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La Passion de la Terre

Seconde Partie

•> 07. La cache Egyptienne

•> 08. Au Sein des Mystères

•> 09. Ecoles de Co-Evolution

•> 10. La Déesse Déchue

•> 11. Physique du temps de Rêve

•> 12. Le Dieu Dément

•> 13. La Passion de Sophia

•> 14. L'Intercession Christique

•> 15. Le Chemin des Révélateurs

•> 16. Une Gerbe de Blé Coupé

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Chapitre 7

La Cache Egyptienne

John Lash

Traduction de Dominique Guillet.

Durant l'automne 1947, au moment même où les érudits de Jérusalem jetaient un premier regard sur les Manuscrits de la Mer Morte, l'Egypte était frappée par une épidémie sévère de choléra. Une alerte de santé nationale paralysa tous les voyages et bloqua, dans la capitale, Jean Doresse, un jeune Egyptologiste Français. Le quartier tombant en ruine, connu sous le nom de Fustat, situé au sud de la vieille ville, était autrefois une fortification sur le Nil construite par les Romains. Parmi ses trésors oubliés, le Musée Copte était alors sous la direction d'un érudit Egyptien dynamique nommé Togo Mina. Doresse, un spécialiste du langage Copte, rencontra Mina alors qu'il cherchait à passer le temps en attendant de pouvoir quitter le Caire pour explorer quelques monastères Coptes dans le sud, aux alentours de Thèbes.

Codex de Nag Hammadi cachés il y a 1600 ans.


Un matin, Mina sortit d'un tiroir de son bureau un paquet épais et, le montrant à Doresse, il lui demanda son opinion sur ce qui lui semblait être quelque chose d'obscur mais peut être important. La réaction du jeune érudit fut instantanée:

“Dès les premiers mots, je pus voir qu'il s'agissait de textes Gnostiques dont l'un portait le titre “Le Livre Sacré du Grand Esprit Invisible” suivi du titre “Le Livre Secret de Jean”. Je félicitai chaleureusement Togo Mina de cette découverte extraordinaire et j'entrepris immédiatement, avec son aide, la tâche d'ordonner les feuilles car elles avaient été considérablement mélangées”.

Peu de temps après, Doresse vola vers Luxor pour explorer les ruines de monastères dans la région autour de Chenosboskian, “le lieu d'élevage des oies”. C'est le nom Copte d'Hamra-Dûm, un petit hameau au pied des falaises appelées Jabal al-Tarif. La trouvaille rare, en possession de Mina, avait été découverte par un paysan Arabe dix-huit mois auparavant, en décembre 1945. Les livres de la Bibliothèque de Nag Hammadi avaient été empilés dans une jarre en terre cachée dans une grotte des falaises. A l'ouest, de l'autre côté du Nil, se trouve le village de Nag Hammadi, après lequel les textes allaient être nommés. (Hamra-Dûm est un grain de poussière dans ce paysage désolé, trop petit pour mériter d'être mentionné. Sinon, les textes auraient été connus comme les Codex de Hamra-Dûm). En sus de la valeur inestimable de leur contenu, ces treize ouvrages, reliés de cuir, de la cache Egyptienne constituent des artefacts littéraires uniques, les exemplaires les plus anciens d'ouvrages reliés, avec des pages numérotées, qui aient survécu.

Jean Doresse et Togo Mina examinant les Codex de Nag Hammadi en 1947

Des Evangiles Alternatifs

Le 12 janvier 1948, la presse Egyptienne annonça au monde l'existence de textes rares qui étaient tombés entre les mains de Togo Mina. Avant cette découverte, les seuls témoignages comparables au sujet des conceptions Gnostiques étaient trois textes obscurs, également en Copte, connus comme sous les noms de Codex de Bruce, d'Askew et de Berlin. Alors que la nouvelle circulait, les érudits se demandèrent si la découverte Egyptienne pouvait contenir des traductions Coptes d'écrits originels Gnostiques en Grec. En se fondant sur un examen des couvertures, de lettres et de récits datés contenus dans les reliures des codex, les érudits savent que les manuscrits doivent avoir été cachés entre 345 et 348 EC. Aujourd'hui, ils sont conservés dans des pièces spéciales au Musée Copte du Vieux Caire, là même où Jean Doresse les examina pour la première fois.

En 1966, une équipe d'érudits, sous la direction de James Robinson de l'Institute for Antiquity and Christianity de Claremont en Californie, entreprit la traduction intégrale des Codex de Nag Hammadi (CNH), ainsi qu'on les appelle également (codex est un mot latin pour livre). Entre 1972 et 1977, le Coptic Gnostic Library Project, ainsi que cette équipe était nommée, produisit The Facsimile Edition of the Nag Hammadi Codices, un jeu d'ouvrages de très grande taille qui présentent des photographies de pleine page de l'intégralité du contenu des Codex. En 1977, l'équipe publia The Nag Hammadi Library in English, rendant ainsi accessibles ces textes, pour la première fois, au public de langue Anglaise. Ces récits rares incluent le mythos de Sophia qui présente une histoire mythologique de la Terre compatible, sous certains égards, avec la théorie Gaïa. Purement par chance, l'histoire sacrée des Mystères devint accessible au monde cinq ans seulement après l'introduction de l'hypothèse Gaïa par James Lovelock et quatre ans après la définition initiale de l'écologie profonde par Arne Naess.

Selon les conceptions communes aux érudits du Gnosticisme, la plupart des écrits de Nag Hammadi peuvent être considérés comme des “chutes” de la littérature Chrétienne primitive, comme les scènes d'un film qui n'ont pas été montées. En tant que matière qui eut pu être incluse au Nouveau Testament, ils ont souvent été considérés comme les “évangiles perdus”. Certains des traités (tels qu'ils sont qualifiés dans le jargon des érudits) portent, il est vrai, le titre d'evangelium sur la dernière page, la page même qui porte les titres. Le titre de l'ouvrage d'Elaine Pagels, “Les Evangiles Gnostiques”, renforce cette interprétation. Cependant, à la suite d'une analyse attentive, la plus grande partie de la matière Egyptienne ne se prête pas à une comparaison aussi rapide.

