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Révolution verte 2.0 pour l’Afrique?

Cette fois-ci, l’arme fatale

est dans les mains d’un tireur d’élite

Etc Group

Source: Etc Group.

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L’enjeu: Tout le monde veut relancer les sciences en Afrique, notamment en matière agricole. Chacun met de l’avant son projet pour le continent : réunion du G8 au Canada il y a cinq ans – où quatre membres s’engagent à bâtir de nouveaux centres d’excellence scientifique en Afrique –, Fondation Syngenta, GCRAI, Institut de la Terre de Jeffrey Sachs et maintenant Google, Gates et Rockefeller. Certes, les Africains méritent que l’on appuie leur lutte contre la faim, la maladie et les changements climatiques, mais les sciences et la technologie ne sont pas des armes fatales capables d’annihiler ces problèmes. Le G8 annoncerait pourtant à sa rencontre de juin en Allemagne un nouveau programme de recherche proposant une fois de plus des solutions scientifiques aux problèmes sociaux de la planète – et notamment de l’Afrique.

L’impact: Ce qui est proposé pour l’Afrique ne porte pas exclusivement sur l’alimentation et l’agriculture, mais on ne s’étonne pas de l’importance accordée à la sécurité alimentaire : le rendement agricole par habitant est en chute constante et la plupart des Africains marginalisés vivent en milieu rural. Les nouveaux engagements envers l’agriculture africaine sont à hauteur de 75 à 100 millions $ par année et d’autres fonds se profileraient à l’horizon. C’est maintenant seulement que les sherpas d’hier tentent (avec acharnement) d’inciter Sommet et Fondations à épouser ce qui deviendra, espèrent-ils, la révolution verte 2.0. Faute d’un plan structuré, les vrais bénéficiaires de cette deuxième révolution verte seront vraisemblablement les vétérans de la première, soit les auteurs des bourdes qu’il faut maintenant corriger. Même si on tente de le nier, la révolution verte 2.0 risque fort de se transformer en boom pour l’industrie biotechnologique et de sonner le glas de la résilience – et de la diversité – rurale en Afrique.

Les politiques: La dernière révolution verte a imposé des mégacentres scientifiques et une stratégie universelle de sélection des plantes aux antipodes de la réalité africaine. Mais la pire erreur des vétérans de la révolution verte fut de ne pas parler aux organisations d’agriculteurs et d’écarter leur savoir du revers de la main. Les agriculteurs africains usent de technologies subtiles pour sélectionner les cultures et le bétail en fonction des écosystèmes – et ils ont leurs propres réseaux de recherche. Pour vraiment améliorer les choses, il faut des projets de développement rural et agricole dirigés par les agriculteurs, fondés sur les systèmes existants qui fonctionnent. Il ne s’agit pas tant d’établir ce qu’on peut introduire en Afrique, mais bien ce qu’on peut renforcer dans les stratégies africaines résilientes en matière d’écosystèmes et de production alimentaire. Il faut des ressources et des technologies appropriées. Mais la science n’est pas une panacée contre les mauvaises politiques. Les problèmes agricoles de l’Afrique sont issus d’extrêmes distorsions économiques avivées par l’OMC, les institutions financières multilatérales et l’agroalimentaire multinational. L’Afrique a aussi de graves problèmes internes – ses dirigeants n’ont pas su investir en milieu rural, ni soutenir les agriculteurs.

Les forums:
L’agriculture et la biodiversité agricole sont d’actualité à la Banque mondiale, la FAO et dans les instances de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique – ils feront l’objet de plusieurs rencontres majeures au cours des 14 mois à venir. Ces appareils intergouvernementaux doivent reconnaître que les hommes et les femmes qui vivent de l’agriculture et de l’élevage à petite échelle et de la pêche artisanale doivent être les premiers architectes et les premiers acteurs du renforcement de la souveraineté alimentaire en Afrique.

La vieille garde ne se rend pas : Le triste constat des grands appareils intergouvernementaux en agriculture, c’est que la révolution verte des années 1960 et 1970 a juste effleuré l’Afrique. Au dire des critiques de la révolution verte, les Africains ont esquivé le tir de l’arme fatale. Les vétérans de la révolution verte des belles années de la guerre froide ont armé, visé, tiré… et raté la cible! Compte tenu de l’énorme investissement scientifique et financier réalisé en Afrique lors de la première révolution verte (voir le tableau à droite ), on se demande bien ce que les tireurs d’élite de cette seconde révolution verte prévoient faire autrement. Voici un aperçu des nouveaux projets concoctés pour l’Afrique.


