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Le Dernier Tabou

John Lash

Télécharger l'essai avec les illustrations.

Traduction par Dominique Guillet de l'essai "The Last Taboo"

Avons-Nous Failli à Relever le Défi du Da Vinci Code?

Avec la sortie du film (en mai 2006) basé sur le roman de Dan Brown, le Da Vinci Code, le débat qui a secoué le monde entier, durant trois années, va peut être commencer à diminuer d'intensité. L'atmosphère étant apaisée et tous les aspects du débat ayant été examinés maintes et maintes fois, la controverse qui entoure Marie Madeleine a t-elle encore quelque chose à nous révéler?

Personnellement, je pense que oui. Mais la révélation que j'ai à l'esprit concerne un aspect de ce débat qui n'a pas encore été considéré.

Une autre convention de l'art Chrétien implique le motif de “la main qui cherche l'aine”. Giovanni Bellini, Madonna et l'enfant , 1500 Accademia Carrara di Belle Arti, Bergamo

La Sexualité du Christ

L'effet de surprise de Madeleine consiste dans le simple fait que la mise en valeur de sa présence dans l'histoire de la vie de Jésus en modifie le scénario. Elle nous oblige à penser différemment au sujet du sauveur. Si nous persistons à croire que Jésus est le Fils unique de Dieu, une divinité incarnée sous une forme humaine, alors il nous faut considérer que le statut divin n'exclue pas les relations sexuelles. Cette possibilité détruit l'image de Jésus, sa chasteté, sa continence, sa virginité et sa capacité de résister aux tentations de la chair. Si le Fils de Dieu a fécondé Madeleine, une femme mortelle, il est également possible que leur union ait engendré un lignage sacré - bien qu'il faille avouer que la notion de généalogie divine soit une notion assez nébuleuse. Devons-nous imaginer qu'il existerait quelque chose de spécial dans la configuration génétique d'une lignée descendant de Jésus? Telle est la supposition non affirmée de la conspiration du Prieuré de Sion, ou scénario de Sion, comme je l'ai appelé dans ma recension du Da Vinci Code. Jésus doit avoir été spécial, génétiquement parlant, pour que sa lignée de sang acquière autant d'importance. Le scénario de Sion reprend l'antique notion de théocratie, la descendance généalogique des dieux, et l'applique au personnage de Jésus.

Etrangement, ce scénario n'entre pas en conflit avec l'idéologie de longue date de Jésus en tant que Pantocrator, le gouverneur spirituel du monde. En fait, la théocratie, à de nombreux égards, est cohérente avec la doctrine de l'incarnation. (On pourrait dire que l'Eglise Catholique est une théocratie qui ne se laisse pas appeler comme telle. En d'autres mots, elle veut opérer comme une théocratie sans en assumer la responsabilité). Le blasphème impliqué dans le scénario de Sion n'est pas que Jésus soit génétiquement différent - s'il était vraiment l'incarnation d'un être divin né d'une vierge, il aurait été différent jusque dans sa structure génétique - mais c'est qu'il ait transféré cette différence à une lignée de descendants en se commettant à des actes mondains de procréation.

De nombreux croyants considèrent la notion selon laquelle Jésus était marié à une femme, qui porta des enfants de son sang, comme étant le sacrilège ultime que l'on pourrait proférer à son encontre. Pour ces croyants, la sexualité du Christ est incompatible avec sa divinité mais ce ne fut pas toujours le cas parmi les fidèles. Dans son ouvrage (paru aux USA en 1983, l'année de publication de Holy Blood, Holy Grail), La sexualité du Christ dans l’art de la Renaissance et son refoulement moderne, Leo Steinberg, un historien distingué de l'art démontra que dans les temps anciens, la sexualité du Christ était amplement considérée comme une preuve que le Christ avait assumé l'apparence intégrale de l'humanité, (ou son fardeau, si vous préférez). “Comment donc celui, qui restaura la nature humaine à un état sans péché, pourrait avoir éprouver de la honte pour l'élément sexuel de son humanité?” demande Steinberg.