Les quatre Evangiles du Nouveau Testament appartiennent à un ancien genre littéraire appelé romans Hellénistes. Ce type de roman était un style d'écriture empreint de miracles, de signes surnaturels, de courtes scènes avec des personnages stéréotypés et des aphorismes extraits de traditions religieuses ou populaires - en bref, un pastiche mélangeant des fables et de la sagesse populaire avec des éléments véridiques. De nombreux romans similaires circulaient durant les premiers siècles de l'ère Chrétienne mais, étrangement, peu ont survécu. Pourquoi? Les romans Hellénistes constituaient la fiction populaire de leur temps, que l'on pourrait comparer à des bandes dessinées pour adultes. Imaginez qu'une telle matière éphémère survive pendant des centaines d'années. Cela ne pourrait être à moins qu'il n'existe une raison particulière pour la préserver. Supposez, par exemple, qu'un groupe de gens décide de fonder un culte de Superman. Ils préserveraient les bandes dessinées de Superman alors que celles d'autres super-héros, tels Spider Man ou Docteur Strange, ne passeraient pas l'épreuve du temps ou seraient délibérément éliminées pour garantir la suprématie de la littérature se rapportant à Superman. La survie exclusive, et donc le caractère unique apparent, des quatre Evangiles Chrétiens dépendit de la suppression délibérée de nombreux autres romans Hellénistes.

Rien dans la bibliothèque de Nag Hammadi ne ressemble aux romans Hellénistes et il n'est donc pas correct de les comparer à des récits Chrétiens classés dans ce genre. “Les Evangiles Gnostiques” fut l'ouvrage capital qui introduisit la pensée Gnostique au grand public mais le choix de ce titre par Pagel prêta énormément à confusion. Le mot evangelium, que l'on trouve sur certains traités, pourrait être traduit par “message positif” ou “bonne nouvelle” plutôt que par évangile. Loin d'être des versions alternatives du Nouveau Testament, les codex Egyptiens contiennent une majorité d'éléments qui réfutent ou rejettent le message rédemptionniste des Evangélistes - et ils le font sans ménagement et souvent dans des termes cinglants.

Presque sans exception, les érudits du Gnosticisme proviennent de la mouvance Chrétienne ou Juive. Ils sont donc enclins à minimiser, pour ne pas dire ignorer totalement, les éléments anti-Chrétiens ou anti-Judaïstes présents dans les codex. A ce jour, aucun ouvrage concernant la bibliothèque de Nag Hammadi n'a tenté d'en présenter les éléments authentiquement Païens, quant à leur nature ou à leur portée. Les érudits ne sont tout simplement pas intéressés par les idées Gnostiques en soi: leur intérêt n'est suscité que par ce que les écrits Gnostiques peuvent leur apprendre des débuts du Christianisme. Ils émettent des commentaires interminables sur la signification des textes, plus particulièrement lorsqu'ils y découvrent des indices de doctrines Chrétiennes, mais ils négligent intégralement leur message essentiel non-Chrétien.

L'accès à ce message n'est, cependant, pas des plus aisés. Dans l'ensemble, les textes de Nag Hammadi constituent un mélange bariolé de discours chaotiques, de fragments de connaissances mythologiques ou mystiques, des envolées occultes de théologie, des koans et des rituels ésotériques, des spéculations métaphysiques très élevées qui souvent rappellent la philosophie Bouddhiste du Vide. Ils incluent un passage de la République de Platon, un fragment d'un traité que l'on trouve dans sa forme complète dans l'Hermetica et, il est vrai, une paire d'homélies proto-Chrétiennes qui pourraient avoir été délivrées par un évangéliste. Les traités varient énormément quant à leur longueur. Les plus longs, tels que l'Apocryphe de Jean ou le Traité Tripartite, sont des récits mythiques complexes sur des matières cosmologiques telles que l'organisation du Plérome (le Vide Gnostique, la matrice des dieux primordiaux), la chute de la déesse Sophia, les bouffonneries démentes du Démiurge (le faux dieu créateur) et l'émanation préterrestre de l'Humanité Primordiale (l'Anthropos). Les plus brefs sont de simples notes de scribes, incluant un texte de quarante lignes, la Prière de l'Apôtre Paul, gribouillée à l'intérieur de la couverture du premier codex. Certains textes, tels que l'Apocryphe (ou Livre Secret) de Jean sont présents sous plusieurs versions dans les codex ainsi que dans la matière ne provenant pas de Nag Hammadi, tel que le Codex de Berlin. Le Codex de Berlin contient également l'Evangile de Marie, un traité court et très endommagé attribué à Marie-Madeleine, qui est inclus dans l'édition Anglaise de la Bibliothèque de Nag Hammadi quand bien même il ne se trouvait pas dans la cache Egyptienne.

La matière Egyptienne est incroyablement diverse, présentant souvent des éléments contradictoires rassemblés pêle-mêle en un seul document. Les Enseignements de Silvanus constituent une homélie Chrétienne primitive contenant des notions authentiquement Gnostiques alors que les Paroles de Sextus constituent une collection similaire presque dépourvue d'éléments Gnostiques Païens. L'Apocryphe de Jacques n'est pas du tout un document Gnostique mais un discours Judéo-Chrétien sur la rédemption. Le Livre de Thomas le Prétendant pourrait être arrivé au Levant directement, et à dos de cheval, d'un monastère de l'Inde. Plus Bouddhiste que Gnostique quant à son contenu et à sa nature, il a été comparé au “Sermon de Feu” du Bouddhisme Mahayana. L'Evangile de Thomas, largement considéré comme le joyau des Codex de Nag Hammadi est une collection de platitudes banales avec quelques pâles étincelles du message radical de l'illumination de la Gnose. Eugnostos et le Discours sur le Huitième et le Neuvième présentent des aperçus étonnants des enseignements et des pratiques des Mystères Païens. Certains des traités des Mystères les plus longs, tels que la Paraphrase de Shem et Zostrianos sont obscurs, à un point exaspérant. L'Evangile des Egyptiens, Allogenes, Le Témoignage de la Vérité et d'autres textes, sont tellement endommagés qu'ils requièrent une reconstruction considérable et aléatoire.

