RechercAccueil - Contact
Chercher sur Liberterre
GaiaSophia Agriculture
Métahistoire Enthéogènes

Métahistoire

La Passion de la Terre

Troisième Partie

•> 17. La Fin du Patriarcat

ActualiTerres ReporTerres
LiberTerres Gaïagnostic
LivreTerres Boutique


Chapitre 17

Fin du Patriarcat

John Lash

Traduction de Dominique Guillet.

Le monothéisme commence avec un dieu qui hait les arbres.

“Vous détruirez tous les lieux où, dans les nations que vous posséderez, servent leurs dieux, sur les hautes montagnes, sur les collines, et sous tout arbre vert. Vous renverserez leurs autels, vous briserez leurs statues, vous brûlerez au feu leurs idoles, vous abattrez les images taillées de leurs dieux, et vous ferez disparaître leurs noms de ces lieux-là.” (Deutéronome, 12:2-3).

Le Démiurge de l'Ancien Testament est jaloux et il exige que nul autre dieu ne soit honoré en sa présence. Cette requête implique, logiquement, qu'il existe d'autres dieux, des divinités concurrentes. Ce sont les divinités Païennes qui animent toute la nature et qui se manifestent dans toutes sortes de créatures, dans les nuages et dans les rivières, dans les arbres et même dans les roches. Le monothéisme ne peut tolérer aucune de ces forces immanentes du monde sensible. Il dépouille la Terre de toutes ses divinités et il assujettit ses habitants à un souverain extraterrestre.

N'est-il pas étrange que la divinité biblique, qui revendique d'avoir créé le monde naturel, interdise à l'humanité d'honorer son oeuvre? Ce qui serait considéré comme relativement pervers, d'un point de vue humain, de la part d'un artiste d'exiger que l'on adore exclusivement sa propre personne, au lieu de son oeuvre, passe pour parfaitement normal avec ce dieu arrogant. Le tempérament capricieux et colérique de Yahvé trahit une insécurité profonde car, s'il faut en croire le mythe Gnostique, ce dieu est un fumiste, un imposteur violent et dément. Un érudit du Gnosticisme le décrit comme une brute renfrognée et maussade, encline à des accès de rage, qui “régente un gang de sbires angéliques, de gouverneurs (archontes)... et qui impose sa règle en tous lieux à la manière classique d'un tyran pathétique”. Le Démiurge, et sa légion de drones planétaires, constituent une parodie des Ecritures Juives mais cela n'est pas tout. A l'image de la métaphore de la Prison de Fer Noir évoquée par Philip K. Dick, les Archontes représentent la prise au piège métaphorique de l'esprit humain par ses illusions auto-créées.

“Le message d'un Dieu extraterrestre et d'une terre sujette au mal” fut attribué à tort aux Gnostiques par les idéologues Chrétiens qui adoptèrent le dieu Juif et qui imposèrent le culte du monothéisme. Il était hautement absurde d'accuser les Païens de haïr la chair, et de rejeter le monde sensoriel, mais l'accusation remplit parfaitement son rôle de distraire l'attention de l'attitude de haine envers la vie prônée par les accusateurs mêmes. Pour que cette ruse puisse perdurer, la divinité de la Terre, au coeur de la vision Gnostique du monde, devait être totalement reniée. Mais cela ne fut pas aussi facile d'éliminer la Déesse. Dans l'Ancien Testament, toutes les traces d'adoration pour la création de Jéhovah font référence, directement ou indirectement, à la Sagesse, à la Divine Sophia, qui est la nature déifiée. Cela inclut ce que l'on appelle la littérature sapientielle, ainsi nommé après la Déesse: sapientia est le mot Latin pour sagesse. Sapientia est également le trait distinctif d'Homo sapiens sapiens. Les Gnostiques enseignèrent que la sapience humaine, la sagesse unique à notre espèce, est corrompue par l'obéissance à un dieu imposteur, l'esprit de contre-façon, l'antimimon pneuma. La religion du dieu paternel extraterrestre brise la relation empathique de l'humanité avec la Terre, l'incarnation de Sophia, et c'est cette même religion qui a donné, à l'humanité du monde Occidental, son identité spirituelle et historique.