Quoi de neuf? Cinq projets de la nouvelle révolution verte

1. Gates-Rockefeller – par l’AGRA? La révolution verte en Afrique a pris son essor (à grands renforts de publicité) en septembre dernier, quand la Fondation Bill et Melinda Gates s’est jointe à la Fondation Rockefeller pour annoncer un engagement initial de 150 millions $ en vue d’améliorer les semences et la distribution des semences en Afrique dans les cinq ans à venir. Gates avance 100 millions $ et Rockefeller augmente à 50 millions $ les fonds déjà consacrés aux semences en Afrique. En septembre 2007, les deux fondations vont annoncer une autre somme de 150 millions $ (ou quelque) pour l’amélioration des sols en Afrique. Gates et Rockefeller parlent d’un programme étalé sur 20 ans, en quatre phases quinquennales – laissant entrevoir la possibilité d’une augmentation spectaculaire des fonds investis sur cette période.  En baptisant leur coentreprise l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), les deux fondations ont envoyé un signal d’alarme à plusieurs organisations de la société civile et du monde agricole, dont Via Campesina, la plus importante organisation mondiale de paysans et de petits agriculteurs. En janvier 2007, une alliance de plus de 70 OSC et réseaux africains a condamné le nouveau plan de révolution verte au Forum social mondial de Nairobi.  Puis en février au Mali, le Forum de Nyéléni sur la souveraineté alimentaire a rejeté catégoriquement le projet d’AGRA.  Quand l’AGRA a embauché deux acteurs clés jadis associés à la division de biotechnologie de Monsanto,  c’est tout le mouvement altermondialiste qu’elle s’est mis à dos.

Compte tenu des sympathies de Bill Gates pour la chose technologique et des liens entre l’AGRA et Monsanto, plusieurs ont présumé d’instinct que le projet allait servir à imposer des semences génétiquement modifiées (GM) à l’Afrique, à son insu et contre sa volonté. Gates et Rockefeller disent qu’il n’en est rien. L’alliance Gates-Rockefeller consacrera 43 millions $ à la mise au point de 200 variétés végétales africaines non GM et 20 millions $ à l’amélioration de la recherche nationale en agriculture sur l’ensemble du continent. Se démarquant de la première révolution verte, l’AGRA versera 37 millions $ aux vendeurs (pour soutenir les négociants agricoles à l’échelle du village ou du district) et 24 millions $ aux acheteurs (pour permettre aux agriculteurs de se procurer les semences et intrants améliorés des vendeurs). Cela fait en tout 61 millions $ de subventions pour diffuser les nouvelles technologies. 26 millions $ de plus iront à un centre de contrôle et d’évaluation établi à Nairobi – ce qui porte le total à 150 millions $ pour le cycle semencier de la première phase.  

La portion sols de l’AGRA, lancée plus tard cette année, sera sans doute axée sur l’irrigation au goutte-à-goutte et l’accès à des engrais – cultivés localement et importés – pour l’agriculture à petite échelle. En ce moment, les agriculteurs africains n’utilisent à peu près pas d’engrais importés – d’où le faible rendement agricole si l’on en croit Gates et Rockefeller. Le personnel de Gates est formel : la révolution verte 2.0 sera accessible et conviviale. Des mauvaises langues font remarquer que les portes de Gates doivent alors être plus fiables que ses fenêtres – Windows en anglais. Ces chiffres comprennent une provision de quelque 10 millions $ pour travailler avec les organisations d’agriculteurs – l’Alliance assure qu’elle va reconnaître le rôle central des femmes en agriculture et leur donner la priorité.  Les bailleurs de fonds de l’AGRA sont persuadés que la première révolution verte a échoué parce que l’on n’a pas accordé assez d’importance au mécanisme de distribution des semences et produits agrochimiques. Cette fois-ci, on ne se contentera pas de fournir des semences de pointe, on bâtira toute l’infrastructure du marché. Cette fois-ci, l’arme fatale est dans les mains d’un tireur d’élite.  

Des scientifiques comme Melaku Worede, ex-directeur de la banque nationale de gènes d’Éthiopie et conseiller scientifique du programme Des semences pour vivre d’USC Canada, s’inquiètent que l’introduction de technologies exogènes inadéquates crée des dépendances et expose les gens au crédit – particulièrement les petits agriculteurs – en plus de balayer sur son passage la diversité génétique des cultures les plus vitales en Afrique. « Il faut miser sur les forces des agriculteurs, insiste-t-il. Nos travaux démontrent que les agriculteurs sont les meilleurs sélectionneurs et les meilleurs juges des nouveaux projets agricoles. » Le 29 mars à Ottawa, Melaku a participé à un forum public (La révolution verte : qui en profitera?) soulignant les failles du projet Gates-Rockefeller.

Participait aussi à cette soirée Assétou Founè Samaké, biogénéticienne de l’Université de Bamako au Mali et membre de la Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain (COPAGEN). Ce réseau ouest-africain lutte pour la souveraineté alimentaire et contre la dissémination des semences GM, et collabore avec les États en vue de contester les brevets sur les plantes et les gènes. Assétou assure l’auditoire que les agricultrices sont à la base du changement en Afrique. Les trois quarts des Africaines tirent leur subsistance de l’agriculture, précise-t-elle, et ce n’est pas juste une question de nombre. Leur profond savoir écologique est d’une importance vitale pour contrer la faim en Afrique.