Cette ligne de raisonnement est en accord avec la vision partagée par de nombreux dévots au Moyen Age et jusque vers la Renaissance. Steinberg présente des douzaines d'exemples dans l'art Chrétien pour valider sa thèse: par exemple, la Madone et l'Enfant, un tableau de Giovanni Bellini, qui figure sur la couverture de son ouvrage. Dans cette peinture, comme dans de nombreuses autres représentations de la Madone et de “l'Enfant Christ”, la mère fait un geste qui attire l'attention vers les parties génitales de l'enfant. Ou bien parfois, elle les caresse même. Selon Steinberg, cette pose était une convention, dans l'art Chrétien, tellement essentielle à la notion de l'Incarnation que “de nombreux artistes en vinrent à considérer le sexe de l'Incarné comme un attribut indispensable”. Parmi les douzaines de peintures qu'il présente pour illustrer cette convention, on trouve l'Adoration des Mages de Domenico Ghirlandaio, dans laquelle un mage âgé inspecte le pénis de l'enfant divin, que la mère tient de telle façon à faciliter son investigation. D'autres versions de l'Adoration par Jan van Scorel (1535) et Pieter Breughel (1564) ne sont pas moins explicites.

Dans son commentaire sur les peintures de la circoncision, Steinberg cite Saint Bernard de Clairvaux, une autorité et non des moindres, qui affirma que “la circoncision est la preuve de l'humanité véridique que le Christ a assumée”. Durant de nombreux siècles, la “première et la dernière blessure” de Jésus furent étroitement corrélées dans les débats théologiques: la première, la circoncision, fut la preuve de sa pleine humanité, et la seconde, la crucifixion, fut la preuve de sa mortalité. Les dévots des anciens temps qui croyaient que Jésus se releva de la mort croyaient aussi qu'il était pleinement incarné dans sa sexualité, la “condition de chute” de l'humanité; sinon, son statut mortel aurait été invalidé et l'efficacité de sa résurrection miraculeuse aurait été mise à défaut.

Le Sauveur Viril

Steinberg est extrêmement discret dans la gestion de ces problématiques épineuses et il ne manie, en nulle occasion, l'irrévérence ou le blasphème. Il ne fait même pas l'ombre d'une suggestion quant à la possibilité que Jésus, pleinement incarné dans sa sexualité humaine, pût réellement s'être engagé dans des activités sexuelles. Il laisse plutôt l'art parler pour lui-même:



Une des peintures saisissantes de Jésus, avec une érection. Ecce Homo, Voici l'Homme, l'Homme de douleurs, (1525) un tableau de l'artiste Flamand Maerten van Heemskerck.

Ecce Homo, Voici l'Homme, l'Homme de douleurs, (1525) un tableau de l'artiste Flamand Maerten van Heemskerck est l'une des peintures saisissantes de Jésus, avec une érection, que l'on trouve dans la monographie de Steinberg. Certaines peintures suggèrent même une érection sur l'homme crucifié. Il n'existe pas de peinture qui ait survécu de Jésus engagé dans un acte sexuel mais l'érection signifie clairement qu'il en était capable. “L'humanisation de Dieu implique, en même temps que la mortalité, sa sexualité potentielle”, écrivit Steinberg, en étayant son cas. Wilhelm Reich exprima exactement le même argument dans son ouvrage Le Meurtre du Christ, dans lequel il présenta le Christ comme l'expression suprême de la force de vie pleinement incarnée (eros, orgone) et un exemplaire mâle de la puissance orgasmique. Si Steinberg a raison, le concept selon Reich d'un Christ viril-vital aurait été totalement acceptable pour de nombreux Chrétiens des époques passées.

Une des peintures saisissantes de Jésus, avec une érection. Ecce Homo, Voici l'Homme, l'Homme de douleurs, (1532) un tableau de l'artiste Flamand Maerten van Heemskerck.

