RechercAccueil - Contact
Chercher sur Liberterre
GaiaSophia Agriculture
Métahistoire Enthéogènes

Métahistoire

Codex de Nag Hammadi

Niveau 1

•> Allogène

•> Apocalypse de Pierre

•> Second Traité du Grand Seth

•> Dialogue du Dauveur

•> Les Sentences de Sextus

ActualiTerres ReporTerres
LiberTerres Gaïagnostic
LivreTerres Boutique


Allogenes

John Lamb Lash

Télécharger l'essai en PDF.

Traduction par Dominique Guillet de l'essai "Allogenes"

CNG XI, 3. Neuf pages. Discours de révélation. Thèmes majeurs: don de l'intelligence divine, instruction par la Lumière Organique. Très endommagé (fragmentaire) sur plusieurs passages.

C'est un très bon texte pour commencer à lire les Codex de Nag Hammadi car il plonge le lecteur directement au coeur de la matière. C'est un texte fondamental et très ésotérique. Le langage qu'il utilise peut sembler abscons au premier abord mais il n'est pas nécessaire de comprendre chaque phrase dans son sens exact et littéral. En fait, la meilleure façon de lire certains passages d'Allogenes est de scanner avec attention les mots mais sans exiger d'en faire sens. Ce texte présente une perspective intime de l'atmosphère d'une session d'Ecole des Mystères. Son ton et son style peuvent être absorbés - sirotés, si vous préférez - sans l'exigence d'une compréhension rationnelle intégrale. Il y a beaucoup de choses que l'on puisse apprendre de ce texte, comme nous le verrons, mais il est préférable de laisser certains passages dans une semi-obscurité. Une des premières leçons que nous puissions tirer de la lecture des Codex de Nag Hammadi: ne vous cramponnez pas le mental sur de la matière cryptique.

Allogenes présente cinq révélations d'un Révélateur féminin, Yeoul, qui pourrait être comparée à une dakini Tibétaine, un esprit tutélaire. Les révélations sont données à quelqu'un du nom d'Allogenes, “l'Etranger”, ou littéralement “né autrement”. C'est un nom de code pour le Gnostique en quête, le néophyte qui est prêt à recevoir la transmission du lignage Gnostique.

Nous rencontrons de suite des noms déconcertants de Mystères - Celui au Triple Pouvoir, Kaliptos (“Celui qui est caché”) et Photophanes-Harmedon qui paraît être une source surnaturelle d'harmonies génératrices de lumière. La langage ici indique que le discours émane d'une rencontre directe avec la Lumière des Mystères. L'Eon de Barbelo (46.34), un mandala quintuple de lumières dans le Plérome possède son parallèle exact dans le Bouddhisme. Le royaume lumineux des dieux est parfait, telieos, et béni, makarios. L'Originateur, source et fondation des Eons dans le Plérome est “un Dieu au-dessus duquel il n'existe pas de divinité”. (47.34).

Après quelques lignes fragmentaires, se trouve un flux riche de langage mystique décrivant la réalité “antérieure à la perfection et à chaque divinité” et expliquant l'Un Ultime par ce qu'il n'est pas. Les passages 47-49 rappellent des enseignements Bouddhistes sur le Shunyata, le Vide. La vie et le mental, à la fois, procèdent de l'Originateur (passage endommagé 48-50). Le terme “Ce qui est” (49.27) rappelle également le Tathagata du Bouddhisme. Dans le passage 50, Allogenes parle à Lessos, son fils (à savoir son étudiant), en avouant sa réticence à révéler de telles matières: “J'ai peur que mes enseignements puissent être devenus quelque chose qui va au-delà de ce qui est adéquat” (50:15-17). Dans le passage 50, Youel prodigue l'enseignement sur le don, l'implantation du noos, l'intelligence divine, dans l'espèce humaine:

“Un grand pouvoir vous fut conféré par l'Eternel avant que vous ne parvîntes en ce monde afin que vous puissiez distinguer ces choses difficiles et inconnues de la multitude et afin que vous soyez accessibles à l'Un qui est vous et qui est en vous, le premier à sauver et qui n'a pas besoin d'être sauvé”.