Toute personne qui se plonge dans la Bibliothèque de Nag Hammadi va vite découvrir que la lecture de ces textes peut être à la fois épuisante et exaspérante. Elle contient un très grand nombre de répétitions ou ce qui est encore pire, de quasi-répétitions, avec une profusion de disparités, de vides dus à des pages endommagées, des insertions, des dilemmes grammaticaux - principalement, une confusion en ce qui concerne les référents pronominaux, qui est notoire en Copte, et qui est telle que bien souvent on ne peut pas savoir qui est “il”, “nous”, “ils” - et une carence affolante et constante de terminologie claire. Un mot sur cinq en Copte est un emprunt au Grec mais il s'avère encore quasiment impossible de s'imaginer ce à quoi auraient ressemblé les “originaux Grecs”. De nombreux passages présentent des concepts métaphysiques sophistiqués mais la syntaxe Copte est à ce point maladroite qu'elle est tout aussi adaptée à ce discours subtil que des chaussures de montagne à une ballerine. Le commentaire de Jean Doresse stipulant que les textes sont “considérablement confus” est un euphémisme. L'intégralité du corpus Gnostique est un fatras chaotique, dense et désespérant. C'est, cependant, ce qui se rapproche le plus d'une révélation écrite des enseignements Gnostiques des Mystères Levantins et Egyptiens.

Le grand défi auquel nous confronte la bibliothèque Copte Gnostique est d'aller au-delà de ce terrible fatras pour y découvrir l'essence du message Gnostique.

Codex de Nag Hammadi cachés il y a 1600 ans.


Révélateur ou Rédempteur

L'impact profond et saisissant de la bibliothèque de Nag Hammadi devient évident lorsque l'on compare les codex contenant des éléments notoirement anti-Chrétiens, tels que le Second Traité du Grand Seth, avec les doctrines rédemptionnistes communes au Judaïsme et au Christianisme, dont la forme larvaire se trouve dans les Manuscrits de la Mer Morte tel que nous l'avons expliqué dans la première partie. Dès que ses caractéristiques-clés sont détectées, la protestation Gnostique à l'encontre de la religion rédemptionniste Judéo-Chrétienne s'avère être, de façon très claire, le motif structurant de tout le corpus. Une lecture répétée, des recherches et des études comparatives font émerger le coeur de l'argumentation radicale Païenne des “Enfants de Seth”, ainsi que les initiés les plus élevés de la Gnose se nommaient eux-mêmes. Seth est l'un des enfants d'Adam dont l'histoire est quasiment exclue de l'Ancien Testament après une mention brève dans Genèse 4:25 “Et Adam connut de nouveau sa femme; elle enfanta un fils, et l'appela du nom de Seth, car, dit-elle, Dieu m`a donné une autre graine à la place d'Abel, que Caïn a tué.” Les Gnostiques estimaient qu'ils appartenaient à “une autre graine”, c'est à dire à un autre lignage spirituel émanant de l'humanité primordiale (Adam et Eve) mais distinct, dès son origine, de la tradition Judéo-Chrétienne. Leur argumentation contre cette tradition peut se résumer en une ligne extraite du Second Traité du Grand Seth (IV, 1) dans laquelle le maître Gnostique proteste contre le “plan qu'ils ont conçu à mon sujet pour répandre sur le monde leur Erreur et leur stupidité” (55.10). L'instructeur qui s'exprime ici aurait été considéré comme un phoster, un “porteur de lumière”, ou un “révélateur”. C'est un titre réservé au maître éclairé dans les Mystères qui préservait la transmission sacrée de la Gnose, une connaissance dont les dieux se réjouissent.

Phoster est un équivalent exact de Bouddha, “l'illuminé” ou “l'éveillé”. Dans la tradition des Gnostiques Levantins et Egyptiens, les révélateurs ne sont pas des avatars surhumains mais des êtres humains surdoués qui possèdent une connaissance extraordinaire des matières divines et naturelles et qui font preuve de facultés paranormales. On peut les comparer aux vidyadharas, les “détenteurs de connaissances” et aux siddhas, aux “accomplis” du mysticisme Hindou et des Bouddhismes Mahayana et Tibétain. Le siddha Sanskrit est l'équivalent de l'adepte Grec, d'adepsci, “être accompli”, “être formé”. Les siddhis sont des pouvoirs paranormaux tels que la clairvoyance, la clairaudience et le rêve éveillé.

Rappelons que le complexe du rédempteur, le coeur des trois religions Abrahamiques, possède quatre composants-clés: la création du monde par le dieu paternel indépendamment d'une déesse; la sélection et la mise à l'épreuve de quelques justes ou “élus”; la mission du messie envoyé par le dieu paternel pour sauver le monde; et le jugement final de l'humanité accompli par le père et le fils. Une grande partie de la matière, réellement originale, des codex Egyptiens est consacrée à réfuter ces composants et à ridiculiser les croyances qui leur sont attachées. Les Gnostiques considéraient le “Plan Divin” du rédemptionnisme, c'est à dire la manifestation de la volonté de Dieu dans le cours des événements historiques, comme une grotesque distorsion du lignage spirituel authentique qu'ils représentaient. Ils enseignèrent qu'en tant qu'expression de l'amour divin du Plérome, à savoir des dieux transcendants, les révélateurs humains apparaissent au travers des âges pour instruire et guider l'humanité. Il existe un processus éducatif permanent d'illumination de l'humanité, un système d'éducation du potentiel humain et d'éveil du génie inné à notre espèce, mais il n'existe strictement aucun plan de rédemption.

