm explique comment l’échec de l’attente messianique parmi les Juifs affecta le Christianisme: “Alors que les Zélotes et les Sicarii [“les porteurs de couteaux”, les combattants armés pour la liberté] se mettaient en action afin de réaliser leurs espoirs dans la sphère de la réalité politique, le désespoir intégral de réalisation amena les premiers Chrétiens à formuler les mêmes espoirs dans le domaine du fantasme”. La solution fantastique, cependant, était en gestation dès le tout début et ne relevait pas simplement de l’impossibilité de l'Intifada Juive à l’encontre de Rome. Considéré en tant que proposition historique, le complexe du rédempteur requière un objectif impossible à atteindre afin que Dieu puisse intervenir dans l’événement paroxystique de l’histoire, l’apocalypse. Une grande partie de la littérature des Manuscrits de la mer Morte relève de cette logique étrange.

Ressentant que le jour de triomphe pour Israël ne verrait jamais le jour dans les temps historiques, l’espérance commune se tourna vers une vengeance triomphante à la fin des temps, “à la fin des jours”, aharit-hayyamin en Hébreu. C’est un terme antique qui peut être retracé à des sources Akkadiennes. Originellement, cela semble avoir été une métaphore pour la fin d’un cycle particulier ou d’une structure d’événements, analogue à un changement saisonnier: la fin des jours de l’été, par exemple. Dans l’usage biblique, la signification évolua. Aharit-hayyamin se trouve dans la Genèse (49:1) et dans les Nombres (24:14) et “ces deux passages contiennent des textes prophétiques archaïques, qui faisaient originellement référence au futur, dans un sens limité mais non spécifique, et qui furent réinterprétés afin d’évoquer un sens eschatologique, dans la période suivant l’exil, de sorte à ce qu’ils soient appréhendés comme faisant référence à une phase définitive et finale de l’histoire”.

L’attente du messie de fin des temps s’intensifia progressivement durant la Captivité Babylonienne (586 à 538 avant EC) lorsque de nombreux Juifs, particulièrement les plus puissants et les plus prospères, furent déportés vers la Mésopotamie à la suite de la chute de Jérusalem. Lorsqu’ils furent libérés en 538 avant EC par l’empereur Perse Cyrus, un noyau dur repartit en Palestine pour rebâtir le Temple de Salomon. Son achèvement en 516 avant EC marque le début de la Période du Second Temple de l’histoire Juive. Ces événements conduisirent directement à l’ère des prophètes: Isaïe, Ezéchiel, Daniel, Elie. John J. Collins, l’érudit qui fait autorité dans le domaine de l’apocalyptisme Juif dit que “les écrivains apocalyptiques héritèrent des prophètes la croyance selon laquelle Dieu interviendrait dans l’histoire au moment décisif de juger le monde”. Les écrivains étaient des scribes rabbiniques chargés de compiler la Torah durant l’époque du roi militaire Josias (qui gouverna de 639 à 609 avant EC), “dont les réformes pavèrent le chemin vers une vitalité nationale et religieuse régénérée qui évolua vers une frénésie régulière” durant les siècles suivants.

La frénésie religieuse passa par des hauts et des bas, comme des montagnes russes, en fonction des victoires militaires régionales (relativement de peu d’amplitude) des Israélites. Josias combattit le pharaon Egyptien Necho à Megido (2 Rois. 9:27), un endroit désigné par la suite comme le site d’Armageddon. A tout moment de l’histoire Juive, les aspects mythologiques et historiques des événements furent étroitement mélangés pour ne pas dire embrouillés. Le jaillissement positif de confiance nationale qui émergea au temps de Josias fut anéanti par la Captivité, un événement qui transforma la destinée des Israélites et altéra leur conception de leur mission divine de par la façon dont il affecta leur mythologie tribale.

Durant la Captivité, les érudits et les prêtres chargés de rédiger le script directeur pour la mission divine du Peuple Choisi, absorbèrent la doctrine Perse du mal cosmique attribuée au prophète Iranien Zoroastre. A leur retour en Palestine en 538 avant EC, les idéologues proposèrent un nouvel apocalyptisme, hautement radicalisé, qui mettait l’accent sur une confrontation entre le Bien, personnifié par les Enfants d’Israël et le Mal, personnifié par à peu près tout le reste du monde. Cette vision trouva son expression ultime dans le Manuscrit de la Guerre retrouvé à Qumran. Puant la haine et la vengeance, à l’image de vapeurs toxiques d’ammoniaque, le Manuscrit de la Guerre est un mélange bizarre de vision panoramique mystique et de récital de manoeuvres militaires. Il décrit les tactiques de champ de bataille lors de la confrontation finale entre les Fils de la Lumière et les Fils des Ténèbres. Un des premiers sept textes retrouvés à Qumran, ce manuscrit fut originellement identifié par des érudits au moment même où les Nations Unies votaient pour créer l’Etat d’Israël en novembre 1947. Le symbolisme de cette coïncidence n’échappa pas à ceux qui vivaient ce moment dramatique, à la fois en Israël et dans le reste du monde.