2. G8 – agriculture écho-logique: Si l’AGRA concentre l’attention internationale sur la révolution verte en Afrique, c’est pourtant le Canada qui a vraiment mis les choses en branle quand il a reçu le Sommet du G8 en 2002. Le premier ministre (de l’époque) parvient à convaincre ses collègues d’établir le NEPAD (Nouveau  partenariat pour le développement de l’Afrique), avec l’engagement ferme – quoique vague – de renforcer les sciences agricoles. Dans les préparatifs du Sommet suivant en France, en juin 2003, le G8 accepte de bâtir quatre nouveaux centres d’excellence pour favoriser l’essor des sciences en Afrique. Le Canada promet de consacrer 30 millions $ au centre BECA (Biologie appliquée en Afrique centrale et de l’Est) à Nairobi.   Les Français acceptent de bâtir un centre de génématique au Sénégal; les Britanniques s’engagent à bâtir des laboratoires (largement mais non exclusivement liés à la génomique humaine) en Afrique du Sud; et les É.-U. prévoient bâtir un autre centre de recherche en Égypte. C’est le centre BECA du Canada qui est le plus avancé : on a investi 16 millions $ dans le béton et l’équipement de laboratoire; une bonne partie du reste est consacrée (assez mollement) à la création de réseaux régionaux. L’entretien annuel de l’édifice abritant BECA coûterait à lui seul 4 millions $.  Au départ, le Canada ne s’est pas engagé à fournir ces fonds.  De fait, le Canada a fait le tour des pays de l’OCDE et des fondations privées pour qu’ils aident à payer la note. Lors de l’annonce initiale du NEPAD par le Canada, la totalité de l’aide bilatérale à l’agriculture en Afrique ne faisait même pas 13 millions $! Les choses ont bien changé : on estime que le soutien bilatéral à l’agriculture en Afrique s’élevait à quelque 83 millions $ en 2005-2006.  Certaines des instances à qui on a demandé d’allonger des fonds pour maintenir le centre canadien en Afrique ont qualifié BECA de projet aberrant.   

Peut-être, mais l’aberration du Canada est contagieuse. Globalement, les pays du G8 sont sans doute en train de flamber 100 à 120 millions $ pour créer des centres de recherche en Afrique, et ce, sans le moindre plan structuré. ETC Group vient de visiter des centres de recherche en Afrique; cela saute aux yeux que les bailleurs de fonds et les divers centres de recherche font des pieds et des mains pour faire tourner les divers projets – ou du moins sauver les apparences.  L’Agence canadienne de développement international (ACDI) jubile (!) qu’un premier ministre d’il y a deux mandats lui ait confié la création d’un éléphant blanc en Afrique, alors que le premier ministre en place – qui se prépare au prochain Sommet du G8 en Allemagne et peut-être à des élections en juin – a bien d’autres chats à fouetter. De fait, des responsables de l’ACDI ont vraiment tenté de tempérer l’enthousiasme du bureau du premier ministre pour BECA.

Qui voulait de BECA au départ? Le gouvernement canadien prétend que c’est l’Afrique qui en a fait la demande. On construit pourtant le centre BECA sur le campus de l’Institut international de recherche sur le bétail (ILRI) à Nairobi. L’ILRI est l’un des 15 centres de recherche agricole internationale formant le Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (GCRAI), les maîtres d’œuvre de la première révolution verte – ratée – en Afrique. Environ huit mois avant l’annonce du projet BECA par le Canada, le directeur général de l’ILRI a écrit à la ministre responsable de l’ACDI pour lui demander 30 millions $ afin de remettre en état et améliorer les laboratoires de son centre à Nairobi.   Des mois plus tard, la proposition de l’ILRI a reçu l’appui d’un comité scientifique africain. Quand ETC Group a visité l’ILRI en janvier 2007, on livrait le nouvel équipement de laboratoire et on s’apprêtait à construire le centre BECA. C’est bien connu, les donateurs du Nord écoutent le Sud seulement quand il fait écho à leurs messages.

On prévoit maintenant qu’en juin, lors de sa rencontre à Heiligendamm, en Allemagne, le G8 lance un nouveau projet de recherche pour mettre les sciences et la technologie au service du développement de l’Afrique et de la lutte  contre les changements climatiques. Jusqu’ici, les négociations se font au niveau des sherpas, mais des sources internes estiment que le projet sera accepté par les chefs d’États et inauguré au Sommet. Compte tenu de l’engouement du G8 pour les changements climatiques et l’Afrique, on s’attend à ce que le projet porte une attention particulière à l’agriculture en Afrique.

3. Synergie Syngenta? Syngenta – l’une des premières semencières au monde – pourrait tirer parti de BECA. En 2004, la Fondation Syngenta (fondation privée, propriété exclusive de Syngenta Corporation en Suisse) a conclu un partenariat avec le Kenya en vue de construire une serre de niveau de biosécurité 2 pour la somme de 12 millions $ à l’Institut de recherche agricole du Kenya (KARI), lui aussi à Nairobi. À la fine pointe de la technologie, cette serre fait partie du projet IRMA (Maïs résistant aux insectes en Afrique) ayant pour but de mettre au point de nouvelles variétés de maïs en Afrique de l’Est – avec l’aide de Syngenta et d’un autre centre du GCRAI ayant récemment reçu des fonds de Gates-Rockefeller (voir le tableau à la page xx).  La serre GM du KARI se trouve juste à côté des nouveaux laboratoires de BECA.

4. Google – une révolution technomaniaque? Aux 30 millions $ du biolab de BECA à Nairobi s’ajoutent les 12 millions $ de la serre GM de Syngenta à Nairobi, puis les 26 millions $ du centre Gates-Rockefeller, toujours à Nairobi. Pour ne pas être en reste, la Fondation établie par Google (Google.org) s’allie au Fonds Acumen pour soutenir des projets au Kenya, en Tanzanie, en Afrique du Sud et en Égypte.   Lors du Sommet économique mondial de Davos en janvier 2007, Google aurait offert 300 millions $ à la Tanzanie pour financer son développement. On ne sait pas quelle proportion ira à la révolution verte 2.0, le cas échéant, mais il s’agit sans aucun doute de sommes substantielles (selon les interlocuteurs de Google).

