Le Tantra de la Tendresse

Le Lotus d'Emeraude et le Cygne Noir

John Lash

Traduction de Dominique Guillet.

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Qu'est ce que le Tantra? De nos jours, ce terme est généralement utilisé dans le contexte du “sexe tantrique” et si le sexe vous intéresse quelque peu, ce sujet peut éveiller votre curiosité. Creusez un peu plus profondément et vous allez sans doute tomber sur l'affirmation sensationnelle selon laquelle nous, simples mortels, pouvons accéder à un état mystique de conscience cosmique, et nous transformer à l'égal des dieux, en réalisant l'acte sexuel comme un rituel religieux - telle est la pratique Tantrique. Cela semble une proposition que toute personne saine d'esprit ne saurait refuser. Hélas, qui, de nos jours, sur cette planète, est sain d'esprit?

Quelques Notions de Base et un Avertissement

Lorsque le Tantra fut découvert par des Orientalistes à la fin du 18 ème siècle, son élément sexuel ne fut pas tout de suite clair. Le philologue et mythographe Britannique, Sir William Jones (1746-1794) introduisit ce terme dans la langue Anglaise probablement vers 1790. Il évoquait initialement quelque chose de sinistre, de la main gauche, avec peut-être même des relents de magie noire. Les textes Tantriques étaient considérés comme des textes magiques, un peu comme des grimoires médiévaux. Ils contenaient des instructions pour la divination, pour jeter des charmes, et d'autres cérémonies incluant des rites sexuels. Le genre comprenait également des traités cosmologiques et métaphysiques érudits qui semblaient utiliser l'union sexuelle comme une métaphore pour des processus cosmiques. La sexualité dans le Tantra allait rester profondément incomprise pendant près deux siècles.

La Kundalini du Corps Intégral

Je vais commencer par dire que le Tantra de ma prédilection ne fait qu'un avec le shamanisme Gaïen. C'est le shamanisme télestique des Mystères, dont la finalité est de communiquer directement avec Gaïa, dont le corps est la planète Terre. Gaïa-Sophia, pour lui donner son nom intégral, est la matrice de l'intelligence supersensitive qui anime le monde naturel et toutes ses créatures, incluant les êtres humains. Ces deux dynamiques, le sexe et le shamanisme, partagent ensemble de la même perspective Gaïenne. Idéalement, du moins. Elles se complémentent et se renforcent mutuellement. Le Tantra est une voie permettant d'intensifier l'expérience de la béatitude qui est naturelle aux êtres humains et à toute vie sensitive, jusqu'au niveau moléculaire. Durant le sexe Tantrique, on plonge au plus sublime de la béatitude moléculaire. C'est également ce qui se passe durant la transe visionnaire induite par des plantes psychoactives, ou des plantes médicinales, lorsque la pratique est réalisée correctement.

La complémentarité entre ces deux pratiques devrait être évidente. Le Tantra accroît et approfondit la capacité de plonger au coeur du plaisir physique et par là-même, il raffine l'outil corporel au service de la pratique Gaïenne. Vice versa, le shamanisme Gaïen induit une abondance de tendresse qui nous relie à la terre, rendant ainsi d'autant plus intense et délicieux le plaisir sensuel-sexuel, lorsque nous y avons accès. Bien quelle soit de nature profondément érotique, la transe visionnaire ne conduit pas, par elle-même, à l'accomplissement du désir sexuel. Mais il est notoire que la sexualité Tantriquement avivée induise certains types d'effets visionnaires. Pour autant que je sache, ces effets shamaniques, qui peuvent s'avérer relativement spectaculaires, ne sont pas décrits dans les exposés populaires et courants du Tantra présenté comme un yoga sexuel ou une technique d'intensification de l'intimité pour les couples qui souhaitent épicer leur routine de chambre.

La Kundalini est une force mystérieuse qui est souvent mentionnée en corrélation avec le Tantra. Il y a des années de cela, à l'Institut de Mythologie Créative (un nom exotique pour décrire mon studio sur La Vereda à Santa Fé), je suggérais que la kundalini est une force enracinante qui connecte nos corps à la planète. Les enseignements traditionnels ne décrivent pas la Kundalini de cette manière. Il est plutôt stipulé que c'est une force interne emmagasinée dans le corps qui s'élève le long de l'épine dorsale vers le “chakra coronal” et qui stimule un état non physique de conscience cosmique, ou un éveil à la nature divine de toutes choses. J'affirmai le contraire, à savoir que la kundalini enracine nos corps à la terre, à partir d'expériences de kundalini de corps intégral. Les textes classiques sur le sat-chakra-nirupana, la voie d'élévation du “pouvoir du serpent” au travers des sept chakras, mettent en exergue le jaillissement électrique vertical vers le haut de l'épine dorsale et ne mentionnent pas la kundalini de corps intégral. La verticalité est encore la vision prévalente quant aux dynamiques de Bhujangi, “celle qui s'enroule comme un fouet”, pour ne citer qu'un de ses surnoms.

Mais il existe plus d'une voie pour faire tournoyer un yogi et plus d'une voie pour déclencher le jaillissement de la kundalini.

