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Viva la Libertad!

Jean-Louis Gueydon

Kokopelli le petit bossu circule dans les airs, dans les nuages, va et vient au dessus des montagnes et des plaines, et lâche ses graines selon son humeur, où il veut et quand il veut. Symbole de joie, de fête et de longue vie, joueur de flute et fertilisateur, insufflateur de vie, rien ne l'arrête et rien ne l'entrave.


Kokopelli, dans le mythe comme dans la réalité, est libre dans sa tête et dans son coeur. Il n'a pas besoin d'inscription dans des catalogues ou d'autorisation de commercialisation pour diffuser ses semences, en toute liberté.

Kokopelli est cosmopolite, transfrontalier, citoyen du monde. Car la semence a besoin de liberté pour remplir sa mission : portée par le vent, incrustée dans les pattes des oiseaux et des abeilles, elle passe sans autorisations par dessus les routes et les toits des maisons, les océans et les montagnes. Rien ne l'arrête et rien ne la contraint.

Comme l'a écrit le botaniste J.H.Fabre, à propos de ces longs voyages de la semence :

« ...la bardane, au bord des chemins, le gaillet-grateron dans les haies, cramponnant leurs fruits à la laine du mouton qui passe, à nos vêtements même, avec une solidité qui défie les plus longs voyages...les drupes, les baies et les divers fruits que leur poids semble destiner à rester au pied de l'arbre d'où ils sont tombés, sont parfois ceux dont les semences arrivent le plus loin...telle semence qui voyage dans le jabot d'un oiseau peut traverser des chaînes de montagnes et des bras de mer...Enfin divers rongeur, mulots, loirs, campagnols, amassent sous terre des provisions d'hiver. Si le propriétaire du grenier d'abondance périt, si la cachette est oubliée, si les vivres sont trop abondantes, les semences intactes germent quand revient la chaleur. C'est ainsi que par échange de services, chaque espèce animale concourt à la dissémination de la plante qui le nourrit... »

Comme on est loin des ridicules et inopérantes distances de co-existence entre les ogm et les non-ogm, symboles de l'ignorance ou de l'hypocrisie des législateurs, car il faut être bien ignorant des réalités naturelles – ou très hypocrite - pour affirmer qu'il est possible d'empêcher une semence de parcourir des kilomètres. Et comme l'on est proche à l'inverse de la loi naturelle, qui nous enseigne que tout dans la nature est liberté, co-évolution, solidarité, donner et recevoir...
Alors “barbare” l'état de nature et “civilisé” l'état de culture? Mais ne serait-ce pas ici plutôt l'inverse, lorsque la nature nous donne cette leçon de liberté, et alors que les multinationales dites “civilisées” veulent restreindre toujours plus la liberté de circulation des semences, en en faisant un bien meuble, catalogué, répertorié, appartenant aux plus malines d'entre elles qui ont su se les approprier en les brevetant, dans cette grande foire d'empoigne qu'on nomme libéralisme économique, mais qui n'a pourtant rien à voir avec les libertés ?

Car les semenciers ne pensent que restrictions à la liberté. Ils ne veulent ni de la liberté de produire et d'échanger les semences, ni de celle de produire et de consommer sans ogm. Cernés par les protestataires, ils tolèrent du bout des lèvres l'existence de semences “de conservation” mais veulent en restreindre au maximum l'usage et la diffusion. Ils acceptent la nécessité de conserver les semences de variétés anciennes dans des banques de gènes, mais s'en réservent de fait l'accès... La liberté qu'ils veulent c'est la leur, celle de monopoliser le marché, d'exclure les concurrents, d'imposer les ogm à ceux qui n'en veulent pas, de vendre sans contraintes des pesticides toxiques et mortifères... Ce qui représente une phénoménale entreprise de coercition, une oppression insupportable.

Et tout cela au nom de la loi, sous la protection de la loi, et de par les impératifs réglementaires d'inscription aux catalogues et de conformité aux critères “DHS” de Distinction, Homogénéité et Stabilité... Ce qui pose la question de la légitimité de ces lois et règlements concernant les semences.