5. Villages du millénaire – faut-il toute une planète pour élever un village? Entretemps, de retour au Canada où les choses ont commencé, la parlementaire canadienne Belinda Stronach (millionnaire elle-même) s’est convertie à la révolution verte 2.0 : elle se fait l’ardente partisane du projet de Villages du millénaire de Jeffrey Sachs, de l’Institut de la Terre à l’Université Columbia. Sachs a établi un programme modèle en vue d’assurer que 12 villages répartis dans 10 pays africains atteignent les Objectifs du millénaire pour le développement d’ici 2015. Il s’agit d’une stratégie de développement rural/villageois intégré – santé, éducation, infrastructure communautaire, agriculture et mise en marché agricole. L’un des maîtres d’œuvre des Objectifs du millénaire pour le développement et confident de l’ex-secrétaire général Kofi Annan, le gourou du développement du XXIe siècle Jeffrey Sachs utilise son pouvoir médiatique et politique pour forcer la main à des présidents africains et des donateurs de l’OCDE afin de transformer ces villages en histoires à succès. Les modèles de ce genre fonctionnent toujours – l’échec leur est strictement interdit – aussi longtemps que les caméras de télévision sont braquées sur eux. Sachs s’intéresse notamment aux semences et aux sols, et recherche clairement l’appui de technomaniaques comme Gates et Google. Même si le projet de 12 villages est censé coûter seulement 18 millions $ sur cinq ans, Sachs veut élargir l’expérience pour englober au moins 70 villages et leur région. Jusqu’ici, il a gagné l’appui de l’investisseur milliardaire George Soros, de Sumitomo Chemicals et du PNUD.   L’acolyte de Sachs dans ce projet est un Canadien qui, jusqu’à tout récemment, était directeur général d’un autre (!) institut du GCRAI à Nairobi.  Sachs et les autres intervenants du projet de Villages du millénaire misent beaucoup sur l’engagement pris par les chefs d’État africains lors du Sommet de l’engrais africain tenu l’an dernier au Nigeria.  Sachs et ses collègues sont d’avis qu’un apport d’engrais pourrait augmenter massivement le rendement agricole. D’autres croient plutôt que dans ce genre de projets, le gros des problèmes ne vient pas du PH dans le sol, mais bien du nombre de Ph. D. dans le projet. Les Villages du millénaire devraient peut-être se convertir au Sachs sans risque?

Au Canada, des politiques bien intentionnés comme Belinda Stronach pressent le gouvernement conservateur et la population canadienne d’endosser une autre révolution verte en appuyant l’élargissement des Villages du millénaire en Districts du millénaire, ce qui coûterait quelque 100 millions $ par année. Jusqu’ici, l’ACDI démontre peu d’enthousiasme.


Qu’est-ce qui cloche? Cinq questions en suspens:

1. Qui mène le jeu? La myriade de nouveaux projets – et l’incertitude qui les entoure – est étonnante. Mais cela dénote aussi le glissement vers la privatisation de l’aide étrangère et la fusion de l’État et du secteur privé. De nos jours, Bill Gates mène le jeu et l’État emboîte le pas. Tout dirigeant d’un organisme d’aide de l’OCDE rêve d’une séance de photo qui annonce sa coentreprise avec le mégamilliardaire. La saine planification gouvernementale – toujours aléatoire – a des vapeurs et des faiblesses dès que Bill et Melinda se pointent. Le bon côté des choses, c’est que les pays vont peut-être accorder plus d’importance à l’agriculture. Mais ils risquent aussi de s’empêtrer encore plus dans les armes fatales de la technologie de pointe et de la mégascience… juste comme ils se libéraient du GCRAI.  

Le secteur privé exerce aussi une influence croissante sur le GCRAI. Ce n’est pas tant que l’industrie agricole s’intéresse au GCRAI, c’est le GCRAI qui s’intéresse à l’industrie agricole. La cour assidue faite aux grandes sociétés par le GCRAI atteint des sommets gênants. Ainsi, le dirigeant de la Fondation Syngenta (d’abord comme représentant du gouvernement britannique puis de par ses fonctions actuelles) assiste aux réunions de gouvernance du GCRAI. Comme la Fondation Rockefeller. Mais il y a une différence. Au fil des décennies, la Fondation Rockefeller a graduellement diversifié son portefeuille d’actions, ce qui a dilué son lien avec les grandes pétrolières, alors que la Fondation Syngenta est l’extension flagrante de Syngenta Corporation, destinée à la servir et à préserver ses marchés. Syngenta Corporation est la deuxième société d’agrochimie au monde et la troisième semencière en importance. En injectant des sommes relativement modestes, les fondations privées peuvent détourner et rediriger des fonds publics beaucoup plus importants.