A l'âge de seize ans, je fis l'expérience involontaire d'une montée de kundalini - attaque serait sans doute un terme plus adéquat. Cela dura pendant six mois, par intermittence, en augmentant en intensité au point où je considérai que la puissance des décharges électriques brûlantes, tout le long de mon épine dorsale, allaient me tuer. Je dus finalement m'abandonner à cette force écrasante. A la laisser me tuer, si c'est cela qui devait arriver. Lorsque je cédai, elle s'arrêta soudainement et les attaques se calmèrent. Le maître mot est ici abdication. Par lequel, je veux dire quelque chose de différent de sacrifice. Durant les cours d'astrologie alchimique que je donnais à mon institut, je distinguais le sacrifice (pluton) de l'abdication (neptune) de la façon suivante: dans l'acte de sacrifice, on abandonne quelque chose que l'on possède réellement tandis que dans l'acte d'abdication, on abandonne quelque chose que l'on ne possède pas, ou pas encore, ou pas vraiment. Je ne possédais pas la kundalini, c'est elle qui me possédait. Et je n'avais aucune idée de ce qu'elle était ou de ce qu'elle me faisait. Je devais abdiquer ce que je ne possédais pas et mon ignorance quant à la manière de passer vivant au travers de cette expérience.

Ayant vécu une sorte d'expérience de kundalini, le type de fluide froid électrique qui jaillit le long de l'épine dorsale, j'étais prêt à en expérimenter une autre sorte ultérieurement parce que je connaissais la sensation fondamentale qu'elle induit. Cependant, je n'étais pas informé qu'il existât une autre manière de faire l'expérience d'un jaillissement de kundalini. A cette époque, au début des années 60, il n'y avait pas d'information disponible quant à la kundalini de corps intégral. Aujourd'hui, on trouve 25 000 pages en Anglais sur ce sujet, sur internet.

A ce point de l'exposé, il peut être utile de présenter quelques définitions. Tous les termes définis sont d'origine Sanscrite.

Kunda, Kundala. Littéralement une boucle ou une corde. Mystiquement, la force lovée à l'intérieur de la terre, le pouvoir serpentin planétaire. Tous les mythes reconnaissent ce pouvoir de par la prévalence du serpent, la Mère Serpent, le python, l'anaconda, le Serpent Arc-en-Ciel, et ainsi de suite dans des milliers de variations. La transe de l'ayahuasca, et d'autres états psychoactifs, présente des visions très colorées de la kundala, la force serpentine mère. Appelons-la la kundalini de la terre, la kundalini planétaire. Kunda en Sanscrit signifie aussi, fosse, cavité, niche. Mahakundala, le grand pouvoir lové est enraciné au coeur de la terre même. Bhujangi est de l'argot Sanscrit pour une force enroulée comme un fouet et enracinée dans la terre.

Kundalini. Littéralement, la petite kunda. C'est l'équivalent microcosmique de la force planétaire, le pouvoir serpentin emmagasiné dans le corps humain au niveau moléculaire. Elle concentre le pouvoir macrocosmique et connecte les corps individuels au corps planétaire. La Kundalini est le prana, la force de vie solarisée mais dans la forme particulière que le prana assume lorsqu'il est intégré aux organes sexuels et à la circuiterie somatique du corps humain. (Les animaux possèdent aussi de la kundalini: voir le chat qui ronronne. Les félins sont intensément sexuels. Un chat domestique sexuellement excité va rester calme et satisfait parce que sa force sexuelle est déplacée des parties génitales vers le coeur et qu'elle est pompée dans les poumons, ce qui provoque le ronronnement.)

Yoga de la Kundalini. La pratique traditionnelle de faire jaillir le pouvoir serpentin de la base de l'épine dorsale au travers des sept chakras et jusqu'à la tête. L'ouvrage de Sir John Woodroffe, the Serpent Power, présente une explication définitive de cette pratique, de ses fondements et de ses implications cosmologiques. Cette pratique est également appelée par le terme plus élargi de Tantra de la Kundalini.

Kundalini de corps intégral. La flambée extatique de kundalini au travers de toutes les cellules en même temps. C'est un processus de diffusion plutôt que de concentration par un jaillissement vertical le long de l'épine dorsale. Le Bouddhisme Tibétain décrit les effets visionnaires qui émergent durant les phases prétendues de développement et de perfection du Dzogchen lorsque la kundalini de corps intégral surgit au travers des nadis (rlun en Tibétain), des canaux microscopiques dans le corps. J'appelle cette sensation “l'effet corail”. A la différence du Tantra Hindou, le Tantricisme des écoles du Mahayana Indien et du Vajrayana Tibétain ne décrit pas de pratiques sexuelles malgré qu'elles aient toutes deux recours à l'image du yab-yum ou de l'union des dieux.

Yoga sexuel. Une manière commune de décrire le Tantra en tant que pratique yogique par laquelle un couple utilise l'acte sexuel comme un rituel pour faire monter la kundalini. D'où le titre de l'ouvrage de Omar Garrison: Tantra - The Yoga of Sex.

La Règle du Non-Orgasme

Je découvris la kundalini de corps intégral à Santa Fé en raison d'une implication érotique avec une femme qui venait de déserter la “yoga farm”, une communauté-ashram fondée par le guru du Nouvel Age, Yogi Bhajan. La ferme était localisée à Espagnola, au nord de Santa Fé. Les membres de l'ashram étaient souvent vus au abords de Santa Fé et les locaux les appelaient les “têtes de serviette” en raison de leurs turbans blancs. Cette jeune femme de vingt-quatre ans, que j'appellerai Charlotte, avait pratiqué le yoga de la kundalini depuis environ une année et cela ne la menait nulle part. Cette pratique impliquait l'abstinence et le refus de relations sexuelles. Mais étrangement, elle impliquait aussi de vivre en couple avec un homme qui pratiquait également l'abstinence avec la finalité que les membres du couple puissent s'efforcer ensemble à atteindre l'illumination spirituelle. Oups? C'était, en tout cas, la règle pour les couples dans la communauté ondée par Yogi Bhajan.