Une des illustrations saisissantes de Jésus, avec une érection. Ludwig Krug. 1520

Une autre convention de l'art Chrétien implique le motif de “la main qui cherche l'aine”, comme Steinberg l'appelle. Cela est évident dans les peintures de la Renaissance de nombreux pays, telle que la Mise au Tombeau de l'atelier de Germain Pilon (1540).

Steinberg affirme que ce geste, que l'on retrouve dans des Pietas célèbres, aurait été considéré avec grande émotion par les fidèles. Non seulement est-ce le geste typique, et qui fait grimacer, d'un homme qui a été blessé dans ses parties les plus vulnérables, mais cela peut aussi être interprété comme un signe d'humilité du Christ surhomme, montrant qu'il accepta la condition, liée à la chute, de la sexualité même dans la mort.

Les caresses des parties génitales de l'Enfant, l'érection de l'homme crucifié et le geste en quête d'aine, se retrouvèrent dans de nombreuses expressions de l'art du Moyen Age et de la Renaissance mais l'accentuation sur la sexualité du sauveur procède d'une source beaucoup plus antique, que l'on peut localiser, carrément, au sein de la tradition Chrétienne. Dans la Cité de Dieu, Saint Augustin écrivit:

“J'estime que ceux qui ne doutent pas que les deux sexes seront présents à la Résurrection ont raison. Car de ces corps, le vice sera ôté alors que la nature sera préservée. Maintenant, le sexe d'une femme n'est pas un vice, mais la nature. Et dans la Résurrection, il sera libéré de la nécessité de l'accouplement sexuel et de la procréation. Cependant, les organes féminins resteront adaptés, non point aux anciens usages, mais à une nouvelle beauté, qui, loin de provoquer le désir, maintenant éteint, excitera la louange de la sagesse et de la clémence de Dieu.” (XXII, 17).

On peut difficilement imaginer un petit coup d'oeil plus intime dans les fantasmes sexuels d'un patriarche à la barbe blanche. Durant sa jeunesse à Carthage, Augustin vécut une période de débauche, mais plus tard il développa une aversion envers le sexe. Bien qu'il ait flirté quelque peu avec les notions Gnostiques, il était violemment opposé au libertinage supposé des groupes Gnostiques qui avaient la réputation de pratiquer des “orgies sexuelles”. Il opta pour le célibat mais imagina que, dans l'après vie, la sexualité existerait encore, mais seulement à la gloire de Dieu. Sa croyance selon laquelle les organes génitaux féminins seraient élevés à “une nouvelle beauté” et vénérés, dans la Résurrection, aurait semblé bizarre aux Tantrikas de l'Inde ou à leurs homologues Occidentaux, les chevaliers Arthuriens et les troubadours, qui ne se pressaient pas d'attendre l'après-vie pour découvrir une beauté divine dans les parties les plus intimes de l'anatomie féminine.

Augustin ne discute pas des parties génitales du Rédempteur mais s'il pensait que les organes de la femme - cette créature inférieure et un instrument du Diable - devaient être glorifiées dans l'après-vie, il est plus que probable que son argumentation théologique concéderait que l'organe mâle pût achever une glorification bien supérieure au travers de l'Incarnation. En tout cas, c'est ce qui ressort des évidences que l'on trouve dans l'art de la Renaissance. Steinberg insiste sur le fait que Jésus était chaste et affirme que cette chasteté acquiert une valeur religieuse suprême. Il en est de même de la sexualité pleinement incarnée du Rédempteur, même si elle n'est pas mise à contribution dans la copulation.

De par le débat généralisé, quant à la sexualité de Jésus, qui a été soulevé par le Da Vinci Code, on pourrait penser que le tabou n'est plus simplement ébréché mais qu'il est totalement démoli. Cependant, il n'en est rien.