Les érudits qualifient la transmission pérenne de la Gnose, par des instructeurs illuminés, de cycle des révélateurs. Le révélateur qui parle dans le Second Traité du Grand Seth met en garde contre le fait que le rédemptionnisme est un plan conçu à l'encontre des gardiens de la Gnose dont les ennemis “répandent sur le monde leur Erreur et leur Stupidité”. Lorsque l'idéologie Zaddikite des Manuscrits de la Mer Morte explosa en un mouvement religieux de masse après 150 EC, les instructeurs des Mystères brisèrent leur voeu d'anonymat et s'exprimèrent en public pour protester contre ce qu'ils percevaient comme la démence du système de croyance rédemptionniste. Pour que le Christianisme triomphe, ses dévots durent non seulement faire taire les Gnostiques mais anéantir le réseau millénaire des Mystères et éliminer toute preuve qu'il ait jamais existé. Avec le recul du temps, la protestation du révélateur Gnostique sonne dramatiquement vrai.

Un érudit du Gnosticisme, K.W. Troger, estime qu'un tiers du corpus Copte est anti-Judaïque. Quant à moi, j'évalue que les éléments anti-Judaïques et anti-Chrétiens représentent ensemble plus de la moitié de la bibliothèque des Codex de Nag Hammadi. Le Second Traité du Grand Seth est caractéristique de la protestation Gnostique contre le rédemptionnisme. Page après page, il contient des attaques virulentes à l'encontre des pratiques et des croyances Judaïques et Chrétiennes. Il ridiculise les ancêtres bibliques et fustigent ceux qui suivent la religion patriarcale et qui sont incapables de percevoir qu'elle corrompt le sens même de leur humanité:

“Et Adam était la risée, de même qu'Abraham, Jacob, David et Salomon et les Douze Prophètes, et Moïse et Jean-Baptiste... Aucun d'eux ne m'a connu, ni moi le Révélateur, ni mes frères dans les Mystères... Ils ne connurent jamais la vérité et ils ne la connaîtront jamais car il existe une grande tromperie en leur âme et ils ne peuvent, en aucune manière, découvrir l'intelligence de la liberté afin de se connaître eux-mêmes, dans leur humanité authentique” (62.27; 63.34; 64.20).

Point par point, le Second Traité du Grand Seth attaque la croyance au coeur même du complexe du rédempteur, “la doctrine d'un homme mort”, la pièce maîtresse de la théologie Chrétienne. Au travers de tout le texte, il met en contraste le rédempteur et les révélateurs qui tous façonnent et enseignent l'Anthropos, l'identité réelle de la race humaine. Les Gnostiques voyaient dans le Messie Judaïste - le personnage Zaddikite qui se métamorphosa ultérieurement dans le rédempteur Chrétien, Jésus Christ - une contrefaçon de révélateur et un modèle fallacieux de l'humanité. Sa revendication d'exclusivité en tant que “Fils unique engendré par Dieu” fut tout simplement un mensonge destiné à promulguer une autorité qui ne pourrait pas être remise en question par de simples mortels. Dans la tradition des Mystères, les révélateurs apparaissent périodiquement au travers des âges pour enseigner et illuminer. Ils sont complètement humains au contraire de l'extraterrestre surhumain et étrange Melchisédech, la puissance derrière le Christ. Chaque révélateur a réalisé l'identité réelle de l'espèce humaine mais le statut unique (supposé tel) du surhomme Jésus Christ n'est pas un reflet authentique d'un tel accompliss

Dynamite Théologique

Les Gnostiques considéraient l'Incarnation comme une arnaque des prêtres imposée à l'humanité mais ce n'était pas tout. Ils considéraient également que le “Fils de Dieu” est une notion illusoire implantée dans le mental humain par une espèce d'entités aberrantes et non humaines, des parasites mentaux, les Archontes. Ces fantômes intrapsychiques bizarres sont les sous-fifres du Démiurge, le faux dieu créateur - un concept qui semble être unique à la pensée Gnostique. De par leur identification du Démiurge avec Yahvé, Jéhovah, le dieu paternel de la tradition Juive et Chrétienne, les Gnostiques provoquèrent une attaque de front de la part de tous ceux qui fondèrent leur religion sur une croyance fétiche en un être suprême mâle. L'attaque fut souvent violente, et parfois meurtrière, comme pour l'assassinat d'Hypatia.

Les érudits modernes ne peuvent pas ignorer le fait que les Gnostiques considéraient l'être suprême de la religion Judéo-Chrétienne comme un imposteur dément mais ils tiennent aussi peu de cas que possible de cette affirmation scandaleuse. Dans de nombreux travaux d'érudits, la nature et l'activité des Archontes sont tout simplement passées sous silence. (Les deux ouvrages les plus connus sur le Gnosticisme “The Gnostic Religion” d'Hans Jonas et “les Evangiles Gnostiques” d'Elaine Pagel n'incluent pas, dans leur index, les Archontes ou leurs autres dénomination, Gouverneurs et Autorités). Pourtant, le scénario du Démiurge, et de ses légions bizarres, occupe une place essentielle dans le Mythos de Sophia, le mythe de création enseigné dans les Mystères Levantins. Les Gnostiques associaient clairement les Archontes avec ce qu'ils percevaient comme la démence religieuse du Judéo-Christianisme mais cette notion est tellement singulière que les érudits exècrent l'explorer. Les érudits se tirent d'affaire en occultant la matière Archontique des Codex de Nag Hammadi parce que cela leur évite de présenter une analyse correcte et exhaustive de la critique Gnostique de la religion rédemptionniste. En bref, cela leur épargne le risque d'être théologiquement incorrects.