Charlotte, une Poisson voluptueuse que les touristes curieux, qui se promenaient aux alentours de Santa Fé, prenaient parfois pour Bo Derek, n'était pas très satisfaite de cette règle. Peu après qu'elle eût quitté l'ashram avec son grand chien de couleur suif, Magnolia, elle vint vers moi pour se faire dresser son thème astral. Je lui dis, au cours de l'interprétation de son thème, qu'une bien meilleure façon de faire monter la kundalini et de la faire circuler, c'était d'avoir des relations sexuelles plutôt que de ne pas en avoir. Cela fut dit sans sourciller et avec érudition. C'était, si je puis m'exprimer ainsi, la meilleure tirade de drague que j'aie jamais concoctée. En temps normal, je ne séduisais pas mes clients. J'étais très éthique à cet égard. (Les astrologues mâles doivent se garder de nombreuses femmes, qui constituent 90% de leur clientèle. Malheureusement, mais ce sont les contraintes du business des étoiles). Je ne séduisais pas Charlotte non plus, d'ailleurs. Elle arriva juste chez moi un soir et me fit monter au septième ciel. C'était vers la fin du mois de décembre, une nuit claire dans le haut désert, avec un demi-mètre de neige fraîche sur le sol, la constellation des Gémeaux se levant dans une splendeur précieuse au-dessus des montagnes de Sangre de Christos. Charlotte alluma toutes les cellules de mon corps comme les lumières d'un sapin de Noël. Prenez-garde à ce qui peut vous arriver lorsque vous suivez vos propres conseils.

Avec Charlotte, nous nous mîmes au Tantra mais pas le yoga de la kundalini tel qu'elle l'avait connu. Après tout, elle venait de fuir une situation d'abstinence totale. La méthode de yoga de la kundalini de Yogi Bahjan était excentrique dans sa façon de mettre en couple un homme et une femme afin de réaliser ensemble des pratiques non-sexuelles, en tandem pour ainsi dire. Dans le sexe Tantrique classique, le couple impliqué dans l'acte sacré ne s'abstient pas de sexe - il est évident que non puisque la relation sexuelle constitue le rituel essentiel - mais il s'abstient de l'effet de déflation de l'orgasme. La clé de la pratique réside précisément dans cette seconde abstention: en ne laissant pas la libération orgasmique dissiper les sensations extatiques générées par l'union sexuelle, ils élèvent leur plaisir à un niveau supérieur et ont accès à un état divin d'illumination. Ils réalisent ananda, l'extase cosmique, et fusionnent ensemble dans la sérénité du “feeling océanique”, un terme introduit par William James dans son ouvrage The Varieties of Religious Experiences, en 1901. Ils font l'expérience du jeu divin de l'univers, lila, ue terme magnifique. Ils perçoivent le monde transformé mystiquement et ils se perçoivent comme des divinités y demeurant, leurs corps tel un joyau, vêtu de guirlandes de fleurs, rayonnant de vie, imprégné de parfums sublimes.

Tel est le résultat promis par la règle du non-orgasme du sexe Tantrique dans la tradition Hindoue. La même règle s'applique dans les autres pratiques quasi Tantriques tel que le prétendu Tao du Sexe, une variation Chinoise popularisée par Mantak Chia. Les promoteurs de la méthode Chinoise tendent à mettre plus en valeur la santé et la régénération que les jeux érotiques salaces du Tantricisme Hindou mais la Chine possède, également, une tradition antique d'érotisme de boudoir avec des aspirations mystiques.

Assez tôt dans ma carrière mystique, peu après cette attaque de kundalini, je découvris l'ouvrage de Lu Kuan Yu, Taoist Yoga. Je m'imprégnai également du chef d'oeuvre de Mircea Eliade, Yoga: Immortality and Freedom. Ces ouvrages m'enseignèrent que la rétention de sperme était fondamentale dans le yoga Asiatique. Cette technique était, semblait-il, le facteur unique et essentiel de la réalisation mystique et de la régénération physique, pour ne pas parler de l'immortalité. Cela vous plairait-il de vivre éternellement sans jamais éprouver d'orgasme? Le yogi dirige le sperme vers son propre cerveau, selon ce que les anciens textes répètent. Est-ce une technique mystique authentique ou une manière excentrique de se masturber? C'est ce que je me demandais.

Personnellement, je n'accrochais pas trop avec le concept d'un crâne imbibé de sperme. Par contre, j'adorais le concept d'une femme imbibée de sperme. La nécessité de faire transiter le sperme vers la tête, et de le distiller en un nectar cosmique, me paraissait une déviance. Cela me semblait complètement non naturel. Et même à vrai dire, goujat. Et horriblement égoïste. Dans l'ouvrage Talk Dirty to Me, une étude excellente de la pornographie et des moeurs sexuelles, Sara Tisdale écrivit:

“Dans la profondeur de la passion sexuelle, la peau de l'autre possède la qualité d'un trésor; les sécrétions quotidiennes que nos corps libèrent sont du miel, de la manne, de la lumière. Etre coupé des fluides d'autrui est une chose terrible; nos fluides sont destinés à être mélangés et nous aspirons à cette fusion qui est à la fois si scandaleuse et si pure.”

Une note comique: Carlos Castaneda, dans sa dépendance sexuelle, dut chercher désespérément n'importe quoi qui puisse faire passer une simple baise pour un exploit shamanique de pouvoir. Il connaissait sûrement la rétention de sperme spécifique aux pratiques Asiatiques. Mais, étant un Latino, il ne pouvait pas faire l'impasse sur la grande explosion fougueuse. Dans son livre, Sorcerer's Apprentice, Amy Wallace dit que Castanada lui déclara un jour que l'acte de baiser un maître shaman était de telle nature que son sperme allait dans le cerveau de sa partenaire. Je dois avouer que le don de Castaneda pour le soulagement comique a été tristement sous-estimé. Je dois admettre, en même temps, que le mélange de sexe et de shamanisme, à la mode Castaneda, est triste, grotesque et totalement inacceptable. C'est aux antipodes de ce que je suggère quant à la complémentarité entre le Tantra et la pratique visionnaire Gaïenne.