Contre la Procréation

Il est étonnant qu'aucun des historiens ou des érudits, qui ont commenté la problématique de la sexualité de Jésus soulevée par le Da Vinci Code, n'ait fait référence à la monographie de Steinberg. (Une recherche avancée sur Google avec “Da Vinci Code/Steinberg” ne fait ressortir que mon long article sur Marie Madeleine, présenté sur Metahistory, mais aucune autre association de ces deux éléments émanant d'ouvrages ou autres organes de communication). Cette référence est, cependant, de grande valeur parce que la matériau présenté dans l'ouvrage de Steinberg anticipe une distinction cruciale: à savoir entre l'affirmation selon laquelle Jésus avait une relation sexuelle avec Marie Madeleine et l'affirmation selon laquelle elle porta des enfants de lui. Ce sont deux affirmations totalement distinctes mais qui, cependant, à ma connaissance, ne sont clairement distinguées à aucun moment du débat Da Vinci Code/Sion. Steinberg ne parle pas de relation sexuelle entre Jésus et Marie Madeleine, bien sûr, mais son ouvrage introduit une nuance essentielle qui nous laisserait imaginer leur union intime. Il affirme sans ambages que la sexualité pleinement incarnée du Christ n'implique pas le vécu de relations sexuelles. Appelons cela la première nuance: le fait d'atteindre la puissance sexuelle n'implique pas la réalisation de l'acte sexuel - comme tous les adolescents angoissés des deux sexes peuvent en témoigner! Voyons donc maintenant une seconde nuance: la relation sexuelle peut être consommée mais pas dans la finalité de la procréation. De nouveau, on touche au désir le plus profond et le plus cher de tous les adolescents de la planète.

Les érudits du Gnosticisme, de la théologie et de l'histoire des religions, qui font des commentaires sur le Da Vinci Code, assimilent tous l'acte sexuel à la procréation. L'affirmation faite dans le scénario de Sion, et exposée sous forme fictionnelle dans le DVC, présente cette interprétation: Jésus avait des relations sexuelles afin de procréer. Cette interprétation laisse de nombreux croyants dans la confusion et dans l'outrage mais elle fait encore pire. A partir du moment où notre attention se tourne vers la sexualité de Jésus Christ, nous sommes orientés vers ses descendants. Le point de focalisation de cette tactique de diversion est Marie Madeleine qui est identifiée au vaisseau sacré, au “san gral” ou Saint Graal. On nous dit que Madeleine est la coupe du graal, recherchée de longue date, parce qu'elle fut fécondée par Jésus et qu'elle porte le fruit du lignage sacré dans sa matrice. On nous encourage à croire qu'un énorme secret nous est livré au travers de cette révélation.

Les érudits du Gnosticisme qui débattent du Da Vinci Code dans leurs ouvrages, dans leurs articles et dans leurs commentaires, citent généralement les Codex de Nag Hammadi, plus particulièrement le célèbre passage bref du baiser dans l'Evangile de Philippe. En fait, la feuille de papyrus dans laquelle ce passage apparaît (NHC II, 3:63.35) est abîmée juste à l'endroit qui précise où Jésus embrassa sa “compagne”. Les érudits ont restauré le texte en insérant “sur la bouche”. Jésus, d'ailleurs, aurait tout aussi bien pu l'embrasser sur le front ou sur le derrière. Cette dernière remarque pourrait sembler outrancière et insultante mais il y a quelque chose d'encore plus outrancier dans toute cette problématique, à savoir la négligence des experts qui débattent de ce passage comme s'il validait l'affirmation selon laquelle Jésus et Madeleine avaient des enfants. Des érudits, tels qu'Elaine Pagels, semblent concéder, même si ce n'est que du bout des lèvres, que l'épisode Gnostique de Jésus embrassant Madeleine implique une intimité physique compatible avec un accouplement sexuel. Par négligence, j'entends qu'en acceptant de discuter de la façon dont la matière Gnostique pourrait soutenir l'affirmation de DVC/Sion selon laquelle Jésus et Madeleine étaient parents, les experts n'informent pas le public d'un aspect essentiel à la vision du monde Gnostique.

Ce que les experts ne nous disent pas, c'est que le couple décrit dans les écrits Gnostiques, s'il avait été un couple Gnostique véritable, aurait rejeté la procréation, car c'était la politique commune à toutes les communautés Gnostiques.