Asherah et Menorah

Le commandement de Dieu dans le Deutéronome était difficile à observer et lorsqu'il fut observé, il eut de terribles conséquences. Tout d'abord, il aliéna les anciens Juifs de leur voisins de Canaan, des adorateurs de la nature, et, qui plus est, de la communion avec le monde naturel. Evoquant la théologie anti-nature que le Christianisme hérita du Judaïsme, Paul Shepard observa que “l'assertion évangélique du nouveau Verbe ne fut pas destinée à adapter l'homme au monde mais à en garantir son aliénation... Alors que les mythes traditionnels avaient fait partie intégrante des grandes cybernétiques 'homme-nature-culture-divin', le nouveau mythe célébra le mystère de la finalité de Dieu et la discontinuité des événements.” Dès ses origines, le “nouveau mythe”, qui devait être manifesté historiquement, oeuvra à l'encontre de la relation de l'humanité avec la planète vivante et récusa la participation humaine dans la continuité cyclique de la nature. “Le mystère de la finalité de Dieu” exigeait la désacralisation des sites sacrés des peuples qui aimaient la nature, des arbres et des objets sacrés dans tout espace de verdure. Le déni de la beauté sensuelle du monde naturel, et de la puissance numineuse qui émane de la Déesse pour s'épancher dans le coeur humain, fut le commencement de la peur de Dieu. Le besoin de détruire tout ce qui émerge du sens Païen de la vie est du à “un instinct de peur qui a prévalu dans le Christianisme, de façon réellement criminelle, depuis le premier siècle jusqu'à nos jours” ainsi que l'observa D. H. Lawrence.

Les autels, les piliers et les idoles, condamnés par Yahvé, étaient placés dans les bosquets d'arbres. Le nom de la déesse Cananéenne Asteroth signifie “arbre sacré” mais cette traduction est redondante dans la mesure où tous les arbres étaient sacrés pour les peuples antiques de l'Europe et du Proche Orient. Les arbres étaient révérés comme divins avant que des images sculptées d'arbres fussent érigées pour être vénérées. Ce changement ne fut peut-être pas dû à une distanciation psychique, comme il pourrait être supposé, mais à une sensitivité environnementale dans la région de la Saharasie dans laquelle les forêts verdoyantes et les riches pâturages furent perdus à la suite d'un changement climatique catastrophique après 4000 avant EC. La condamnation de Yahvé fut-elle symptomatique d'une psychologie inversée? La disparition, en l'espace de quelques générations, de champs fertiles et de forêts somptueuses généra-t-elle un sens d'impuissance qui se traduisit par un désir vengeur de domination de la nature? “Je ne peux pas être le témoin impuissant de la destruction, par la nature, des bois et des prairies et je vais donc revendiquer mon propre pouvoir de détruire, agissant à la place de la nature”. Cela pourrait une explication plausible pour la “blessure primitive” qui mena à la fixation violente anti-nature de la religion patriarcale.

On retrouve plus de quarante fois le mot Hébraïque asherah dans les cinq premiers livres de la Bible, parfois pour indiquer “la présence cultique puissante de la divinité féminine appelée Asherah”, parfois pour indiquer les idoles en bois sculpté utilisées pour la représenter. Asteroth-Asherah-Astarte était originaire de la Palestine et du Proche-Orient mais elle appartenait à un vaste panthéon de divinités d'arbres que l'on trouve sur toute la planète: les tendres hamadryades de la mythologie Grecque, telle que Daphné le laurier; l'Isis Egyptienne qui est souvent représentée comme un tronc d'arbre bourgeonnant d'une abondance de rameaux feuillés; et les apsaras sensuelles aux yeux de biche de la mythologie Hindoue, dont la Reine Maya, la mère du Bouddha. Les asherah étaient maudites par Yahvé non pas parce qu'elles étaient sa bête noire mais en raison d'une haine pathologique visant les tréfonds de l'imagination humaine, là où la psyché est enracinée dans la nature. Lorsque les cultes de la Déesse furent supprimés, lorsque ses idoles furent mises à bas, lorsque ses bosquets feuillés furent dévastés, les Juifs inventèrent la menorah pour remplacer ce qu'ils avaient détruit. Le chandelier aux sept branches est une abstraction schématique émanant de la nature, une imitation spectrale d'une asherah, un arbre-sacré.