La Gnose est la connaissance qui sauve. Etant donné le don inné de noos, qui procède d'une source suprahumaine et cosmique, les êtres humains n'ont pas besoin d'être sauvés par une intervention suprahumaine. Le pouvoir de salut est noos, notre héritage d'intelligence divine. Chercher ou espérer la rédemption à l'extérieur, c'est dénier notre héritage. La foi dans la pouvoir d'une intervention supraterrestre pour transformer la condition humaine fait obstacle à notre capacité de développer notre potentiel humain. C'est un enseignement Gnostique radical, un parallèle étroit du Ch'an, du Zen et du Dzogchen.

La révélation continue, décrivant comment l'Un Caché imprègne le mental humain de langage noétique (en Copte shajeh, le logos, le mot) par la transmission d'images. Les images sont vivantes et opèrent par le biais de capacités innées telles que “des habiletés manuelles, des compétences, des instincts partiels” (51:17-24). Le pouvoir d'auto-correction est également inné “continuant de rectifier les échecs de la nature”. Le mot Copte nobe “péché” est ici interprété comme échec, potentiel non réalisé, plutôt qu'échec à respecter un code moral dicté par Dieu. Karen King (Revelation of the Unknowable God, page 115) traduit la ligne mystérieuse “Il est une parole du conseil, il est Jeunesse parfaite” par “Cette Jeunesse parfaite est une parole procédant d'un dessein” (51. 37). Cette ligne utilise encore shajeh qu'il faut lire comme “dessein, langage intentionnel”. Voici la source “de l'Enfant Divin” des Ecoles de Mystères, Iacchos dans les rites Eleusiniens. “La Jeunesse” est une capacité perpétuelle de renouveau, de voir le monde et le soi avec un regard toujours nouveau, comme un enfant perçoit avant qu'il ne soit subjugué par le conditionnement. “Cette jeunesse perpétuelle est une expression de notre dessein”.

Le passage 52 s'ouvre avec une expression de déification (selon King, avec la transcription poétique de la ligne dans l'édition en Copte et en Anglais):

“Et je me suis tourné vers l'intérieur de moi-même seulement. Je perçus la Lumière qui m'entoure et le Bien qui est en moi. Je devins divin”.

Le bien: agathon (en Grec). Devient divin: aeironoute. Le mot Copte pour “dieu, divinité” noute rappelle la déesse du ciel Egyptienne, Nut, et cela joue avec le mot Grec, noos, le “mental sacré”. L'initié ne devient pas divin dans l'être mais dans la connaissance et dans la perception. Au moment ou Youel consacre le Telestes se produit un jaillissement extatique d'illumination. L'Illuminateur dit: “Puisque votre instruction est devenue parfaite et que vous en êtes venus à connaître le bien qui est en vous” (52.16), il s'ensuit une autre instruction. “Devenir parfait” est la traduction standard de teleios, dérivé de telos “le but, la finalité, l'ultime”. Je préfère “devenir initié” ou “amené à la perception ultime”.

Il y a encore du jargon des Mystères dans les passages de 53 à 58 (très fortement endommagés) dans lesquels “l'ascension” de l'Allogenes commence. La quête de la vérité conduit à la reconnaissance de la bonté innée en l'humanité (56) comme Maurice Bucke l'affirme dans son étude classique de l'éveil spirituel spontané, Cosmic Consciousness. La bonté innée de l'humanité est une problématique fondamentale de l'Ecologie Profonde. Arne Naess déclare que si nous demeurons dans la profondeur authentique de notre humanité, nous ne pourrons que faire le bien. Le chemin d'illumination de la Gnose présentait de nombreuses opportunités de réaffirmer et de raffiner cette assertion.

Lorsque vous appréhendez la Lumière des Mystères, elle vous appréhende aussi. La révélation, le flux de connaissance supérieure se manifeste dans le silence et la sérénité (passages 57 et 58). Il a beaucoup de références au sujet de la quête et du retirement et “de se tenir” ou de rester ferme dans la Lumière. Ici, l'initié parle directement de la discipline requise pour se tenir dans les courants torrentiels de la Lumière Pléromique sans chanceler, sans se détourner, et sans sombrer dans les hallucinations. “Et lorsque tu réalise l'apaisement en cet espace parfait, tu es ultimement apaisé et selon les structures que tu contemples, et en lesquelles tu demeures, tu perçois la manière dont toute chose est structurée” (59.35-60.2). L'instructeur explique patiemment qu'il existe une “révélation primordiale” avec une réception directe de la Lumière Organique suivie d'une révélation réfléchie (60.37) au fil du processus de “transmission”.