Il est vrai que je n'ai rien lu qui ait été écrit sur le DVC durant ces trois dernières années. Mais je suis relativement informé des assertions qui ont été faites par les érudits éminents dans des ouvrages et des documentaires. Disons que si Karen King souligne quelque part que les Gnostiques rejetaient la procréation, et bien ce point m'a échappé. Quelqu'un, un érudit ou non, peut avoir, une fois, souligné ce point. (Là encore, une recherche avancée sur Google n'a rien donné). Ce qui est scandaleux, c'est qu'aucun expert n'ait clarifié cet aspect durant les débats publics. Cependant, tous les experts sont unanimes à déclarer que les Gnostiques étaient radicalement opposés à la procréation. En fait même, c'est un des quelques facteurs, dans la panoplie des concepts Gnostiques, sur lequel tous les expert sont unanimes. C'est un des quelques éléments solides et cohérents que l'on connaît de la vision Gnostique du monde. Il existe des preuves littéraires explicites, à la fois dans les écrits Gnostiques et ailleurs, selon lesquelles les Gnostiques s'opposaient à la procréation d'un point de vue philosophique et pratiquaient l'avortement de façon consistante.

Cela étant, il est totalement erroné, pour ne pas dire trompeur, de citer des textes des Codex de Nag Hammadi pour prouver que Jésus et Madeleine avaient des enfants.

Les experts ont failli à relever le défi présenté par le débat entourant le Da Vinci Code et ils ont failli de façon très grave. Ils devraient avoir la responsabilité, pour le moins, d'élucider certains points du Gnosticisme afin que le public puisse décider comment les assertions de DVC/Sion sont ou non corroborées par ces anciens textes. De confirmer la supposition que Jésus et Madeleine, considérés en termes Gnostiques, étaient parents, est totalement irresponsable - mais il y a pire. La négligence des experts ne s'arrête pas là. Elle sévit encore plus profondément.

Intuition Ecologique

Après avoir (finalement!) introduit cette notion essentielle dans le débat - le refus de la procréation par les Gnostiques - il n'est que naturel de poser la question suivante: quelle était leur raison? Pourquoi la refusaient-ils pour eux-mêmes et la jugeaient-ils comme mauvaise pour l'espèce humaine?
A première vue, cela semble être une position défaitiste. Si les humains ne procréent pas, comment l'humanité peut-elle survivre? Quel est le propos de contester la procréation? Non seulement les Gnostiques pensaient-ils qu'il faille s'y opposer d'un point de vue éthique, mais encore étaient-ils réputés pour pratiquer l'avortement dans leurs groupes, et probablement, pour assister autrui dans cette démarche.

Le refus Gnostique de la procréation possède un fondement cosmologique, intimement corrélé aux principes éthiques des Mystères. Dans la cosmologie Gnostique, le dieu paternel Jéhovah était identifié à Yaldabaoth, une divinité extraterrestre qu prétend être l'unique et suprême souverain du cosmos. Yaldabaoth, appelé aussi le Démiurge, veut que l'humanité le vénère comme un dieu authentique (un Eon, en terminologie Gnostique) et de nombreux êtres humains le considèrent vraiment comme le Créateur. Les Gnostiques mirent en garde contre cette illusion de manière très explicite. Ils affirmèrent que la prétention de Jéhovah d'avoir créé l'humanité “à son image” est fausse et devrait être rejetée. Selon la vision Gnostique, l'humanité est une projection, qui s'auto-construit, de l'imagination des Eons, des Dieux Pléromiques authentiques, qui n'impriment pas leur image sur ce qu'ils émanent.

Un des commandements de Jéhovah à son peuple (intrinsèquement le peuple Juif, mais par extension toute l'espèce humaine) était de procréer et de se répandre sur toute la terre. Nous pouvons percevoir, dans ce commandement, le stratagème malin du Démiurge pour que l'espèce humaine se rende conforme à une fausse image d'elle-même et qu'elle se perde elle-même dans une prolifération inconsciente de cette image (à savoir, par une sur-procréation). L'arrogance du dieu imposteur infecte ceux qui croient en ses mensonges et en ses commandements. De nous percevoir faits “en Son image” est grandiose et valide la supposition que nous sommes une espèce unique possédant le droit d'envahir la planète et de dominer tout ce qui n'est pas humain.