En termes Gnostiques, la duplication de la nature par le biais de formes sans vie est une caractéristique de HAL, la simulation Archontique. Dans la transition de la forme organique vers l'abstraction, toute une panoplie de valeurs est perdue alors que d'autres valeurs opposées à la vie organique sont adoptées comme si elles étaient identiques, ou même supérieures, aux valeurs perdues. C'est l'antimimon, la contre-imitation. La transition de l'asherah vers la menorah révèle comment le Mensonge s'insinue au plus profond de la psyché humaine. Jeffrey Burton Russell explique succinctement la notion Zoroastrienne du Mensonge, drugh:

“Le premier couple humain jouit de liberté et originellement, ils choisissent d'aimer et de servir Ohrmazd (Ahura Mazda, le Dieu Absolu). Mais Ahriman (le Mal Absolu) les induit en péché en utilisant à leur encontre l'essence même du péché: le Mensonge. Le mensonge est qu'Ahriman, et non pas Ohrmazd, a créé le monde et Mashye et Mashyana (les parents primordiaux) le croient”.

Pour les anciens Hébreux qui adoptèrent ce scénario, tout en le modifiant étrangement, le mensonge que Yahvé leur proféra est que lui, et non pas Sophia, avait créé le monde. Et ils le crurent. Mais la situation se compliqua parce que la mentalité Juive n'embrassa pas un tel concept du mal. En identifiant le bon dieu Ahura Mazda avec leur divinité tribale Yahvé, ils furent leurrés à identifier son oeuvre avec le mal. Cette polarité ne fonctionna jamais réellement dans la religion Juive. Elle était remise constamment en question par la psyché raciale mais elle était imposée par un petit nombre de radicaux écophobiques, tels que les scribes Yahvéistes qui édifièrent le programme apocalyptique des Zaddikim. Ayant suppuré dans la psyché Juive durant de nombreux siècles, la haine de la nature, parce que la nature est l'oeuvre du diable, refit surface, dans le Christianisme du Moyen Age, avec une terrible férocité. Cette tromperie dualiste était profondément insidieuse parce que le dieu tribal Juif ressemblait à Ahriman plus qu'à Ahura Mazda: les Juifs crurent qu'ils étaient un peuple juste élu par leur dieu pour s'opposer à un monde du mal alors qu'en réalité, ils étaient tourmentés par un complexe de dieu fondé sur un mensonge quant à la création du monde. Ce fut le cadre théologique parfait pour la schizophrénie. Et cela l'est encore.

Depuis ses origines, la religion Juive témoigna d'une inclination marquée pour la substitution Archontique et le processus de cooptation qui va de pair avec elle, comme nous le voyons dans la menorah. Lorsque le germe de la démence religieuse des Zaddikim se propagea comme une épidémie avec le Christianisme, les convertis à la nouvelle foi cooptèrent les images et les idées Païennes dans un esprit furieusement totalitaire de vertu, légitimé astucieusement par des idéologies tels que celles de Saint Augustin:

“Lorsque les temples, les idoles, les bois sacrés, etc... sont détruits avec la permission des autorités, bien que notre participation dans ce travail soit une preuve claire que nous n’adorons pas mais plutôt que nous abhorrons ces choses, nous devons, cependant, nous abstenir de nous les approprier pour notre profit personnel et privé; afin qu’il soit manifeste que cela n’est pas l’avarice qui nous pousse à les détruire mais la piété. Lorsque, néanmoins, les décombres de ces endroits sont récupérés au profit de la communauté, et consacrés au service de Dieu, ils sont considérées de la même façon que les hommes qui sont convertis de l’impiété et du sacrilège à la vraie religion.”