La tromperie et la contrefaçon constituent les signatures des Archontes: “Leur plaisir est dans la tromperie (apaton) et dans leur esprit de contrefaçon (antimimon)” (Apocryphe de Jean. II. 1:21). Le mot Grec Apaton dénote une intention délibérée de tromper et antimimon dénote la méthode de tromperie Archontique: littéralement la “contre-imitation”. Cela signifie qu'une copie est réalisée mais cette copie, une version falsifiée, a pour finalité d'inverser la chose ou la notion originelle. Dans leur vision de l'auto-tromperie humaine - une vision hautement sophistiquée et comparable à la psychologie noétique de notre époque - les Gnostiques considéraient le rédempteur divin comme une contre-imitation de leur révélateur. Les adeptes Païens des Mystères du Levant et de l'Egypte virent dans le programme rédemptionniste à la fois la preuve et l'instrument de la déviation Archontique. Cependant, ils n'incombèrent pas aux Archontes la faute de l'origine du programme: ils en attribuèrent la responsabilité aux êtres humains qui collaborèrent avec eux:

“Yaldabaoth choisit lui-même un certain homme nommé Abraham... et conclut avec lui une alliance s'engageant à donner la terre en héritage à sa descendance si elle persévérait dans son service. Ensuite, par l'entremise de Moïse, il fit sortir d'Egypte les descendants d'Abraham, leur donna la Loi et fit d'eux les Juifs. C'est parmi eux que les sept Dieux, appelés aussi l'Hebdomade, se choisirent chacun ses propres hérauts chargés de glorifier et de proclamer Yaldabaoth comme Dieu afin que les autres hommes entendant cette glorification servent aussi les dieux que proclamaient les prophètes” (Contre les Hérésies. 1.30.10).

C'est un moment crucial, de l'histoire sacrée des anciens Hébreux, qui est perçu selon une perspective relativement inhabituelle. Elle suit la narration traditionnelle mais elle attribue une valeur complètement différente à ce qui se passe entre Abraham et l'entité qu'il prend pour Dieu le Père. Yaldabaoth, un terme créé et dérivé sans doute de l'Araméen “qui traverse l'espace extérieur”, est le nom secret pour le faux dieu créateur, le Démiurge. Son royaume est le système planétaire à l'exclusion de la Terre, l'Hebdomade des sept planètes. Dans la cosmologie du Mythos de Sophia, Yaldabaoth et ses sous-fifres émergent dans le cosmos comme un reflet déformé des structures divines, les archétypes célestes dans le Plérome, la Divinité Suprême. Ils sont appelés les Archontes, du Grec archaia “premier”, “primordial”, “des origines”, parce que la formation de leur monde, le système planétaire sujet aux lois mécaniques et inorganiques, précède la formation de la Terre vivante. (Le Mythos de Sophia et le rôle des Archontes sont tous deux pleinement explicités plus avant, à partir du chapitre 10).

Selon la perspective des Gnostiques, les Archontes ne sont pas seulement des parasites mentaux - des noeuds d'illusions dans le mental humain, considérés pour ainsi dire comme des entités psychiques quasi-autonomes - ce sont des imposteurs cosmiques, des parasites qui se font passer pour des dieux. Mais ils sont dépourvus de l'élément divin primordial d'ennoia, “d'intentionnalité”, “de volonté créatrice”. Ils ne peuvent rien manifester d'originel, ils ne peuvent qu'imiter et ils doivent effectuer leur activité d'imitation par des dissimulations et des subterfuges de peur que sa vraie nature ne soit dévoilée. Ils offrent donc à Abraham quelque chose qui lui appartient déjà en propre en tant que membre de la race humaine. La Terre a déjà été donnée à l'humanité: c'est l'habitat précieux que la déesse Sophia a rêvé pour l'Anthropos et qu'elle a manifesté par la métamorphose de ses propres pouvoirs. Les Archontes approchent Abraham avec une proposition fallacieuse en lui promettant la possession et la domination du royaume terrestre mais tout cela n'est pas compatible avec l'ennoia de Sophia, son intention divine. La Terre n'est pas un butin territorial mais un environnement précieux en lequel l'espèce humaine peut accomplir son génie inné, sa capacité d'innovation, en agissant au sein des frontières naturelles établies par la Déesse. Les Archontes contrefont l'ennoia divine, l'intention de Sophia, mais en même temps ils l'inversent. Au lieu de la participation au miracle divin de la symbiose et de l'émergence évolutive, qui constituent l'héritage authentique de l'humanité, ils promettent à Abraham une fausse souveraineté qui oeuvre à l'encontre de cet héritage et qui détourne la finalité humaine de son cours propre de développement. C'est la contre-imitation en action.
Antimimon est un outil puissant de dissuasion, nul besoin de le dire. L'Apocryphe de Jean dit que le Démiurge “sortit par lui-même de Sophia et s'éloigna de l'espace de son émergence” (10.20). En d'autres mots, les Archontes ne respectent pas leurs propres frontières dans l'ordre cosmique. Ils n'appartiennent pas à la biosphère terrestre mais au système planétaire au-delà de la Terre. Cependant, ils sont envahissants et encouragent l'invasion.

Le Seigneur Dieu de l'Ancien Testament appela Abraham de l'endroit de sa naissance, Ur en Chaldée. Persuadé lui-même d'agir au service d'une mission divine, Abraham fut dépossédé. Il devint le leader d'un peuple obligé à déposséder autrui dans un cycle croissant de perte et de gain de territoires. Dans un sens plus large, toute l'humanité est dépossédée de son potentiel authentique par le subterfuge des Archontes - à savoir par des notions illusoires de transcendance. Le thème de la dépossession est étroitement corrélé avec la prétention divine des Archontes: “Et le Seigneur des Archontes dit aux Autorités qui l'assistaient 'Venez et créons un homme à l'image de Dieu et à notre image'” (II, 1, 15:5). Nous avons ici de nouveau un élément familier de la narration Biblique raconté dans une perspective Gnostique. Les Archontes sont eux-mêmes dans l'illusion de croire qu'ils peuvent créer des êtres humains à leur image. Ils n'y arrivent pas - toute la matière Gnostique est formelle sur ce point - mais ils insinuent dans le mental humain la croyance selon laquelle ils y sont arrivés.