L'Etreinte Génitale

Je récusais viscéralement la règle du non-orgasme mais je respectais, cependant, la pratique de retardement de l'orgasme dans la finalité d'un paroxysme mutuel. Néanmoins, ce n'était pas une méthode occulte. C'était le sujet brûlant du jour: à savoir, comment satisfaire une femme en la laissant jouir la première ou en jouissant avec elle après lui avoir laissé le temps d'atteindre l'excitation maximale. Cette pratique était presque une obligation chez les hommes qui se considéraient comme des compagnons de route féministes, et j'en étais. A cette époque, les femmes exigeaient leur orgasme, à juste titre, et refusaient d'être les simples réceptacles d'un soulagement mâle. Dans ma génération, il était considéré pour un homme comme extrêmement impoli, pour ne pas dire grossier et immoral, de ne pas contenir sa décharge jusqu'au moment où la femme était complètement juteuse et se cambrait pour un décollage.

Le raffinement et la précision sont essentiels dans le Tantra où l'union sexuelle va, par moments, assumer les mouvements harmonieux d'un rite sacré. Ces qualités sont toujours déployées de façon très vivante dans le style et les postures des sculptures Khajuraho. Le coeur du Tantra est dans les préliminaires, l'art de faire durer. La pratique érotique est un continuum qui étend les préliminaires jusqu'au point de l'orgasme, mais sans prendre les préliminaires pour un moyen justifiant la fin.


Les années 60 virent l'émergence de thérapies sexuelles et de rencontres de groupes influencées par les théories de Wilhelm Reich. Etant fondamentalement un solitaire, je n'ai jamais participé à ces mouvements mais son ouvrage, La Fonction de l'Orgasme, transforma ma vie et généra un impact durable sur chaque rencontre sexuelle que j'eus ensuite. Reich ne mentionna pas la règle de non-orgasme propre aux traditions Asiatiques. S'il l'avait connue, il aurait sûrement protesté avec véhémence contre cette règle. Selon lui, l'abandon total (de nouveau, ce terme) de l'homme et de la femme à l'orgasme était le signe d'une personne saine et pleinement épanouie. Il appelait puissance orgasmique la capacité de s'abandonner totalement et sans retenue au plaisir surgissant dans l'acte sexuel. Selon ses propres mots dans La Fonction de l'Orgasme:

“La puissance orgasmique est la capacité de s'abandonner au flux d'énergie biologique sans aucune inhibition, la capacité pour une libération totale de toute excitation sexuelle emmagasinée dans le corps grâce à des contractions involontaires jouissives”.

Dans les cliniques sexuelles qu'il fonda dans plusieurs pays Européens, Reich enseigna, aux gens de la classe ouvrière, non seulement comment la trouver et comment la positionner mais également comment devenir de meilleurs membres de la société en cultivant une vie sexuelle fantastique. YouTube présente un clip hilarant de propagande communiste évoquant les visions révolutionnaires de Reich sur la liberté sexuelle: Filme de Sexpol. Cette tactique se retourna vilainement contre eux. Les membres du prolétariat, qui mirent les théories de Reich en pratique, éprouvèrent de plus en plus d'amour et de plaisir dans les relations sexuelles; par conséquent, leur dévotion se tourna vers leurs amants, leurs amis et leurs familles et ils se détournèrent du parti!

Reich appela l'acte d'union sexuelle entre l'homme et la femme l'étreinte génitale. C'est un terme magnifiquement adéquat et poétique. L'union sexuelle n'est ni un acte de pilonnement phallique, ni un acte de voracité vaginale, mais une étreinte (il est vrai, cependant, que le déclic tendre puisse requérir une certaine quantité de pilonnement et de voracité). Reich décrivit quatre phases dans la relation sexuelle: 1, tension mécanique, les organes s'emplissent de fluide; 2, intense excitation avec charge bioélectrique; 3, orgasme accompagné de décharge bioélectrique et d'un flux de jouissance au travers du système musculaire involontaire; 4, relaxation, déclin de la tension mécanique, reflux des fluides corporels. Il appela la capacité de s'abandonner à ce processus en quatre phases, le réflexe orgasmique. A la suite de l'étude de milliers de cas, tout d'abord en psychanalyse et ensuite au sein de sa propre pratique d'orgasmothérapie, Reich observa que le réflexe orgasmique est toujours absent chez les personnes névrosées ou perturbées pathologiquement. Il en conclut que l'inhibition sexuelle et l'incapacité de s'abandonner au plaisir sont à l'origine de tous les maux sociaux. Elles provoquent une “plaie névrosée”, renommée plus tard “plaie émotionnelle”. Reich vit dans le dysfonctionnement sexuel le coeur somatique de la triple maladie de l'humanité: l'incapacité d'aimer, de s'auto-réguler et de résister à la domination autoritarienne et paternelle.

En observant de près la pathologie sexuelle pandémique de notre espèce, Reich conclut que les humains vont, de façon perverse, se protéger eux-mêmes contre l'abandon au plaisir. Les blocages physiques, émotionnels et mentaux font obstacle à la capacité humaine de s'abandonner dans l'acte ultime de tendresse partagée. Les sociétés placent des tabous sur la passion sexuelle parce que la stabilité dans un système social pathologique dépend d'un caractère social constitué d'une série de comportements qui sont respectables et même admirables mais Reich insista sur le fait qu'un tel caractère n'est rien d'autre qu'un blocage fondé sur “la colère induite par la frustration, en général, et par le déni de gratification sexuelle, en particulier” (ibidem).
Je cite La Fonction de l'Orgasme sur la page d'accueil de ce site: “la connaissance de ce qui est vivant peut seule bannir la terreur”. Je pense que cette phrase recèle une des plus grandes vérités jamais affirmées.