Le commandement de Yahvé dans le Deutéronome impulsa la politique de l'Eglise, et il en est de même encore aujourd'hui, bien que ce processus soit déguisé. Il a souvent été observé que le Christianisme est riche en imagerie graphique d'un type qui est interdit dans le Judaïsme. C'est parce que le rédemptionnisme, en Europe et dans les colonies Européennes, mit en esclavage l'imagination native, coopta la créativité indigène et obligea la population à fabriquer un décor religieux. Cependant, les peuples convertis résistèrent et conservèrent leur vie imaginative, en utilisant souvent l'art Chrétien pour déguiser leur vision indigène et leurs mémoires tribales. L'Islam fut une mutation plus tardive du virus idéologique des Zaddikim, mais sous une forme plus virulente qui attaque les facultés indigènes encore plus fortement, exactement de la manière dont les virus mutent pour vaincre les résistances immunitaires. Ainsi donc, la religion Islamique réinstitua le tabou à l'encontre de l'imagerie visuelle et força un retour à l'abstraction des formes naturelles, la marque principale de la mentalité Archontique.

La théorie Gnostique de l'erreur retrace précisément la transition de l'erreur vers le mal, et elle ne les confond pas. Drugh le “Mensonge” est une forme avancée d'erreur qui se transforme aisément en mal. La tromperie est une forme de mal même lorsque ceux qui la pratiquent le font dans l'erreur et l'aveuglement, sous l'influence de l'ignorance pure. Lorsqu'elle ridiculisa le Démiurge, Sophia l'appela Samaël, “l'Aveugle”. Dans la religion Zoroastrienne, drugh est opposé au principe de justice et de vérité, asha (et c'est d'ailleurs la racine du terme asherah. Le mot Anglais “truth” dérive de la racine archaïque dreu “arbre”, corrélé au terme Grec “dryade”, “nymphe des arbres” et au mot Celte “druide” pour le prêtre-shaman. La Vérité est une affaire d'arbres). Dès que les prêtres Hébreux adoptèrent le dualisme de source divisée durant la Captivité Babylonienne, ils formulèrent une version-maison du Zoroastrisme, mais une version à la tournure bizarre, comme nous l'avons déjà souligné. La contre-imitation est l'élément le plus crucial de la déviance bizarre qui se développa dans la religion Juive, et qui établit par là-même la fixation sur le dieu mâle.

Une Moralité de Modélisation

Le dieu paternel qui dicte les lois du vivant n'est pas un concept théologique. C'est plutôt une fixation mentale qui se manifeste automatiquement lorsque la réalité organique est cooptée sous forme de répliques sans vie ou, pour exprimer la même chose en d'autres mots, lorsqu'un concept enraciné dans l'expérience sensorielle est remplacé par une forme dénaturée de penser conçue pour exister dans un environnement abstrait ou trans-physique, extra-terrestre, plutôt que dans le monde naturel. Afin que la déesse Asteroth fût anéantie, il fallait que les arbres vivants fussent détruits et que ses rituels sacrés réalisés “dans tous les espaces verts” fussent prohibés. La forme organique de l'arbre fut ensuite dupliquée dans la menorah mais la menorah ne représente pas l'arbre. La transition de la forme organique vers la duplication introduit une valeur contraire à la réalité vivante qui a été ainsi déplacée. Barbara Walker souligne que la menorah, qui est souvent “décorée avec des symboles yoniques” rappelle l'arbre sacré aux sept branches qui se déploie vers le ciel nocturne et qui correspond aux Sept Soeurs, une constellation mentionnée dans la Bible (les Pléiades). Tout cela est loin de ce qui est symbolisé dans la liturgie Juive: la puissance de la divinité mâle monothéiste qui crée le monde en sept jours et qui se repose de son labeur. Sept, chez les Gnostiques, représentait le nombre des Archontes. L'Hebdomade était le domaine de Yaldabaoth, le dieu dément qui prétend, à tort, avoir créé le monde naturel. La menorah duplique un arbre mais remplace les valeurs de la nature et de la Divine Sophia, qui est la nature incarnée, par un autre système de valeurs anti-nature. C'est comme de modéliser mentalement la nature et d'imaginer ensuite que c'est le modèle dépourvu de vie, présent dans le mental, qui génère lui-même cette nature.