Les Gnostiques objectèrent à la procréation parce qu'ils perçurent dans l'émotion philoprogénitrice l'extension de l'égoïsme humain en termes biologiques, à savoir une expansion de l'humanité en dehors de ses propres limites au détriment du reste de la biosphère. J'oserai affirmer que c'est une intuition profondément écologique.

En termes éthiques, les Gnostiques distinguèrent trois types, ou classes, d'êtres humains: le type matérialiste, le type psychique ou orienté vers l'âme, et le type spirituel ou “pneumatique”. De par leur rejet de la procréation, ils se plaçaient eux-mêmes dans la troisième catégorie mais concédaient que les individus de la première catégorie, qui manquaient de discernement spirituel, fussent enclins à procréer de façon égoïste et inconsciente. La survie de l'humanité ne pouvait pas être remise en question tant que cette catégorie de personnes continuait de procréer. Les Gnostiques mettaient en valeur que certains individus de la seconde catégorie, qui étaient ouverts à l'éveil spirituel, pourraient être amenés à ne pas procréer, mais que par contre, rien ne pouvait être demandé au premier groupe. Ils acceptèrent donc que la race humaine continue de procréer mais ils ne le firent pas sans commentaires. Ils étaient comme des non-fumeurs qui ouvertement condamnent et s'opposent au fait de fumer, qui mettent en place des zones non-fumeurs plutôt que de rester passifs et de tolérer que les autres fumer.

Les Gnostiques, cependant, ne se contentèrent pas de condamner la procréation chez autrui, et de s'en abstenir au sein de leurs communautés, ils oeuvrèrent également à remédier aux maux qui lui étaient corrélés. Ils se mirent au service des individus mêmes qui envahissaient la terre. Dans les institutions des Mystères, ils adoptèrent de nombreux élèves qui étaient les enfants d'autres personnes et les éduquèrent afin qu'ils pussent atteindre les niveaux les plus élevés du potentiel humain. Sans enfants de leur sang, ils assumèrent une relation quasi-parentale avec leurs élèves et leurs protégés. Sans héritiers en propre, ils firent des enfants des autres leurs héritiers. En tant que telestai, les instructeurs Gnostiques des Ecoles de Mystères étaient profondément concernés par le futur de l'humanité et le potentiel ultime de notre espèce. Le rejet de la procréation était en cohérence avec leur responsabilité sacrée vis à vis du futur de l'humanité, plutôt que du futur de leur propre progéniture. Bien que l'on trouve quelques rares exemples de connexion parentale dans les Mystères - Hypathia et son père, Théon d'Alexandrie, par exemple - ces cas ne contredisent pas l'éthique primordiale du système d'initiation, par lequel aucune faveur ou préférence n'était liée à des relations de sang et par lequel l'héritage générationnel était abandonné au bénéfice de la transmission initiatrice.

William Key. Pieta avec une érection.

Vraiment Scandaleux

Il est vrai que ce sont des problématiques hermétiques et complexes qui ne pourraient pas être aisément explicitées dans un interview de documentaire et qui même expliquées ne parleraient peut-être pas à l'intellect de nombreux individus d'aujourd'hui. Mais là encore, cela pourrait être justement ce dont les gens de notre époque ont le plus besoin de savoir quant aux Gnostiques et aux Mystères. Ces considérations concernent le problème du contrôle de la population, un des grands tabous de notre temps - peut-être le dernier tabou. S'il était plus largement compris que les Gnostiques s'opposaient à la procréation et pratiquaient le contrôle des naissances, et pourquoi il en était ainsi, nous pourrions débattre avec plus de sérénité du problème de la surpopulation. Malgré cela, aucun érudit prend le temps de discuter de ce sujet ou d'élucider la position Gnostique à l'encontre de la procréation.