Le Manuscrit de la Guerre

Des versions des écrits prophétiques d’Enoch, de Daniel, d’Isaïe et de Jérémie constituent une partie de la matière la plus importante des Manuscrits de la Mer Morte. Ils présentent le spectre intégral de l’apocalyptisme Zaddikite et en révèlent les origines. Le Manuscrit 4Q201, le Livre des Veilleurs, est une version d’Enoch, un prophète influent dont les écrits furent omis de l’Ancien Testament. Enoch est une source apocryphe ou extra-canonique de la légende des Nephilims, les Veilleurs ou les Anges Déchus qui semblent constituer un parallèle, ou une variation, sous certains aspects, du script Annunaki provenant de Sumer. Genèse 5 dit qu’Enoch fut transporté aux cieux par Dieu - un thème mythique qui préfigure l’ascension du Christ. En relation étroite avec la matière d’Enoch, 4Q385 présente un récit de la vision par Ezéchiel d’un chariot céleste (merkabah). La vision du merkabah est un concept important pour les Zaddikites qui attendaient qu’une flotte de chariots conduits par des anges, les Kedoshim, arrive au dernier moment pour les sauver de leurs ennemis. Dans l’Ancien Testament, Ezéchiel 37 affirme la promesse de Yahvé de sauver la peau des quelques Justes:

“Ainsi parle Yahvé, l’Éternel: Voici, j’ouvrirai vos sépulcres, je vous ferai sortir de vos sépulcres, ô mon peuple, et je vous ramènerai dans le pays d’Israël. Et vous saurez que je suis Yahvé, lorsque j’ouvrirai vos sépulcres, et que je vous ferai sortir de vos sépulcres, ô mon peuple!”

Le concept littéral de résurrection physique fut adopté par les Maccabées, ces Juifs révolutionnaires qui avaient lancé leur révolte décisive en 168 avant EC, au moment précis où les Manuscrits de la Mer Morte furent rédigés.

Les deux livres des Maccabées, qui sont constitués largement d'une matière historiquement vérifiable, furent une seule fois inclus à la fin de l’Ancien Testament mais ils en furent subséquemment retirés. C’est dommage car ils pourvoient une charnière solide entre l’Ancien et le Nouveau Testament. La révolte des Maccabées marque le début de troubles politiques sérieux en Palestine en raison de l’agitation de groupes extrémistes et apocalyptiques, les Zaddikim étant les pires, les plus xénophobes, les plus extrémistes et les plus rigides. Les troubles religieux et sociaux s'intensifièrent durant 134 années (environ cinq générations) et culminèrent durant la révolte de l’an 66 EC qui, quatre ans plus tard, fut complètement écrasée avec la destruction complète de Jérusalem. La révolte se ralluma brièvement en l’an 86 à Masada, lorsqu'un millier de purs et durs Zélotes (comprenant femmes et enfants) tinrent tête à la dixième division Romaine, composée de quinze mille soldats, durant presque deux années. Finalement, elle resurgit en l’an 132, lors de l’insurrection très bien programmée par Simon bar Kochba, qui fut guidé par la prophétie “de l’Etoile et du Sceptre” qui avait inspiré la secte de Qumran. Il fut le dernier messie militant dans la lignée des visionnaires Zaddikites.

Les Maccabées et leurs successeurs dans la révolte Juive étaient des terroristes et des guérilleros qui purent, ou non, avoir cru que Yahvé les ferai sortir de leurs sépulcres. Chez les Juifs traditionnels, la résurrection du corps n’était pas une croyance commune; c’était plutôt une doctrine secrète des Zaddikites. Le fragment 4Q521 des Manuscrits de la Mer Morte appelé “Une Apocalypse Messianique” affirme le pouvoir du Seigneur de “guérir les blessés et de ressusciter les morts” - des paroles de consolation pour un groupuscule insurrectionnel dont l’opposition violente à la machine militaire Romaine constituait une recette assurée de suicide.

La résurrection du corps et l’ascension vers les cieux sont, bien sûr, des croyances conventionnelles partagées par des millions de Chrétiens fondamentalistes contemporains, et également par les Mormons, qui attendent avec impatience “l'Enlèvement”, lorsque le monde sera détruit et qu’ils seront transportés vers les cieux par Dieu. (Les Jihadistes Musulmans, qui s’attendent à être transportés instantanément au Paradis s’ils meurent pour la défense de l’Islam, représentent une variation de la même croyance). Les croyants pensent qu’ils suivent une tradition Chrétienne “normale” qui évolua à partir des humbles origines de la foi Juive mais c’est loin d’être le cas. Les fondamentalistes dévots des USA seraient sans doute éberlués d’apprendre que leur espérance chérie fut l'obsession rare d’un groupe dissident de marginaux enragés que l’on pourrait comparer aux Davidiens de Waco au Texas.

Ou peut-être en seraient-ils aux anges.

L’idéologie au coeur du Christianisme fondamentaliste dérive des Zaddikims de la Mer Morte et non pas de la religion Juive traditionnelle. La résurrection sous une forme physique identique au corps vivant (par contraste avec quelque forme de continuité de la vie de l’âme), l’ascension vers les cieux, l’intervention de Dieu le Père dans l’histoire, la bataille contre le Mal Cosmique se terminant par le Jugement Final et le châtiment divin - toutes ces croyances sont des émanations du zaddik, le standard surhumain. Dans le culte de la justice mené par Melchisédech, les éléments militaires et mystiques se combinèrent en un mélange explosif et létal. La secte des Zaddikim s’auto-détruisit en amenant sur elle-même, ainsi que sur la totalité de la communauté Juive, la puissance militaire de l’Empire Romain mais leur programme a survécu et a muté en ce qui allait devenir le Christianisme Romain. Les ennemis du système devinrent le système.

Tel est le transfert de pouvoir dans la relation victimes-perpétrateurs.

John Lash

Traduction de Dominique Guillet