Les religions Abrahamiques affirment toutes que l'humanité est spéciale, qu'elle est la seule espèce faite “à Son image”. Cette croyance est associée avec le second élément du complexe du rédempteur selon lequel il existe un petit nombre d'élus qui reflètent fidèlement l'image de leur concepteur, au contraire du reste de l'humanité. Cette croyance ségrégative et malfaisante non seulement met à part les quelques justes et en fait un sujet de distinction mais elle condamne aussi le reste de l'humanité qui ne reflète pas l'image divine et qui ne suit pas le plan du Père. Le Messie arrive pour redresser cette situation, en sauvant les quelques élus de la persécution (en version Juive) ou en offrant l'absolution divine à tous les péchés (en version Chrétienne) mais le maître-plan n'est reste pas moins inachevé sur Terre et le châtiment final doit être imposé. Les instructeurs des Mystères rejetaient tout ce scénario comme étant de la pure démence, le stratagème psychotique des parasites mentaux Archontiques.

Au contraire des Eons divins qui émanent sans s'imposer, les Archontes croient, à tort, qu'ils peuvent imprimer leur mentalité sur l'espèce humaine. Ils veulent faire l'humanité à leur image mais ils sont constamment déconfits par la supériorité de l'espèce humaine, “dont l'origine est dans le royaume éternel en lequel la puissance virginale demeure, supérieure aux Archontes de chaos et à leur univers” (L'Hypostase des Archontes, II, 4:93.25-30). Les écrits Egyptiens mettent constamment en valeur le fait que l'humanité est supérieure aux Archontes: “Adam pensa avec plus de justesse que le Souverain des Autorités, Yaldabaoth” (II, 1:22.6). Cependant, bien que nous soyons plus avisés que les Archontes, nous n'optimisons pas toujours l'intelligence innée de notre espèce que les Gnostiques appelaient le noos. Lorsque notre faculté de discrimination n'est pas développée, nous sommes enclins à laisser notre clair penser se faire subjuguer par les prétentions et les phantasmes. Faillant à revendiquer et à développer l'intelligence innée à notre espèce, nous courrons le risque d'être détournés par une autre sorte de mental, une intelligence artificielle par l'entremise de laquelle nous perdons l'essence de notre propre réalité.

Le triomphe des Gouverneurs, ou des Autorités comme les Archontes sont également appelés, atteindrait son plein accomplissement le jour où plus personne ne pourrait distinguer le plastique de la nacre, le jour où l'imitation prévaudrait au point qu'un être humain authentique se sente un étranger sur notre propre planète. L'espèce humaine serait alors si virtualisée que nous ne serions plus capables de distinguer les personnes réelles de clones dépourvus d'âme. Car il semble que les Archontes prennent plaisir à ce que l'humanité se trahisse et s'abandonne elle-même. Ils insinuent leur influence au travers des croyances religieuses - et au travers aussi des croyances scientifiques lorsque la science assume dans notre société le rôle autrefois joué par la religion, ce qui est amplement le cas de nos jours - parce que de telles croyances influent considérablement sur notre potentiel humain et sur notre sens de l'humanité.

Bien que les érudits le rejettent comme un non-sens superstitieux, ou un mythe Gnostique trop bizarre pour être pris au sérieux, le rôle des Archontes est fondamental dans la cosmologie Sophianique tout autant que dans la critique Païenne du rédemptionnisme. Le virus idéologique répandu à une échelle pandémique par Saint Paul fut incubé chez les anciens Hébreux par les Archontes - c'est ce qu'affirme la contre-mythologie Gnostique. “Yaldabaoth choisit lui-même un certain homme nommé Abraham... et conclut avec lui une alliance”. Depuis ses origines, la religion Judéo-Chrétienne fut infectée par les croyances illusoires d'une mentalité extraterrestre. Les Gnostiques enseignaient que la voie authentique, pour l'humanité, ne peut se trouver que dans le rejet et dans la réfutation de ces croyances, dès leur conception. Si les documents Zaddikites de la Mer Morte sont la pierre de fondation du Christianisme, ce qui semble de nos jours impossible à nier, alors les ouvrages de nature authentiquement Gnostique de Nag Hammadi sont la charge explosive qui peut pulvériser les fondements de l'institution de la Foi, une bonne fois pour toutes.

Le message des révélateurs est de la dynamite théologique.

La Religion Opprimée

Dans un ouvrage publié en 1991, j'appelai le Gnosticisme “l'opprimée des religions mondiales”. Il est, bien évidemment, totalement exclu de l'inventaire des religions d'importance dans le monde d'aujourd'hui ou même des religions d'importance dans le monde passé. L'objectif du complot Chrétien, qui perdura durant des siècles, fut d'éradiquer toute trace des Gnostiques et des Mystères et d'étouffer dans l'oeuf la quintessence de la sagesse Païenne de l'ancien monde. Et il fallait que le crime fût parfait: que l'anéantissement fût radical afin que l'on ne puisse pas suspecter l'existence, en premier lieu, de ce qui était anéanti.

Quelle sorte de religion, quel type de vérité universelle, quel message rayonnant d'amour et de pardon a besoin de se faire connaître et accepter en propageant la destruction sur une telle envergure?

Dans l'histoire de la race humaine, aucune campagne de génocide spirituel, culturel et intellectuel ne peut se comparer à celle qui fut lancée à l'encontre des gardiens des Mystères et de leurs adeptes. L'objectif meurtrier de détruire la Gnose ne se confina pas aux lieux sacrés de l'Egypte et du Levant dans lesquels les Mystères étaient préservés par les Gnostokoi, les experts en matières divines, incluant la divinité de la Terre elle-même. Cette destruction s'étendit à l'Europe, où la sagesse Païenne prospérait en une coalition colorée de races et de cultures, et puis vers les Amériques où des centaines de cultures tribales furent décimées du Canada au Pérou. Elle s'étend de nos jours par l'entremise d'une évangélisation agressive en Asie, particulièrement en Corée et en Chine, et en Afrique, où elle s'allie souvent avec des mouvements militaristes et elle maintient encore dans un carcan meurtrier les peuples de l'Amérique Latine et de la Méso-Amérique. Tout autour du globe, le message catholique de rédemption se répand avec une injonction à se reproduire et à essaimer sur toute la planète. Les Gnostiques rejetaient la procréation biologique inconsciente chez l'espèce humaine et la considéraient comme une marque d'esclavage au démiurge, le faux dieu créateur qui commande à ses fidèles de se multiplier et de dominer la Terre.