Le passage 61 contient le terme rare Mesotes (épelé dans ce texte Misotes - de telles divergences sont nombreuses dans la matière Copte), le “Médiateur”. Ce personnage mystique ou spectre de la Lumière Triple est rencontré “dans le silence et le calme” (pour une description plus complète de ce terme, voir le Second Traité du Grand Seth et le Lexique). Il s'ensuit un autre passage de “théologie négative” décrivant la réalité ultime par ce qu'elle n'est pas. Les Ecoles des Mystères fleurissaient encore au Proche Orient vers 150 EC et étaient contemporaines avec l'université Nalanda en Inde. Le philosophe Bouddhiste Nagarjuna, dont les dates de vie sont débattues, vivait probablement à cette époque. Son système, le Madhyamika, est empreint de telles négations. Dans Allogenes et dans d'autres textes, les écrits des Codex de Nag Hammadi exposent de nombreux aspects de la dialectique de la “voie du milieu”. La très haute probabilité de la fertilisation croisée entre le Bouddhisme et le Gnosticisme est acceptée par divers érudits Bouddhistes (tels que Snellgrove) mais ignorée par les érudits du Gnosticisme dont l'unique intérêt réside dans la relation entre la littérature Gnostique et le Christianisme.

Dans le passage 61, le “Dieu que l'on ne peut connaître” (61.16) est appelé “il” mais afin de rendre la véritable puissance de ces passages, il est préférable de lui substituer le “cela” neutre. Le langage est ici clair et direct et cela aide de le lire à voix haute. “Cela n'est pas parfait, car c'est quelque chose d'autre, supérieur à la perfection” (62.36). “Cela n'est pas substantiel et cela n'est pas sans substance” (63.5). Et il se trouve des assertions encore plus surprenantes. “Cela ne participe à l'Eternité et ni au temps” (63.21). Ou bien encore ce passage: “Cela est uni avec l'ignorance qui le perçoit” (64.13). Il y a ensuite une envolée, offrant un éclair d'intuition transcendante. Lorsque nous contemplons l'Un, ici et maintenant directement, dans l'ignorance cependant de le faire; CELA est intrinsèque à notre contemplation. C'est du Zen pur, “pointant directement vers le Mental Suprême”.


Allogenes est un plongeon profond et vivifiant dans l'expérience des Mystères. L'auteur semble être conscient du défi que son discours pose. L'instructeur est réticent quant à dévoiler sa révélation, comme nous l'avons déjà souligné. Vers la fin, le discours atteint le sommet de ce qui est communicable:

“Et ne cherches pas (à savoir) quelque chose de plus (maintenant). Nous (les initiés) ne savons même pas si l'Un que l'on ne peut connaître possède des anges ou des dieux ou si cet Un qui est au repos et qui n'est rien d'autre que repos, contient autre chose d'autre que de la sérénité car sinon il serait diminué (par ce qu'il contient). Il ne sied pas (maintenant) de passer plus de temps à chercher” (67.22-35).

C'est une communication humble et sublime. Allogenes offre une ligne magnifique de conseil concernant nos tentatives de sonder le “Dieu que l'on ne peut connaître”, qui est une remarque véritablement étonnante: “Cesses d'entraver, en spéculant sur des matières incompréhensibles, l'inactivité qui existe en toi” (61.25). La pratique dans les Mystères était de pénétrer de plus en plus profondément dans la réalité ultime - un objectif arrogant, pourrait-on dire. Cependant, les telestai étaient humbles dans leur arrogance. Ils savaient comment et quand limiter l'acte d'expérimentation mystique. L'instructeur conseille ici, d'arrêter à un certain moment de chercher et de cesser de faire obstacle à l'inactivité à l'intérieur.

Allogenes conclut avec un commandement de cacher le texte dans une montagne où il sera gardé par des démons bienveillants (68.20), un parallèle direct avec l'enfouissement d'un terma (“trésor caché”) dans le Bouddhisme Tibétain de la tradition Nyingma. Les enseignements d'un terma ne peuvent pas être perdus parce qu'ils sont cachés dans des éléments naturels ou dans le mental, jusqu'au moment adéquat d'être découverts par la personne adéquate. Le “plasmate Gnostique” de Philip K. Dick est une source similaire à un terma d'instruction secrète indélébile. Dick aurait certainement trouvé dans Allogenes beaucoup d'éléments comparables à sa transmission de trois heures en mars 1974.

John Lash

Traduction de Dominique Guillet.