Car si la loi est légitime, alors les juges ont raison de condamner ceux qui ne la respectent pas, faucheurs volontaires ou diffuseurs de semences non inscrites au catalogue. Mais si elle ne l'est pas ? Si elle ne faisait que mettre en musique et protéger les intérêts de quelques lobbies industriels contre l'intérêt général? Si l'on était dans ce cas de figure qui a fait dire à Noël Mamère – député Vert - accompagnant des faucheurs d'ogm : « je ne suis pas hors la loi, c'est la loi qui est hors la société » ? Ou dans cette situation qui a fait dire au sénateur UMP Jean-François Legrand que certains députés de la majorité avaient été « “actionnés” par les lobbies pro ogm lors du vote sur cette question à l'Assemblée ?

Alors bien sûr dans ce cas la désobéissance non seulement serait légitime, mais elle deviendrait un devoir sacré pour le citoyen. Comme cela résulte de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1793, article 35: « quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ».

Est-on dans ce cas avec les semences ? Oui, trois fois oui!!

D'abord parce qu'il n'est pas question d'accepter ce vol du bien public, que constitue la mainmise des multinationales sur la biodiversité cultivée. Eh oui c'est ainsi, la biodiversité actuelle n'est pas due au travail acharné des multinationales de la semence: elles se sont contentées de rafler la mise, c'est à dire de s'approprier les résultats du travail patient et millénaire de générations de paysans. Il suffisait de tordre un peu la législation sur les brevets pour s'approprier ce bien commun, en prétendant avoir “inventé” ce qui préexistait dans la nature, confondant hypocritement invention et découverte. Ou bien de créer des “hybrides” sans qualités particulières, sauf celle de dégénérer très rapidement et de ne pouvoir être ressemés.

Et ce qu'elles n'ont pas pu s'approprier par des brevets ou des manipulations génétiques, ce qu'elles ne pouvaient manifestement pas prétendre être le fruit de leur créativité, les centaines de milliers de variétés qui sont conservées dans des banques de gènes publiques, elles se sont arrangées pour être les seules à y avoir accès. C’est le cas des collections de la plus grande banque de semences du monde située sur une île norvégienne du Spitzberg, financée comme par hasard par de très grandes fondations américaines, dont l’accès est réservé aux “obtenteurs” et aux laboratoires qui travaillent pour eux : pas question qu'un pauvre paysan malien débarque en Norvège et réclame des semences... qui pourtant lui appartiennent en droit !

Les négociateurs de la Convention sur la Biodiversité en 1992 avaient hésité à déclarer les ressources génétiques “patrimoine mondial de l'humanité”. Dommage qu'ils ne l'aient pas fait, préférant décréter, ce qui était déjà un coup de force, que la biodiversité appartient aux Etats... Et c'est ainsi que l'on est arrivé à des situations scandaleuses comme celle qui prévaut maintenant en Irak, où l'administration américaine a proprement interdit aux paysans d'utiliser les semences traditionnelles locales, et leur a imposé d'utiliser des semences industrielles importées. Autant interdire aux gens de respirer l'air ambiant ou de boire l'eau qui jaillit du sol!!

Il faut également refuser les lois sur les semences pour une autre raison: c'est qu'elles ne font que protéger des intérêts particuliers – ceux des semenciers – et sont en réalité contraires à l'intérêt général. Or dans notre beau pays ce qui légitime l'action publique c'est d'être conforme à l'intérêt général: toute loi privilégiant des intérêts particuliers est par définition illégitime...