Dans Sacred Pleasure, Riane Eisler suggère que découvrir ce que nous avons perdu, c'est reconnaître ce que nous ne pouvons pas perdre. La découverte de la cache Egyptienne en décembre 1945 nous rappelle ce qui ne peut pas être perdu. Il est bien connu que l'histoire est écrite par les vainqueurs afin de se légitimer et de glorifier leur cause. La découverte à Nag Hammadi permet d'entendre l'autre aspect de l'histoire. Après mille six cent ans, nous avons un aperçu de ce que les “perdants” pensaient et enseignaient et ce, plus ou moins, selon leurs propres mots. Il est extrêmement rare d'avoir accès à une telle version alternative de témoignage humain et la vision contrastée qu'elle présente vis à vis de nos notions reçues de vérité et de spiritualité peut nous ôter beaucoup d'illusions.

Alors que j'écris ces mots, cela fait soixante années, à la semaine près, que les Codex de Nag Hammadi ont été découverts. (Je précise “à la semaine près” car le jour précis de leur découverte n'est pas connu mais les érudits ont précisément déterminé que la jarre contenant les anciens ouvrages avait été découverte durant la première semaine de décembre 1945.) Il est sans doute temps de voir si les opprimés peuvent revenir sur la scène. Il existe des tentatives en cours d'amener la religion vers une orientation écologique et respectueuse de la planète et de réconcilier les croyances conventionnelles en Dieu avec notre sens émergent de la planète vivante, Gaïa, mais la pensée Gnostique n'en fait pas partie. Du moins, pas encore.

Dans Gaïa and God, la théologienne éco-féministe Rosemary Radford Reuther affirme que les êtres humains ne peuvent arriver à prendre conscience du sacré de la Nature (la valeur intrinsèque de la vie non-humaine dans le langage de l'écologie profonde d'Arne Naess) qu'au travers d'une modification de leurs croyances préexistantes et de leurs traditions de longue date. A la fin de son argumentation, elle conclut que la spiritualité Gaïenne (que je compare avec la vision Sophianique des Mystères) ne peut être atteinte qu'au sein du cadre existant des croyances religieuses soutenues par des milliards de personnes sur toute la planète. Par exemple, la croyance en l'alliance d'Abraham avec Dieu pourrait être réinterprétée comme une ordonnance divine, pour l'espèce humaine, de pratiquer l'écologie, d'agir comme gardiens du monde naturel. Plus particulièrement dans le Christianisme, il existe une conviction croissante selon laquelle une sorte “d'éco-théologie” pourrait être extraite ou extrapolée de l'idéologie de la rédemption et des croyances qui lui sont afférentes. Dans la perspective d'une transition au nouveau millénaire vers une spiritualité Gaïenne, le premier numéro de la revue The Ecologist pour l'année 2000 portait le titre thématique: “L'Alliance Cosmique” avec comme sous-titre “La réintégration de la religion dans la Société, la Nature et le Cosmos”. Ce numéro contient des articles rédigés par des adhérents aux valeurs traditionnelles Judéo-Chrétiennes-Islamiques qui souhaiteraient mettre leur croyances en phase avec la perspective Gaïenne et les principes de l'écologie profonde. Il est par contre symptomatique qu'il ne contient aucun article de la plume d'un adepte de l'écologie profonde qui souhaiterait rejoindre ces religions.

Dans l'essai d'introduction de la collection intitulée “Deep Ecology and World Religions”, Roger S. Gottlieb affirme que l'écologie profonde “n'est pas un mouvement à l'extérieur des religions mondiales... L'écologie profonde et spirituelle se manifeste, plutôt, à l'intérieur de l'espace discursif, émotionnel, cognitif, et parfois même institutionnel, de ces mêmes religions mondiales”. Mais en est-il vraiment ainsi ou bien cette vision de l'écologie profonde n'est-elle pas un voeu pieu induit par une identification personnelle à des traditions religieuses qui ne peuvent être ni remises en question ni dépassées? La célébration du sacré du monde naturel peut-elle vraiment émerger des systèmes de croyances fondés sur les quatre composants du complexe du rédempteur? Gottlieb cite de nombreuses choses magnifiques que les gens tirent de leur appartenance aux traditions religieuses conventionnelles, dont le Bouddhisme, mais il ne prend jamais en considération la croyance Païenne dans la bonté innée de la nature humaine et il n'explicite jamais la ligne dure du programme rédemptionniste. Il n'est aucune mention de la Gnose ou des Mystères dans la collection d'essais compilée dans “Deep Ecology and World Religions”. La plupart des contributeurs arrivent à extraire des valeurs écologiques des traditions existantes mais Eric Katz qui écrit sur le “Judaïsme et l'écologie profonde” exprime “des doutes profonds quant à la possibilité que le Judaïsme puisse être appréhendé comme un allié de l'écologie profonde”. Cette honnêteté est une bouffée d'air pur en comparaison de cette mentalité de tromperie dont est imprégné le débat concernant la religion conventionnelle et l'écologie profonde, un débat qui ne met en valeur, bien sûr, que la religion conventionnelle.