2. Qui profite de l’arme fatale? On redoute aussi de plus en plus que le GCRAI soit le principal bénéficiaire de tout cet argent consacré aux sciences. Le Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale fête ses 35 ans cette année. À titre de réseau de 15 centres de recherche agricole internationale, il a consacré au moins 40 % (et plus récemment 48 %) de son budget global à l’Afrique depuis vingt ans. Rappelons le contexte : le GCRAI est une créature des Fondations Rockefeller et Ford – les premiers maîtres d’œuvre de la révolution verte – qui se sont alliées à la Banque mondiale en 1972 pour élargir la révolution verte des années 1960. Le GCRAI a dépensé 150 à 200 millions $ par année (et prévoit dépenser 246 millions $ en 2007) pour la recherche sur la culture et le bétail en Afrique.   À l’origine, cinq des 15 centres du GCRAI étaient en Afrique et deux autres se consacraient exclusivement à l’Afrique. Plus récemment, on est passé de cinq à trois centres en Afrique, mais la plupart des centres du GCRAI sont aussi très actifs sur le continent.

Après 35 ans de piètres résultats en Afrique, les principaux donateurs du GCRAI – Banque mondiale, É.-U., Japon, UE et Canada – s’avisent que les mégacampus du GCRAI dans le monde ont mal saisi les objectifs du mouvement Slow Food et qu’ils contribuent au problème. Le GC doit donc se démener pour trouver du financement. Envolée la liberté des années ayant suivi l’attribution du prix Nobel de la paix à Norman Borlaug en 1970! Les subventions sont dorénavant liées à l’atteinte de résultats prescrits par les donateurs. Depuis quelques années, les 15 instituts soignent donc leur image pour solliciter fondations et entreprises privées. Dans le cadre de cette métamorphose, les instituts du GCRAI sont devenus des Centres des récoltes futures (Future Harvest Centers) et l’Institut international des ressources phytogénétiques (IPGRI) s’est revampé sous le nom aussi nouveau qu’universellement impopulaire de Biodiversity International. À courtiser des technomaniaques comme Gates et Google, on commence à chuchoter que le Centre international de la patate (au Pérou) se rebaptisera YouTuber et le Centre du maïs et du blé (au Mexique), MaïsSpace. Se pourrait-il que le CIAT en Colombie (voué aux variétés de haricots à rendement élevé) devienne HiPod? Et le site Web du GCRAI (sur ses 15 instituts), Faceplant?

 
3. Qui fixe les priorités? Tout cela est-il un vaste complot visant à inonder l’Afrique de semences GM? Les Africains ont raison de se méfier. Gates et Rockefeller sont bel et bien accros à la technologie et ils ont tous deux appuyé la recherche sur les cultures GM dans le Sud mondialisé. Tout récemment, la Fondation Gates a injecté 43 millions $ dans la nouvelle incarnation de la biotechnologie : la biologie synthétique (ou nanobiotechnologie). Il s’agit d’un projet à la fine pointe de la technologie, aussi coûteux que risqué, visant à modifier les voies métaboliques de microbes pour obtenir un composé antipaludéen puissant tiré d’une variété chinoise d’armoise odorante. Un investissement infiniment plus modeste pourrait pourtant renforcer les capacités actuelles des petits agriculteurs, en Afrique et ailleurs, afin qu’ils cultivent eux-mêmes l’armoise. Un rapport émis en 2006 par l’Institut royal tropical des Pays-Bas note qu’il est techniquement possible de cultiver assez d’armoise pour obtenir une quantité d’artémisinine permettant de traiter toutes les personnes atteintes de malaria dans le monde.  Le rapport de l’Institut ajoute une mise en garde : la production éventuelle d’artémisinine synthétique risque de déstabiliser le marché naissant de l’armoise naturelle, menaçant la sécurité des agriculteurs qui commencent tout juste à en cultiver. (Voir le rapport d’ETC Group, Extreme Genetic Engineering, janvier 2007.)

L’AGRA s’est cependant engagée par écrit à ne pas introduire de semences génétiquement modifiées en Afrique au cours des cinq ans à venir (le premier cycle de sa nouvelle révolution verte). Les dirigeants du projet ajoutent que leur introduction est peu probable au cours du deuxième cycle de cinq ans. De plus, Rockefeller-Gates confirment leur opposition à ce qu’on utilise la technologie Terminator (les semences-suicide) dans le Sud mondialisé.

Qu’en est-il du centre d’excellence BECA? L’ILRI et d’autres responsables s’évertuent à minimiser le potentiel de BECA pour la mise au point de cultures GM, arguant que même si BECA s’intéresse à la haute technologie, cela n’englobera sans doute pas le génie génétique… du moins au début. En vertu de la Loi sur l’accès à l’information, ETC Group a cependant obtenu copie de la note de synthèse à l’intention de la ministre responsable de l’ACDI au Canada en vue de sa rencontre avec le directeur général de l’ILRI – tenue tout juste quatre mois après que le Canada eût décidé de la création de BECA. « Comme la recherche sur les cultures génétiquement modifiées n’est qu’un des éléments de la recherche prévue pour le centre, prévient la note, il vaut mieux dans nos communications mettre l’accent sur des résultats éventuels moins controversés et plus avantageux… »  

Si l’entretien de BECA passe par l’obtention de contrats de recherche des secteurs public et privé, ses créateurs ne contrôleront pas forcément la façon dont le centre est utilisé.