Ces considérations peuvent paraître nous éloigner de la problématique de la sexualité de Jésus mais, en fait, elles pointent directement vers le coeur de la confusion dans le débat sur le Da Vinci Code. Comme je l'ai suggéré ci-dessus, cette confusion est due au refus de voir la différence entre les relations sexuelles et la procréation. En proposant que Jésus avait des relations sexuelles avec Marie Madeleine, le Da Vinci Code, tout comme le scénario de Sion, accordent une importance ultime à la progéniture issue de leur union. Mais s'ils avaient seulement eu des relations sexuelles sans progéniture? Cela aurait été en accord avec leur position en tant que Gnostiques. Et si l'on cite des références Gnostiques se rapportant à Jésus et à Madeleine, il n'est que trop normal que nous les considérions à la lumière de la vision Gnostique. N'est-ce pas?

D'associer Jésus à une conspiration théocratique fait sensation en fiction, comme le succès du Da Vinci Code le démontre. Le scénario de Sion présuppose la divinité de Jésus, sinon la lignée de sang ne pourrait pas être sacrée. Mais les Gnostiques s'opposèrent à la vision Chrétienne de la divinité humaine qui informe le programme théocratique. En rejetant la divinité humaine (l'Incarnation, théologiquement parlant), ils rejetèrent par la même occasion la notion de théocratie. Cependant, les érudits permettent que des textes Gnostiques soient cités dans des discussions confuses qui n'ont comme finalité que de valider la fantaisie théocratique proposée par le Prieuré de Sion. La meilleure façon de contrer cette fantaisie serait d'interpréter les textes Gnostiques en fonction de leurs propres termes, mais cela n'est jamais le cas.

L'omission, par les érudits, des prises de position Gnostiques quant à la procréation, et ce qu'elle implique, n'est pas une négligence sans conséquence, c'est en fait un véritable scandale. Le refus de considérer cette problématique fausse totalement le débat qui entoure le Da Vinci Code et le scénario de Sion. Il nous empêche également d'aller au-delà de la “sexualité du Christ dans l'art de la renaissance et dans le refoulement moderne” et d'aborder ce qui est véritablement le sujet le plus tabou au monde. L'affirmation selon laquelle Jésus avait des relations sexuelles avec une femme peut sembler être l'outrage ultime mais, cependant, la sexualité du Rédempteur n'est pas le dernier tabou. Si l'on intègre l'argumentation Gnostique contre la procréation, il existe un outrage plus ultime:

Jésus s'engagea dans une relation sexuelle, non pas pour procréer, mais purement pour le plaisir.

Le dernier tabou ne concerne pas la relation sexuelle mais le plaisir que l'on en retire. Le débat autour de la sexualité de Jésus soulevé par le Da Vinci Code se focalise à tort sur la procréation, plutôt que sur le plaisir. Si l'homme parfait et le Rédempteur divin put avoir expérimenté la jouissance sexuelle, pour le plaisir, que reste-t-il de l'Incarnation et de la Résurrection, qui toutes deux glorifient le fardeau et l'agonie du Sauveur pour la rédemption de l'humanité? Si Jésus et Madeleine était des amants non mariés qui vivaient une sexualité orgiastique en tant que pratique spirituelle, tel que l'Evangile de Philippe l'indique, que reste-t-il du “message d'amour” des Evangiles? Si le plaisir peut nous relier au Divin, comment pouvons nous accorder l'importance ultime à la douleur de l'expérience religieuse?

Le plaisir est le dernier tabou parce que lorsqu'il est intégré à l'histoire du rédempteur - imaginé comme un simple humain ou un avatar divin, peu importe - il remet en question la valeur rédemptrice de la souffrance. La croyance en la valeur rédemptrice de la souffrance est au coeur de la religion rédemptionniste. C'est la croyance qui garde l'humanité crucifiée par le drame grandiose et auto-accompli de l'auto-immolation.

John Lash. Juin 2006. Flandres

Traduction de Dominique Guillet