L'émergence du monothéisme Juif fut un événement immensément puissant dans l'expérience humaine mais non pas parce que le monothéisme était l'essence du vrai ou du bon ou du juste pour l'humanité. L'obsession avec le dieu mâle révèle la préférence pour la simulation, au lieu de la réalité, qui constitue le risque inné fondamental de déviation pour l'espèce humaine ainsi qu'en avertirent les Gnostiques. Nous courrons ce risque en raison de nos facultés exceptionnelles pour l'abstraction et la modélisation. Si elle n'est pas détectée et circonscrite, la préférence pour la duplication prendra la primauté dans l'activité cérébrale humaine, acquérant ainsi une vie propre. C'est cette préférence qui produit et qui confère le pouvoir au dieu créateur mâle dans l'imagination humaine. Yahvé-Yaldabaoth est le concept de dieu qui est le plus conforme à nos inclinations vers la simulation mentale. Nous sommes créés “en Son image” parce que nous percevons, dans la mono-déité, un reflet de nous-mêmes à l'apogée de nos puissances duplicatrices.

La duplication est réductrice à un degré infini parce que la modélisation abstraite tend automatiquement à générer des modèles de modèles de modèles, induisant ainsi l'illusion que tout ce qui existe peut se résumer à un modèle de base unique, une idée-idole suprême et exhaustive: le monothéisme. Dans le Mythos de Sophia, le système planétaire des Archontes est un “modèle d'échelle” de structures fractales dans le Plérome alors que la mécanique céleste n'est ni vivante, ni sensible et ni consciente tout au contraire du Plérome et de la Terre. Le pouvoir des formes inorganiques ne peut pas, nonobstant, être dénié. Tout ce qui est inorganique possède une force duplicatrice ou mimétique structurale immense, tel qu'on peut le voir dans la formation de cristaux tels que le quartz et l'os. L'architecture de la forme inorganique peut s'avérer magnifique mais elle ne génère pas d'expérience animée et sensible. De même, la contre-imitation, qui remplace la forme vivante par une abstraction, ne permet pas l'émergence de l'expérience vivante et consciente de soi mais elle entraîne l'humanité vers des comportements aveugles et zombies.

Yahvé est le dieu arrogant qui modélise la réalité (les Archontes imitant le Plérome) et qui impose un modèle artificiel de réalité à la place de l'épanouissement organique de la vie. La stratégie Archontique est de dupliquer et de dissimuler, afin que les répliques véhiculent des valeurs contraires à ce qu'elles ont copié. La menorah à l'image d'un arbre commémore un dieu qui hait les arbres. Le dieu mâle monothéiste est extrêmement implacable avec cette stratégie. Dans la narration de l'Ancien Testament, Yahvé ne se contente d'impulser les facultés imaginatives de son peuple vers l'abstraction - “Tu ne te feras point d’image taillée” - et il va encore plus loin, beaucoup plus loin. Il énonce la même exigence vis à vis de cette autre faculté qui est si cruciale pour la moralité et le choix: notre faculté de créer et raconter des histoires. Il exige que l'histoire soit un unique scénario dont Lui, qui se tient au-delà du monde, soit le seul auteur et exécutant. Plutôt qu'une histoire ouverte à l'apprentissage et à la découverte, enrichie par une co-évolution permanente avec l'environnement naturel, dans lequel l'expérience humaine se reflète, la divinité mâle impose un drame totalitaire dont le dénouement dépend d'une intervention surnaturelle. La duplication Archontique (en Copte HAL “simulation”) n'est pas une simple imitation mais un processus qui introduit des valeurs contraires à la vie. La contre-imitation du génie de création d'histoires, propre à l'humanité, donne au patriarcat son avantage suprême par rapport à l'évolution authentique et spontanée de notre espèce.

En quoi la narration sacrée Juive, dans l'Ancien Testament, diffère-t-elle des autres narrations tribales indigènes? Elle en diffère dramatiquement sous deux aspects. Tout d'abord, le schéma d'abus historique mis en place dans l'Ancien Testament est élevé au rang de “Plan Divin”, mais pas dans le même sens, disons, où les querelles parmi les dieux dans le mythe Grec seraient reflétées dans les conflits humains. Le mythe Païen possède toujours une valeur psychologique, et souvent une valeur ambivalente, qui pointe vers le conflit des instincts au sein de la nature humaine; cependant, la résolution du conflit est toujours à la portée de la capacité humaine. Dans le script directeur des anciens Hébreux, le courroux de Dieu et la peur du Seigneur placent le drame sur un autre niveau ne donnant la possibilité que d'une intervention extra-humaine et extra-terrestre. Ultimement, la violence historique est ancrée dans l'abus familial. Yahvé est la réification d'un complexe de père qui n'est, en aucun cas, unique à la culture Juive qui l'a engendré. Le père tyrannique et tourmenteur, qui est également celui qui juge et récompense, est l'agent primordial du patriarcat dans toutes les cultures. Le pouvoir du dieu paternel dans la psyché humaine est directement proportionnel au pouvoir de la figure paternelle dans une cellule familiale. La narration sacrée Juive est unique dans la mesure où elle fait du dysfonctionnement de la famille humaine la condition pour l'accomplissement le plus élevé du potentiel humain.