Résistance au Plaisir

Pour Reich, le caractère humain est une sorte d'armure qui sert à une “fonction secrète de défense et de protection” (ibidem, page 123) - d'où la fameuse expression Reichienne “d'armure caractérielle”. Il affirma que “l'individu insatisfait orgasmiquement développe un caractère non-sincère et une peur de tout comportement qui n'a pas été prévu à l'avance - en d'autres mots, une peur des comportements spontanés et authentiquement vivants - tout autant qu'une peur de prendre conscience de sensations d'origine végétative” (ibidem). Reich entendait par “sensations végétatives” le flux non inhibé de force vitale au travers du corps: on tremble lorsqu'on se sent totalement excité sexuellement.

Ses observations implacables, concernant la répression sexuelle, amenèrent Reich à développer une méthode unique d'analyse caractérielle, décrite dans l'ouvrage du même titre. La règle élémentaire était d'analyser les gens, non pas par le biais du contenu de leur névrose ou de leur pathologie, mais par le biais de la résistance enracinée dans leur caractère et leurs attitudes. Vous accédez au coeur du problème, apprit-il, lorsque vous pouvez mettre quelqu'un en colère - briser l'armure de son caractère. Lorsque cela arrive, la personne va s'emporter à propos de n'importe quoi mais ce n'est pas le sujet qui importe, ni ce qui est dit: “Les mots peuvent mentir. Le mode d'expression ne ment jamais” (ibidem, italiques de Reich).

Los Angeles est un endroit extrêmement ennuyeux. A l'époque où je vivais à Hollywood, je pratiquais parfois une forme allégée d'analyse de résistance Reichienne dans les rencontres sociales. Nul besoin de le dire, on ne me réinvitait jamais.

L'ouvrage de Reich L'Analyse Caractérielle transforma fondamentalement ma perception de l'animal social humain et ce, pour de bon. La perception du caractère humain, comme Reich le voyait, peut être insupportable et réellement accablante. Otez les façades et les défenses et que voyez-vous? Des enfants perdus et effrayés, et dont certains deviennent extrêmement méchants. Reich affirma que le fascisme est l'ordre social autoritaire qui émerge parmi les humains qui ne peuvent pas s'autoriser leur propre plaisir ou laisser s'exprimer leur force vitale dans des moments de tendresse partagée. La résistance au plaisir et la résistance à l'amour sont des formes étroitement corrélées d'abnégation de soi-même. Les êtres humains qui bâtissent leur caractère et dirigent leur vie sur ces résistances vont se retrouver dans une société ou une compagnie sociale qui renforce leur isolement émotionnel mais ce renforcement semblera être empreint de valeurs d'affirmations... Reich considérait le corps humain comme étant un sac de gel semi-fluide animé par des “courants végétatifs”. Dans les pires scénarios, la résistance somatique rigide et permanente au plaisir transforme le corps souple et réactif en une “vessie armurée”. En deux mots, une description assez adéquate de Dick Cheney, dois-de dire.

La mise en garde de Reich quant à la résistance de l'armure caractérielle aux “sensations d'origine végétative” peut être appliquée à la sexualité Tantrique et à la pratique visionnaire Gaïenne. Dans les deux cas, les praticiens vont au-delà de leurs résistances afin de s'ouvrir à l'abandon profond et à la sérénité. Dans la beauté et la révérence, là où l'ego se dissout dans la contemplation pure. Dans le shamanisme Gaïen, les plantes sacrées constituent le medium pour accéder aux sensations végétatives. La pratique est élitiste parce que la résistance à l'extase est répandue et profondément enracinée dans l'humanité et non pas parce que l'élitisme est intrinsèque au cadre théorique des pratiques ou requis par les praticiens. L'hédonisme est élitiste pour la même raison: l'acte d'abandon est auto-sélectif. Il y a ceux qui vont trembler et ceux qui ne vont pas trembler, avec quelques cas hors normes. (Dans le film Unfaithfull, Daine Lane donne une démonstration convaincante de tremblement dans l'excitation sexuelle - un comportement qu'il n'est pas aisé de simuler). Dans le shamanisme, le tremblement des mains, des membres ou de tout le corps précède toujours l'approche d'une manifestation visionnaire. Le moment où la terre vous touche avec une tendresse sublime. Et avec une puissance intense et inconcevable. Le moment où vous pénétrez dans la connaissance silencieuse. L'extase sexuelle est également une forme de connaissance silencieuse.

Tantra Sexuel

Je pense que j'ai découvert Tantra: The Yoga of Sex d'Omar Garrison à peu près à la même époque où je suis entré en collision avec la voluptueuse Charlotte. Cet ouvrage était, et est encore, la meilleure introduction grand public au Tantra classique. Publié en 1964, il est authentique, pour autant que je puisse dire, et contient un grand nombre d'informations de valeur. Par exemple, les adeptes Tantriques enseignent que la relation sexuelle est constituée de huit phases: 1. méditer en pensée sur le sexe; 2. en discuter; 3. partager la compagnie d'un partenaire sexuel potentiel; 4. flirter; 5. converser intimement; 6. désirer une union avec ce partenaire spécifique; 7. détermination du couple; 8. l'acte. (à cette époque alors passionnante, la quatrième phase, le flirt était permis. De nos jours, il est amplement condamné, une preuve que la société Occidentale a régressé dans ses résistances durant les 40 dernières années). Considérons la spécificité qui est ici à l'oeuvre, à savoir inviter une prise de conscience délicieuse et délicate de chaque phase et des transitions entre chaque phase. Le passage de l'idée à l'acte, savourant chaque étape le long du chemin, peut être considéré comme un rituel en mouvement ralenti de continuité - une autre traduction du mot Tantra. Cette progression ajoute une toute nouvelle dimension au processus souvent laborieux de baiser.