Au bout du compte, rien n’est coulé dans le béton. Il n’y a aucune opposition de principe aux OGM – ni de la part du G8 en général ou du Canada en particulier, ni de celle de Gates et Rockefeller. N’oublions pas que le personnel embauché pour diriger l’AGRA vient de chez Monsanto. Et même si l’AGRA décide aujourd’hui de se tenir loin des cultures GM pour des motifs tactiques, Rockefeller et Gates continuent d’investir dans les cultures GM pour l’Afrique à l’extérieur de l’AGRA. Après tout, la Fondation Gates a fait des investissements massifs en 2005 dans le sorgho GM (16,9 millions $), le manioc bio GM (7,5 millions $) et les bananes GM enrichies de vitamines (3,9 millions $) pour l’Afrique avant l’AGRA.  Gates espère modifier génétiquement toute une série de vitamines et de traits nutritionnels pour faire du sorgho, du manioc ou de la banane LA superculture qui comblerait les besoins de l’Afrique. Même si la Fondation Rockefeller a une peur bleue de la mainmise du secteur privé sur la biotechnologie, elle s’intéresse quand même beaucoup à cette technologie. Après tout, c’est Rockefeller qui a investi des millions dans la mise au point avortée du riz GM Golden Rice – pour le céder ensuite gratuitement à Syngenta. (Pour plus d’information à ce sujet, voir Golden Rice and Trojan Trade Reps: A Case Study in the Public Sector’s Mismanagement of Intellectual Property, ETC Group, septembre/octobre 2000.)  

La propriété intellectuelle constitue elle aussi un enjeu crucial. L’agriculture de pointe est généralement synonyme de brevets et d’accords de licence à gros prix. L’AGRA aidera-t-elle les pays et les agriculteurs d’Afrique à lutter contre les règles sur les brevets de l’OMC et du gouvernement étatsunien – ou va-t-elle plutôt en faciliter l’application et inciter les pays à les accepter? En 2005-2006, Rockefeller a versé trois subventions totalisant près de 3,5 millions $ à la Fondation africaine de technologie agricole pour faciliter le transfert de technologies exclusives. Les représentants de Rockefeller se sont longtemps butés à des revendications de brevets odieuses sur les semences et les gènes. Plutôt que de se battre, ils ont cherché le moyen d’atténuer les choses et de faire avec la réglementation promue par les É.-U. en matière de brevets. Cela s’est parfois traduit par l’abdication devant des brevets n’ayant fait l’objet d’aucune demande en Afrique – et que les Africains ne sont pas du tout forcés d’accepter. Très peu croient que Rockefeller-Gates vont doter les agriculteurs des ressources qu’il faut pour résister aux brevets de l’industrie agroalimentaire. Ce qui est plus probable, c’est que l’AGRA les incite à abdiquer; adopte le rôle d’intermédiaire au-dessus de tout soupçon; rende temporairement tenable un système foncièrement mauvais; transforme un cheval donné en cheval de Troie.

4. Où est le cerveau? Qui tient les rênes de la révolution verte 2.0? Le dirigeant de la Fondation Syngenta siège aux comités du GCRAI, comme les agronomes de la Fondation Rockefeller. Ex-employé de la Fondation Rockefeller, le principal agent de programmes de l’AGRA connaît bien le GCRAI. Les employés canadiens de l’ACDI chargés de faire décoller le centre BECA sont les mêmes qui assurent la contribution du Canada au GCRAI. Le chef de piste du grand cirque agricole de Jeffrey Sachs est l’ex-directeur général d’un centre du GCRAI (dont le siège social est à Nairobi). En plus de la situation géographique – à Nairobi et au Kenya – ces projets ont en commun des liens très étroits avec certains instituts ou dirigeants passés et actuels du GCRAI. Même si ces projets émanent de sources différentes, il ne faut pas s’étonner que des gens qui se connaissent se soient trouvés et qu’ils essaient de mettre de l’ordre dans le chaos.

De l’extérieur, on présume que le leadership intellectuel vient de chez Rockefeller. Depuis quelques décennies, la Fondation Rockefeller a consacré au moins 600 millions $ à la recherche agricole et pris des engagements majeurs envers l’Afrique. Son ex-président a même écrit un livre qui appelle à une double révolution verte en Afrique et ailleurs dans le monde.

Selon des collègues de fondations sœurs, les bureaux de la Fondation Rockefeller sur Fifth Avenue à Manhattan avaient pourtant été pratiquement vidés à l’entrée en fonction du nouveau président. Programme emblématique de la Fondation depuis soixante ans, l’agriculture est devenue expansible jusqu’à l’appel de Gates qui voulait tirer parti de l’expertise de Rockefeller dans le domaine. Après une lobotomie autopratiquée, Rockefeller va tenter d’amasser plus d’argent pour l’agriculture dans les dix années à venir qu’elle en a eu pendant les 60 dernières!  

5. Où sont les agriculteurs? Si le leadership est absent, pourquoi ne pas faire confiance aux agriculteurs? Le GCRAI et le système agricole international ont tout essayé lors de la première révolution verte : aligner présidents et premiers ministres; bâtir labos et campus; inviter des scientifiques de renom avec un salaire idoine; étudier, analyser et rechercher. Ils ont vraiment tout fait… sauf écouter les agriculteurs et leurs organisations! L’échec cuisant de la première révolution verte est d’avoir ignoré que les agriculteurs sont eux aussi des scientifiques, qui se servent déjà de leurs champs comme terrain d’essai et comme laboratoire de recherche pour tester de nouvelles idées. On n’a pas du tout tenu compte du système de recherche hautement novateur des agriculteurs à petite échelle, des pasteurs et pêcheurs artisanaux.