Et il est facile de montrer que la législation sur les semences ne va pas dans le sens de l'intérêt général. L'intérêt général, ce serait de laisser librement se développer et s'exprimer la créativité des paysans et des jardiniers, comme on l'a fait au 19ème siècle en France, ce qui a permis l'extraordinaire floraison de variétés qu'a connue cette époque, et dont on bénéficie encore aujourd'hui, malgré l'appauvrissement incroyable qu'ont provoqué les lois sur les semences. L'intérêt général ce serait – au titre de la sécurité alimentaire - de disposer sur le territoire national de ressources génétiques adaptées aux conditions locales, et de ne pas dépendre des brevets de quelques multinationales étrangères. L'intérêt général ce serait de tenir compte de la volonté générale des citoyens, telle qu'elle s'exprime dans les enquêtes ou par l'intermédiaire de représentants qualifiés... Car que disent les représentants qualifiés des consommateurs ? Qu'ils ne veulent pas d'ogm et de pesticides dans leurs assiettes. Et que disent les représentants qualifiés des agriculteurs, Confédération Paysanne ou Coordination Rurale ? Qu'ils veulent le droit pour les paysans de conserver, ressemer et échanger leurs propres semences...

Alors pourquoi fait-on l'inverse ? Pourquoi toute cette législation contraignante, sinon pour protéger les intérêts particuliers, ceux de l'industrie semencière ? Ils le disent d'ailleurs eux-mêmes : il faut des lois non pas pour améliorer les semences ou la biodiversité, mais pour empêcher les “fausses semences”, les “mauvaises graines”, de proliférer et de circuler. Par “mauvaise” sans doute faut-il entendre “non brevetée”, car si elle était mauvaise dans le sens de sa productivité ou de ses qualités gustatives, il ne serait pas nécessaire d'avoir des lois pour l'éradiquer, elle disparaîtrait toute seule du marché... “DHS”

L'on pourrait aussi refuser ces lois au nom d'un simple mais salutaire ras-le-bol face à l'envahissement réglementaire général, au foisonnement des interdictions de toutes sortes, à ces glissements progressifs et sournois non pas vers le plaisir, mais vers une société policière, orwellienne, où la simple lecture d'un ouvrage sur “l'insurrection qui vient” vous classe dans la “mouvance anarcho-libertaire” et fait de vous un terroriste potentiel, où le simple fait de protester verbalement dans un avion contre le rapatriement d'immigrés menottés vous fait risquer la garde à vue, où l'on ne peut plus rien dire à un policier sans risquer un délit d'outrage à fonctionnaire, et où les citoyens sont priés de la fermer...

Simplement pour dire non à cette société étouffante, à toutes ces lois inutiles qui ne font que protéger les intérêts des puissants, et ceci au nom d'une naturelle résistance à l'oppression, dont chacun sait que c'est un droit fondamental depuis la Déclaration précitée de 1793, comme corollaire indispensable de cet autre droit fondamental, quelque peu oublié, au doux nom de Liberté...

Ou bien encore l'on pourrait refuser ces lois absurdes au nom de sa conscience individuelle, de cette nécessaire “insurrection des consciences” dont parle l'ami Pierre Rabhi, suivant en cela le précepte de Gandhi selon lequel « la loi de la majorité n'a rien à dire là où la conscience doit se prononcer ». Encore faudrait-il en avoir une de conscience, une vraie, bien claire, débarrassée des scories de la névrose, de la peur et de la cupidité... Pas celle du directeur du GNIS ou du président de Monsanto, qui croient bien sûr, eux aussi, agir en toute “bonne conscience”. Non, la pure conscience, celle qui fait voir la vérité vraie et agir en conséquence....

Il n’y a donc que de bonnes raisons d'encourager la résistance Kokopellienne, dont j’espère vous avoir convaincu qu’elle est totalement légitime: multiplions sans états d'âme et dans la joie les semences et les initiatives de désobéissance civile et soyons bien vivants, car comme le dit le philosophe Miguel Benasayag : « ce monde unifié, qui est un monde devenu marchandise, s'oppose à la multiplicité de la vie, aux infinies dimensions du désir, de l'imagination et de la création »...

Jean-Louis Gueydon est président de la Fondation pour une Terre Humaine. Cela fait maintenant 10 années que Jean-Louis soutient financièrement l'Association Kokopelli en France et sa branche Annadana en Inde. Le très grand succès d'Annadana dans l'Asie du sud-est, nous le devons, en grande partie, au soutien de sa fondation depuis le printemps 2002. Avec nos remerciements éternels.