Garrison est exceptionnellement bon sur le plan des détails techniques, tel que le fait que nous respirons alternativement au travers de la narine droite et de la narine gauche. Il explique comment masser le gros orteil pour équilibrer le flux entre les deux côtés du corps et présente des informations encore plus ésotériques. J'ai appris de lui la méthode de contrôle de la respiration pour faire s'endormir une femme dans mes bras. Il décrit les nadis, les chakras, les cinq éléments fondamentaux ou vayus et la chimie neurohormonale de la sexualité hédoniste de grand vol. Aujourd'hui, nous connaissons beaucoup mieux la programmation neurochimique du corps et du mental qu'il y a 44 ans de cela. Les découvertes récentes confirment que les anciennes techniques Tantriques n'étaient pas de pures inepties.

“Celui qui réalise la vérité du corps connaîtra la vérité de l'univers”. Ratnasara, un traité Tantrique Hindou.

Garrison présente un chapitre sur la puissance du son interne, shabda. “La fusion du mental avec la fondation du mental est accomplie par l'écoute du son interne” (Hatha Yoga Pradipika). Ayant eu des expériences étranges, et qui ont transformé ma vie, avec le son, j'ai trouvé ce chapitre particulièrement fascinant. En appliquant la théorie du son Tantrique à ma vie sexuelle, j'ai découvert que la relation sexuelle très raffinée produit une sorte de sonorité, ou elle produit un ourlet dans le silence et dans cet ourlet s'engouffre un courant et dans ce courant glisse le Cygne Divin, Hamsa. Le son en partie de succion et en partie d'éclatement de relation sexuelle sur le mode “piston et soupape” dans les films pornos est une parodie grossière ou une imitation vulgaire de cet effet aurique extrêmement subtil, appelé nada bindu en Sanscrit. Hamsa est le terme ésotérique pour l'étreinte génitale du couple Tantrique en union parfaite - la baise osmotique. Le Cygne n'est pas simplement un symbole charmant de carte de voeux de l'étreinte génitale. C'est la sensation fondamentale du Tantra tout autant qu'une constellation et un principe profondément cosmologique.

Dans le Tantra, la femme de haut accomplissement est appelée le lotus d'émeraude, le lotus parfumé ou le lotus précieux; l'homme est appelé un cygne noir. La signification de ces termes, d'un point de vue technique et poétique, est éternelle et inépuisable et atteint le coeur sacré de l'expérience mystique de l'humanité.

J'ai beaucoup trouvé dans Garrison mais j'ai aussi trouvé ce que j'ai rejeté lors de ma première rencontre avec le yoga Taoïste et le sexe Tantrique traditionnel: la discipline élaborée, l'orchestration de l'acte conjugal, les visualisations complexes, les postures yogiques guindées, la rétention du sperme, et la dernière chose qui n'est pas la moindre, l'accès présumé à un état divin. Je désirais l'exploit sublime de l'union sans tous les rites et le charabia et sans le simulacre de la divinisation. Je rejetai donc tous ces aspects du Tantra classique et j'allai mon propre chemin, aspirant à un hédonisme spontané et libre de ces formes - un mysticisme érotique sans les vieilles valises et l'hystérie religieuse.

Ce que j'atteignis éventuellement, je l'appellerai le Tantra sexuel par contraste avec le sexe Tantrique.

La Triple Flamme

Les membres d'une société, qui résistent à leur propre plaisir, vont condamner le plaisir d'autrui et c'est ainsi que l'hédonisme acquiert une mauvaise réputation. Je suis convaincu que dans notre espèce, la capacité pour le plaisir est la condition primordiale d'acceptation de la vie, incluant sa dimension surnaturelle, numineuse et divine. Le Tantra sexuel est une discipline hédonique. Ce n'est pas une pratique visant à atteindre un état divin bien qu'il éveille les facultés à un large spectre d'effets surnaturels étonnants. C'est un pacte de plaisir entre un homme et une femme qui acceptent d'honorer et de nourrir la capacité de l'autre pour le plaisir. Et au-delà de cela, de célébrer et de transformer l'amour du plaisir en un art mystique. Le Tantra sexuel est un chemin direct vers l'espace en chacun de nous où la beauté fusionne en la Beauté, pure et totale. La Beauté qui excède votre capacité de la recevoir. La Beauté qui imprègne et anime tout ce qui est vivant. La Beauté qui est ainsi chantée dans le poème de Cavalcanti, Donna Mi Priegha:

“Seuls les courageux la connaissent,
un sentiment toujours frais, un souffle en mouvement perpétuel
qui incitent le mental monologuant
à contempler une autre forme, hésitant,
mais s'éleva en une flambée.”

Platon répète une rumeur selon laquelle Socrate apprit un certain principe de Diotima “L'Amour est le désir éveillé par la beauté”. C'est la formule triple débattue avec tant de passion par les hédonistes de la Renaissance tels que Cavalcanti et son protégé, Dante. L'amour ici est Eros et non pas agape, qui est l'amour personnel limité par l'attachement. Eros est transpersonnel et semble repousser l'attachement même lorsqu'il propage une intense attraction. Le Tantra sexuel suit un principe tripartite proche de l'expression Socratique. Vous ajoutez le plaisir à l'amour-désir-beauté et vous faites de la beauté le cadre embrassant de la formule ainsi que sa finalité. L'amour-désir-plaisir lovés dans la Beauté et menant à la Beauté. Ainsi brûle la triple flamme du Tantra.