Il existe une seconde différence entre l'histoire sacrée Juive et les narrations Indigènes: le script directeur biblique concerne la distanciation de la nature et l'aliénation de notre humanité générique. Il est contraire à la forme universelle de la narration Indigène qui relate comment “le peuple” émerge de la nature, tout en y restant enraciné, un reflet de son environnement dans lequel il apprend à vivre en observant les lois organiques et en interagissant avec les autres espèces. Les lois de la vie, chez les anciens Hébreux, provinrent de l'extérieur du monde naturel, sous forme d'une moralité de modélisation dictée par une divinité supra-terrestre et distante. Tel est le caractère Archontique du code éthique Juif, reconnu largement comme le paradigme de l'ensemble de l'humanité. Le code est emballé avec une histoire qui est elle-même le produit d'une contre-imitation perverse: le script de la rédemption est à l'histoire de la co-évolution de l'humanité avec la nature (une narration Indigène authentique) ce que la menorah est à l'asherah.

Trahison de l'Humanité

La leçon la plus sévère de l'histoire est sans doute que la narration biblique de la rédemption ne conduit pas vers l'accomplissement le plus élevé du potentiel humain, mais à sa trahison. On pourrait dire qu'avec le patriarcat, l'humanité a été trahie par la figure paternelle. Mais le déni entourant cet acte de trahison est si profond qu'une solution phantasmatique dut être inventée pour éviter d'y faire face. (Rappelons-nous que Erich Fromm et D. H. Lawrence, tous deux, observèrent la tendance dans la religion Judéo-Chrétienne de concocter une solution phantasmatique pour pallier à l'échec de vivre à la hauteur des attentes inhumaines de Dieu). Dans un retournement pathologique, qui incombe à de nombreuses générations, l'expérience d'être trahi se rejoue dans l'acte d'auto-trahison. Le grand scénario de l'expérience religieuse en Occident présente l'auto-trahison de l'humanité, chapitre après chapitre, déguisé comme un processus d'expiation pour gagner l'amour d'un dieu paternel absent.

Le script directeur du monothéisme Judéo-Chrétien-Islamiste pousse à notre auto-trahison parce qu'il duplique la narration Indigène, l'histoire de co-évolution que nous pourrions réellement développer et vivre, et qu'il introduit insidieusement des valeurs anti-humaines et anti-naturelles à sa place. Le monothéisme Hébreux est souvent associé avec l'idéalisme éthique comme si la moralité de modélisation dictée par le dieu paternel garantissait le meilleur comportement possible sur Terre. Mais si la moralité est innée à l'espèce humaine, elle ne peut pas être commanditée de l'extérieur, ni imposée au travers de règles et de formulations venant de tout là-haut. D'un point de vue historique, le peuple Hébreux a été mis au carcan d'une mission bizarre contre lequel il a résisté de toutes ses forces. Si le bon vouloir du dieu paternel est respecté, il deviendra alors l'exemple suprême de la conscience, la minorité juste qui montrera comment vivre à la majorité. Israël sera dans la gloire devant toutes les nations. Cette prétention à la supériorité morale humaine est profondément enracinée et quasiment impossible à réfuter. Les Zaddikim l'ont porté à ses extrêmes les plus démentes. Le monde entier, et plus particulièrement le peuple Juif lui-même, a souffert atrocement de cette extravagance démente depuis deux mille ans.