Fin février, à la demande de Via Campesina, quelque 600 agriculteurs et leurs organisations se sont joints à des OSC vouées à l’agriculture et au développement rural pour discuter de souveraineté alimentaire au Mali – du principe selon lequel l’alimentation prime sur le commerce; selon lequel les personnes qui vivent de l’agriculture et l’élevage à petite échelle et de la pêche artisanale ont besoin de travailler ensemble, avec les consommateurs pauvres. Pleinement consciente des changements climatiques et des menaces que fait peser l’OMC, la Conférence sur la souveraineté alimentaire a non seulement condamné la révolution verte 2.0, elle a appelé à une révolution dirigée par les agriculteurs et les agricultrices. Ce serait toute une révolution, en effet!

La souveraineté alimentaire est le droit des peuples à une alimentation saine, dans le respect des cultures, produite à l’aide de méthodes durables et respectueuses de l’environnement, ainsi que leur droit à définir leurs propres systèmes alimentaires et agricoles. Elle place les producteurs, distributeurs et consommateurs des aliments au cœur des systèmes et politiques alimentaires en lieu et place des exigences des marchés et des transnationales.  

Diamantino Nhampossa, membre du Syndicat national des paysans (UNAC) au Mozambique et de Via Campesina en Afrique, était l’une des personnes à l’origine de la Conférence sur la souveraineté alimentaire au Mali. D’après lui, la révolution verte 2.0 constitue « une menace pour les paysans, les semences et les moyens de subsistance du continent. Plutôt que de reconnaître la mine de connaissances que gèrent les paysannes et les paysans depuis des millénaires, l’introduction de semences hybrides et de solutions technologiques va détériorer encore plus les systèmes de production proprement paysans. »

L’un des organisateurs du Forum social africain l’an dernier et du Sommet sur la souveraineté alimentaire cette année, Mamadou Goïta, voit aussi le besoin d’un leadership paysan. « Les scientifiques internationaux qui débarquent en Afrique n’ont pas l’air de se rendre compte que les agriculteurs sont organisés, ironise Goïta lors d’un séjour au Burkina Faso. Ils disent qu’ils adoreraient travailler avec eux, mais que c’est impossible parce qu’ils sont trop occupés et trop éparpillés. » Socioéconomiste et directeur général de l’Institut de recherche et de promotion des alternatives en développement (IRPAD) à Bamako, Mamadou Goïta est aussi à l’aise avec les scientifiques qu’avec les agriculteurs. « Les agriculteurs ont toujours été organisés à l’échelle de la communauté et ils sont de mieux en mieux organisés dans le cadre de leurs propres structures à l’échelle nationale. Dans des pays comme le Mali, les agriculteurs constituent une force réelle avec laquelle il faut compter. Il ne fait aucun doute que les agriculteurs n’acceptent plus de se soumettre à ce que d’autres estiment valable pour l’agriculture africaine. »

Révolution verte inc.: Assétou Founè Samaké, Momadou Goïta, Melaku Worede et Diamantino Nhampossa ont interpellé Gates, Rockefeller et le gouvernement canadien au sujet de leurs divers projets agricoles. Ils redoutent que la révolution verte 2.0 se transforme en révolution biotechnologique au profit de l’industrie agroalimentaire. Voici ce qui risque d’arriver si les parties concernées n’interviennent pas au plus tôt :

•    D’abord, on peut parier que le Canada sera forcé de laisser BECA abandonner sa fonction de centre de biosciences axé sur la région pour devenir – du moins en partie – un laboratoire de recherche utilisé par les experts en biotechnologie du GCRAI de toute l’Afrique. BECA est déjà ouvert à l’idée de collaborer avec des entreprises en biotechnologie et toute autre instance disposée à payer une partie des 4 millions $ requis pour son entretien. C’est à peu près la seule façon de poursuivre ses activités.

•    Ensuite, BECA et ses homologues au Sénégal, en Afrique du Sud et en Égypte vont s’unir à la Fondation Syngenta et à d’autres intérêts privés pour promouvoir la biotechnologie. N’oublions pas que les nouveaux labos de Nairobi sont juste à côté de la nouvelle serre GM de Syngenta.

•    Enfin, le projet pluriannuel de Gates-Rockefeller ne se limite pas aux semences et aux sols. Une grande partie des fonds est axée sur l’ordonnancement du fouillis de lois et règlements agricoles en Afrique en vue de faciliter la participation du secteur privé. De fait, au moins 37 millions $ du nouveau projet sont destinés à soutenir ou subventionner les semencières ou les négociants d’intrants agricoles africains afin qu’ils distribuent semences, pesticides et engrais aux agriculteurs. (En plus de tout le reste, Gates a versé 166 000 $ pour une étude sur la création d’une société semencière.) Autrement dit, pendant plusieurs années, Gates et Rockefeller useront de leur argent et de leur influence pour éliminer du côté du gouvernement et des infrastructures les obstacles (y compris les brevets?) qui ont compromis la rentabilité des activités de l’industrie agroalimentaire mondiale sur le continent. Une fois cette mission accomplie, l’industrie agroalimentaire disposera des établissements de recherche et du réseau de marchés GM dont elle a besoin – sans parler du soutien constant du système du GCRAI, toujours aussi impécunieux et bien disposé.