Personne ne peut commander ou créer cette triple combinaison. De nombreux couples n'arrivent à cette combinaison qu'avec un succès partiel. Certains trouvent l'amour et le plaisir, d'autres le désir et l'amour, d'autres le désir et le plaisir, mais rares sont ceux qui trouvent les trois à la fois. La flamme jaillit où et quand elle veut. “Eros est un daemon puissant” dit Diotima à Socrate lorsqu'elle l'initia aux arts érotiques. Le Tantra a été appelé (par Eliade et par d'autres) l'érotisme mystique, un terme délicat pour un art fluide. Je propose “mysticisme érotique”. Pourquoi mystique en fait? Parce qu'Eros est la force qui vous conduit à la Beauté: “Eros oeuvre au travers du désir éveillé par la beauté et conduit le désir à la beauté”. La beauté est surnaturelle - la beauté de Gaïa, par exemple, dont toutes les beautés terrestres émanent. Le mysticisme est ce qui clot la bouche de révérence: muein, fermer les lèvres ou murmurer. Dans le Tantra sexuel, l'excitation du mysticisme s'intensifie à chaque fois que le rituel hédonique est accompli. Murmurer de petites choses douces, amis aussi proférer des obscénités, appartiennent à ce rite.

Les actes sexuels réalisés en révérence de la triple flamme sont pornographiquement vibrants. Ils le deviennent grâce à une puissance qui moule les sensations érotiques à l'image de la suie qui est moulée en chandelles: vos sens brûlent comme des chandelles, des lumières votives. Le terme vulgaire “baise” ne convie pas le sens d'un acte sacré, sans doute. Mais pour certaines personnes, il le peut. Il en est de même pour tout l'inventaire des mots en quelques lettres. Proférés en un murmure mystique, ces irrévérences résonnent comme une litanie de prières. Je n'applique pas l'expression “faire l'amour” au Tantra sexuel et je ne l'ai jamais appliquée. C'est une expression insipide. De plus, vous n'appelez pas l'acte de respirer “faire de l'air”, n'est ce pas? De la même manière, on ne peut qualifier de faire l'amour une relation sexuelle inspirée du Tantra. L'amour n'est qu'un tiers de la flamme Tantrique, en compagnie du désir et du plaisir. Trois tresses de chaleur érotique. Trois couleurs de lumière votive mais la couleur de base de la lumière est jaune. Dans le Tantra sexuel, la passion la plus raffinée et la plus tendrement sauvage irradie cette lumière.

Un consort ou un partenaire dans le Tantra est appelé un Tantrika. Cela rime avec paprika, accent sur la première syllabe. Les Tantrikas peuvent êtres seuls ou solitaires, ou en couples. Un Tantrika solitaire avait auparavant un ou une partenaire mais l'a perdu(e). Les membres du couple Tantrique ne sont pas des amants ou juste des amants. Ils constituent quelque chose d'immensément plus complexe et fascinant. Quelque chose qui défie la condition humaine et dépasse le prosaïque. Pour les Tantrikas en couple, la flamme érotique constitue un troisième élément qui brûle en toute indépendance de la passion qui les unit. La triple formule se duplique dans le triangle homme-femme-flamme des amants Tantriques. Tous les rituels de cet art dérivent spontanément de permutations en base trois: il sera le porteur momentané de l'amour, du désir et du plaisir ou elle le sera, en combinaisons harmonieuses. S'il est le porteur du plaisir et si elle est la porteuse de l'amour, c'est une harmonie. S'ils sont tous deux porteurs de désirs, c'est une autre harmonie. Chaque acte de toucher intime s'exprime au travers de ces harmonies d'une façon différente.

Les Tantrikas reconnaissent que leur amour n'est pas ordinaire de par la présence continuelle d'un troisième élément afin qu'aucun problème d'amour ne puisse émerger entre eux deux comme cela peut se passer avec d'autres personnes. La troisième pointe du triangle de l'amour n'est pas dans une autre personne mais dans l'Eros transpersonnel. La loyauté dans l'amour Tantrique est de garder la foi dans la flamme et encore plus dans l'énergie de couple de ceux qui la “vénèrent”. Durant ce qu'on appelle “faire l'amour”, les Tantrikas révèrent et préservent la flamme érotique. Dans le Tantra sexuel, le lit conjugal est un autel pour la baise. Les Tantrikas ne considèrent pas la relation sexuelle comme une expression de l'amour, néanmoins, mais comme une offrande à l'amour qui se consume éternellement dans la triple flamme. Les Tantrikas ne font pas l'amour comme il est conventionnellement compris: ils vivent du Tantra et font de l'amour une composante du rituel tripartite d'abandon. Le Tantra est l'art de la tendresse. La célébration du plaisir. La libération du désir. La consolation de l'amour. Tout cela pour la Beauté. Tout cela pour être dans la pure simplicité et tout autant empreint de Beauté que vous l'êtes intrinsèquement.

Comme l'acte sexuel peut être une offrande à l'amour plutôt qu'une expression de l'amour, il peut être aussi les deux. Mais il ne peut pas être l'expression de l'amour, avec son spectre mystique intégral de merveilles, si l'offrande ne précède pas le besoin de l'amour. Le Tantra satisfait ce besoin mais non pas au travers de la routine habituelle de gratification. Dans le Tantra sexuel, l'amour personnel dans le couple émerge comme un effet secondaire de leur plaisir consommé. (Les troubadours Européens, qui étaient contemporains avec les cultes Asiatiques de l'amour tels que les dévots de Krishna, comprenaient aussi ce principe hédonique). En d'autres mots, les Tantrikas s'offrent hédoniquement à l'amour qui va émerger entre eux avant son émergence. Cela est réalisé par un abandon mutuel à cette espace de tendresse dans lequel toucher et être touché sont paradisiaques.