Dans Gaïa and God, Rosemary Radford Reuther affirme carrément “qu'il n'existe pas d'éthique et de spiritualité d'orientation écologique dans les traditions passées”. L'affaire est close. L'occultation millénaire de la destruction du message Gnostique est parfaitement opérationnelle au Garret-Evangelical Theological Seminary d'Evanston dans l'Illinois, où Reuter enseigne. N'ayant pas accès à la connaissance de la vision Sophianique, les âmes troublées, et en quête, des trois religions Abrahamiques , le Judaïsme, le Christianisme et l'Islam, sont enclines à se tourner vers les versions alternatives de leurs propres traditions pour tenter d'y découvrir des voies de reconnaissance et de recouvrement de Sophia, la Sagesse Divine - au travers de la Kabbale, par exemple, dans le Judaïsme, ou au travers de l'épiphanie de l'Aimé(e) dans le Soufisme, la dimension ésotérique de l'Islam. Cependant, dans cette quête d'alternatives religieuses sur un terrain familier et sûr, l'option la plus radicale n'est que rarement prise en considération: à savoir la Gnose. Elle n'est pas une religion alternative, elle constitue plutôt une alternative à la religion même. C'est un chemin de connaissance directe, une voie au delà de la croyance. En tant que telle, la Gnose pourvoit la base expérimentale permettant d'approfondir la vision de l'écologie profonde. De par son contenu, reflété dans la matière authentiquement radicale découverte à Nag Hammadi, le Mythos de Sophia présente une narration sacrée au sujet de la Terre. L'histoire sacrée introduit une quête visionnaire par le biais de laquelle nous pourrions réussir à comprendre la mission de l'humanité dans les activités transhumaines de Gaïa. La maturité, en terme co-évolutifs, demanderait que nous, en tant qu'espèce, nous découvrions une “niche créative” dans la symbiose Gaïenne ainsi que Lynn Margulis l'a suggéré, en citant une expression proposée par l'environnementaliste pionnier Ian McHarg.

Ma finalité première en écrivant cet ouvrage est de montrer que la Gnose, considérée comme un chemin de mysticisme expérimental, et la vision Sophianique, considérée comme une histoire pour guider la co-évolution, peuvent fournir à l'écologie profonde sa dimension spirituelle indépendamment des trois religions conventionnelles dérivées de la tradition Abrahamique. Cette position pourra sembler, au premier abord, mesquine et peu généreuse mais sans doute pas tant que cela lorsque l'intégralité de cet ouvrage aura été lue. Pourquoi exclure la possibilité de réconciliation du type que Reuter et d'autres promeuvent si ardemment ? Pourquoi être aussi farouche quant à l'élimination de la foi rédemptionniste? Pourquoi ne pas plaider pour l'harmonie et l'intégration en lieu de l'opposition et de l'exclusion?

Parce que nous sommes tous les victimes de ce que l'idéologie rédemptionniste a fait endurer à l'espèce humaine et à la planète. Dans l'enchevêtrement de la relation victime/perpétrateur, les victimes cherchent typiquement à se réconcilier avec les perpétrateurs non seulement parce que la réconciliation soulage prétendument la douleur de l'injustice intolérable et du tort qui ont été perpétrés de façon malsaine et sans raison - tort qui ne peut jamais être réparé, même par Dieu - mais encore plus parce que l'esprit de réconciliation permet à la victime de se sentir fière, de recouvrer un minimum de dignité et de se positionner sur un terrain plus éthique que le perpétrateur. En bref, la réconciliation est un moyen fantastique de maintenir intacte cette relation. Cela fonctionne à tous les coups. Et les perpétrateurs en profitent constamment.

Si nous voulons éviter de rechuter dans le syndrome victime/perpétrateur, il ne peut y avoir aucune compromission avec ces perpétrateurs ou bien les croyances par l'entremise desquelles ils déguisent et mettent en place leurs agissements. La vision Sophianique de la Gnose est suffisante en soi et elle n'a pas besoin d'être légitimée par une association avec les croyances religieuses conventionnelles. Il n'est que trop facile d'oublier ce que des millions ont souffert, et continuent de souffrir aujourd'hui, au nom de la rédemption divine. La promesse d'une punition suprahumaine pour les injustice humaines a détruit le sens moral de quiconque s'y est attaché mais la blessure est si profonde que l'on ne peut pas en découvrir l'origine. Le manque de témoignages émanant de ceux qui ont perdu la bataille, lancée par l'armée du salut, nous rend aveugle à la nature réelle de cette bataille. Nous sommes habitués à frissonner à l'écoute des histoires de Chrétiens jetés en pâture aux lions mais le niveau de persécution du Christianisme primitif est dérisoire comparé à la persécution, par ces mêmes Chrétiens, des Païens, des Gnostiques et des Ecoles de Mystères. Le Second Traité du Grand Seth offre le témoignage vivant d'un révélateur Gnostique. Dans un passage, il présente le récit d'un perdant concernant la manière dont les vainqueurs agissaient et se comportaient:

“Nous étions haïs et exécutés non seulement par ceux qui sont incapables de nous comprendre mais aussi par ceux qui pensent qu'ils proclament le nom du Christos, bien qu'ils fussent involontairement vides, ignorants de qui ils sont, comme des animaux inconscients... Ils persécutèrent ceux qui avaient été libérés par moi même, qui suis un Révélateur, parce qu'ils haïssent ceux qui sont libres - ces gens haineux qui, s'ils pouvaient fermer leur bouche, pleureraient avec des grognements futiles parce qu'ils ne savent pas qui je suis.

Il servirent plutôt deux maîtres, et même une multitude. Et ils vaincront en toutes choses, dans les guerres et dans les batailles, dans la colère et la jalousie qui divise... ayant proclamé la doctrine d'un homme mort et des mensonges afin de ressembler à la liberté et à la pureté des initiés, notre assemblée sacrée.

Et s'unissant ainsi dans leurs doctrines de peur et d'esclavage, de contingences mondaines, et abandonnant la révérence, en étant mesquins et ignorants, ils ne peuvent embrasser la noblesse de la vérité car ils haïssent qui ils sont et ils adorent ce qu'ils ne sont pas” (58-61).

John Lash

Traduction de Dominique Guillet