Finalement, les principaux bénéficiaires de tout cela vont être justement ceux que les États déçus et les fondations frustrées voulaient court-circuiter en premier lieu : les gens du GCRAI! Alors que le G8 se démène pour faire quelque chose d’utile avec ses nouveaux mégacentres d’excellence, les Fondations Rockefeller et Gates tenteront de garder la mainmise administrative sur leur argent. Tout le monde se tournera sans doute vers les vieux centres de la révolution verte qui savent dépenser et rédiger des rapports – ils ont eu 35 ans pour l’apprendre!

C’est tragique. Sans contredit, l’agriculture et le développement rural en Afrique ont besoin de beaucoup plus de soutien. Et on ne consacre pas trop d’argent au problème – il en faudrait encore plus. Mais ceux à qui l’on confie ces nouveaux fonds pour s’attaquer au problème sont ceux-là mêmes qui ont raté la cible quand l’Afrique était dans la mire de la première révolution verte.


Et maintenant? Cinq pas dans la bonne direction

Il faut de l’argent et des ressources pour réparer les dégâts causés par des siècles de colonisation et des décennies de libéralisation du commerce en Afrique. Les problèmes agricoles de l’Afrique sont issus d’extrêmes distorsions internationales du commerce et de l’économie avivées par l’OMC et l’agroalimentaire multinational. L’Afrique a aussi de graves problèmes internes – ses dirigeants n’ont pas su investir en milieu rural, ni soutenir les agriculteurs. La science n’est pas une panacée contre les mauvaises politiques. Même si les sciences et technologies peuvent contribuer à la souveraineté alimentaire de l’Afrique, elles ne sont qu’un des nombreux éléments d’une stratégie sociale beaucoup plus vaste.

ETC Group propose d’appliquer dans un premier temps les recommandations suivantes:

1.    Tout plan relatif à la souveraineté alimentaire en Afrique doit venir des Africaines et des Africains, notamment les personnes qui vivent de l’agriculture et l’élevage à petite échelle et de la pêche artisanale, et de leurs organisations. Les travaux du Forum de Nyéléni sur la souveraineté alimentaire constituent un point de départ important.

2.    Le G8 doit abandonner son projet de mégacentres d’excellence; l’argent investi dans le béton irait plutôt à un projet multilatéral cohérent, dirigé par les agriculteurs, en vue de soutenir la souveraineté alimentaire. Il faut éliminer l’éléphant blanc que constitue BECA à Nairobi et consacrer les fonds qui restent au renforcement de la souveraineté alimentaire sous la direction des agriculteurs de la région.  

3.    Après 35 ans, le travail réalisé par le GCRAI dans le monde – notamment en Afrique – doit faire l’objet d’une nouvelle étude externe dirigée par les agriculteurs. On y étudierait en profondeur des stratégies alternatives en vue d’assurer que l’argent éventuellement versé au budget annuel de 513 millions $ du GCRAI (estimation pour 2007) puisse servir à l’agriculture plutôt que d’être monopolisé par la recherche agricole menée dans ses centres internationaux. Un projet pour la souveraineté alimentaire dirigé par les agriculteurs d’Afrique pourrait utiliser ces fonds à meilleur escient.

4.    La FAO et les instances de la Convention sur la diversité biologique – qui collaborent déjà sur les questions relatives à la biodiversité agricole – doivent mettre sur pied un forum ouvert pour discuter ces divers projets avec les organisations d’agriculteurs en Afrique. Note : Même si on s’attend à ce genre de rôle de la part d’appareils qui travaillent au nom de l’humanité, l’ONU n’a pas su établir de rapports de confiance avec les organisations d’agriculteurs. La FAO et la CDB doivent saisir l’occasion pour s’engager à améliorer leurs rapports avec les petits producteurs alimentaires dans le monde.

5.    De plus, la FAO et la CDB doivent lancer un projet spécial en vue d’étudier la biodiversité agricole à la lumière des changements climatiques.

Évolution arc-en-ciel? L’idée d’une révolution agricole dirigée par les agriculteurs ne devrait pas faire bondir le G8 ou les fondations privées. Au début de tout ce cafouillage en 2002, dans la période précédant le Sommet du G8 au Canada, le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, a demandé au Conseil interacadémique (le réseau des conseils des sciences nationaux) de former un panel de haut niveau chargé d’émettre des conseils sur la nature et la structure d’un éventuel projet agricole d’envergure en Afrique. Le panel a émis un rapport détaillé qui rejette de façon explicite une autre révolution verte, prônant plutôt une série d’évolutions arc-en-ciel  (sans doute pour refléter pleinement toute la diversité des stratégies en Afrique) – et soulignant de façon explicite le rôle majeur qui revient aux organisations d’agriculteurs en Afrique.  Transmis au secrétaire général et au G8, le rapport a été financé par la Fondation Bill et Melinda Gates.

Les notes sont dans le PDF.