Si le principe subtil selon lequel l'offrande à l'amour passe avant son expression résonne en vous, le Tantra fait peut-être partie de votre destinée.

La Religion de la Baise ou Baisez la Religion

Contrairement à ce que vous pourriez déduire du langage auquel j'ai recours dans cet essai, je suis extrêmement opposé à comparer le Tantra sexuel à la religion et je suis autant allergique à la religiosité Tantrique qu'à tout autre forme de religiosité. Je me rappelle constamment du commentaire fait par Henry Miller au sujet de D. H. Lawrence: “Je ne vois pas l'utilité de faire une religion de quelque chose d'aussi simple qu'une bonne baise”. Je suis enclin à aller dans ce sens. Il est sûrement étrange qu'après avoir proclamé et écrit haut et fort, à de nombreuses occasions, “baisez la religion”, je sois en train de colporter la religion de la baise - une bonne expression d'argot pour le Tantra.

Mais c'est un privilège rare d'être un Tantrika et ce qui est rare est souvent proche de devenir sacré, à certains égards. Il est clair, également, que l'amour pornographique possède des connotations sacrées et cosmiques. Pourquoi? Parce qu'il se manifeste dans le mystère de l'incarnation. Qui connaît les finalités authentiques et ultimes des organes génitaux humains - la fonction de la lèvre supérieure et de la lèvre inférieure, par exemple? Les Tantrikas disent que ce dessein ne favorise pas la reproduction, l'acte grossier de s'accoupler pour procréer. Cela en est loin. Imaginez-vous les lèvres comme un système de repérage, offrant un repli dans lequel un courant ou un fil peut se lover et être guidé. Non point guidé dans la profondeur du yoni mais juste à son embouchure. (Yoni est le terme Sanscrit pour l'organe sexuel femelle; lingam est le terme Sanscrit pour l'organe sexuel mâle). Un pétroglyphe du plateau de Tasilli en Algérie dépeint cette connexion que les érudits prennent pour un icone de “fertilité”. Nous reviendrons sur la question infernale de la fertilité dans la seconde partie de cet essai.

Je me demande si le privilège d'être un Tantrika puisse venir, d'une certaine façon, de la planète elle-même, de Gaïa, la déesse de sagesse. Il se peut que la passion Tantrique jaillisse en vous parce qu'elle fait un échange, en accordant son plaisir au vôtre, en accroissant la mise à chaque fois. Dans le mythos Gnostique, Sophia plongea dans la forme planétaire par un rêve solitaire, en s'arrachant à son consort et à la compagnie des dieux Pléromiques. Gaïa est certainement une Tantrika solitaire, une prostituée choquante qui s'expose et le fait sans vergogne et dont les pouvoirs de reconnaissance sont si affinés qu'elle n'oublie jamais un visage une fois qu'elle s'y est assise.

Ce sont des paroles très étranges, je suppose, mais il est 3 heures 46 du matin le 24 avril 2008 dans la fraîcheur de la nuit d'une vallée qui resplendit comme l'Eden, la perle de l'Andalousie, et je n'ai rien de mieux à faire. Ce que je veux dire quant à cette prédilection qui est mienne, le Tantra sexuel, c'est que ce n'est pas juste une question de plaisir, ou de désir ou d'amour. Le Tantra est une extase dyadique sensorielle et le rituel pour atteindre à une telle extase, le rituel le plus simple et le plus sublime qu'un être humain puisse réaliser: c'est le rituel de l'abandon. Je ne veux pas dire l'abandon dans le sens de baisser les bras, jeter l'éponge ou se soumettre à une autre personne ou à une autorité supérieure ou quelque chose dans ce genre. L'abandon n'est pas la soumission à quelqu'un ou à quelque chose. L'abandon, c'est le rejet par le coeur du mal qui y demeure, le refus de s'épanouir et de fleurir.

L'abandon est une réouverture perpétuelle du sceau de l'amour, la première et la dernière manifestation de la tendresse.

L'abandon est ce qui arrache de votre corps, et de votre âme, ce qui vous rapetisse et vous dévalue. Tout ce qui vous dévalue à vos yeux tout en prétendant le contraire. Tout ce qui entretient la résistance et mine l'acceptation. Tout ce qui vous fait vous sentir moins que magnifique. Tout ce qui vous distraie de jouer, remet le plaisir en question et déguise le regard clair et affamé de l'animal humain. Tout ce qui limite et condamne l'extravagance de votre désir prodigue. Tout ce qui diminue votre humanité charnelle et qui vous rend moins et autre que la plénitude sans entraves d'innocence naturelle que vous êtes, suprêmement.

Le Tantra est l'art de la tendresse appliqué à votre soi biologique. L'amour de soi élevé à la énième puissance où il vous dissout dans le non-soi. Le remède contre la fin narcissique et le refuge à l'encontre de la masturbation solitaire sous toutes ses formes, y compris le monologue intérieur. L'élixir précieux dans le ragoût alchimique du bonheur. Cela peut être également l'expression de la mansuétude Gaïenne envers sa progéniture blessée. Et si c'est le cas, je suspecte que les bénéfices en sont mutuels. Cela soulage et secoure la Mère Cosmique elle-même. Cela embellit l'environnement. Cela enchante le foyer, parfume le caractère social, restaure les limites harmonieuses, génère de belles manières et un excellent raffinement. Cela rend le plaisir transcendant dans l'amour et réconcilie le désir sexuel avec l'amour. Cela chasse le ressentiment et guérit la haine. Cela sanctifie le désir.

Guerriers de l'amour, révérez la triple flamme.

John Lash. Andalousie. 24/29 avril 2008.

Traduction de Dominique Guillet.