Il n'est pas aisé d'appréhender les dynamiques de la contre-imitation mais il nous faut exposer le fonctionnement du processus si nous voulons le désamorcer. Même un historien culturel et un mythologiste aussi pertinent que William Irwin Thompson ne peut pas voir au-delà du stratagème Archontique du script de rédemption. Dans Transforming History, ouvrage dans lequel il décline un programme de scolarisation à la maison pour le futur, Thompson appelle l'Ancien Testament “un document clé dans l'évolution culturelle de la conscience” et affirme que “l'histoire est le medium au travers duquel le mental chemine vers sa destinée avec dieu”. L'affirmation, selon laquelle l'histoire biblique présente un modèle d'éducation morale pour l'humanité, a profondément modelé le cours de l'expérience humaine, est on ne peut plus correcte; mais l'a-t-elle fait pour le plus grand bien de l'humanité et de la planète? Si la moralité est quelque chose d'autre qu'une modélisation de comportement par des règles pré-déterminées, alors cette affirmation est erronée, dangereusement erronée. Les anciens Juifs n'ont pas découvert la conscience, la faculté de choisir ce qui est juste, ils introduisirent seulement un jeu de règles prétendant dicter ce qui est juste.

En évoquant les bioéthiques de l'écologie profonde, Arne Naess écrivit: “De même que nous n'avons pas besoin d'étique pour respirer, nous n'avons pas besoin d'exhortation morale pour faire preuve d'attention”. Lorsqu'elle est enracinée dans la nature, l'humanité n'a pas besoin de règles comportementales pré-établies à suivre mais lorsque nous sommes déracinés de la nature, nous sommes obligés à dupliquer de dont nous manquons. C'est là que le facteur Archontique subvertit le potentiel humain et que “le mental s'achemine vers sa destinée avec dieu”. Dévoiler et vaincre la duplication par la cooptation est sans doute le défi spirituel qui décidera de la destinée de l'humanité. C'est un dur challenge mais regardez bien l'alternative. Derrière la rhétorique, vieille comme Hérode, de “la destinée messianique qui veille à la fin de l'histoire” (Thompson de nouveau) se tapit la réalité du monde tel qu'il est aujourd'hui:

“La terreur de l'histoire repose dans la grande destruction qu'elle a forgée sur notre planète, et sur nos peuples, et dans la perversion de nos sensibilités religieuses naturelles vis à vis du lieu et de la source de Vie. Il nous reste la morne mentalité de l'être acquéreur, compétitif et contractuel dont l'essence est déterminée par le dénouement des situations. La pensée est consumée dans l'attente effrayée d'événements à venir, d'ennui quotidien et de rappel sentimental du passé. En tant qu'êtres historiques, nous avons été condamnés par notre histoire et, face à cela, nous sommes complètement impuissants”
Il n'est pas aisé de percevoir les leçons fondamentales de l'histoire parce que ce sont des leçons concernant l'histoire en elle-même plutôt que des leçons que nous pourrions en tirer. Pénétrer “la dynamique du pseudo-mythe, l'histoire”, telle que Paul Shepard l'a qualifiée, requiert bien évidemment beaucoup d'analyse textuelle approfondie. Mais plus crucialement, cela requiert une exploration profonde et détachée de la psyché humaine afin de percevoir comment la narration de la rédemption reflète les fonctionnements occultes de nos impulsions les plus narcissiques et les plus auto-destructrices.

Une des leçons les plus dégrisantes de ce processus est d'appréhender que l'histoire ne peut pas nous enseigner comment être humains; par contre, elle peut nous conditionner à accepter et à vivre l'inhumanité et c'est exactement ce qu'elle fait. Cette leçon est au coeur de la protestation Gnostique contre la narration rédemptrice Judéo-Chrétienne, le script directeur de la civilisation Occidentale. Les Gnostiques Levantins tentèrent de mettre en garde les humains, de leur époque et de leur environnement, quant au risque que l'humanité abandonne son héritage divin, renonce à son potentiel pour la co-évolution et trahisse son identité authentique, l'Anthropos. En bref, ils virent clair au plus profond des sources psychologiques de la culture de domination du patriarcat. “Les Gnostiques prirent conscience que la source réelle de la constriction des structures patriarcales reposaient dans le Démiurge”, ainsi que l'écrivit un érudit éclairé.

Le dieu qui hait les arbres est le père fondateur du patriarcat.

Complices du Mal

Depuis ses origines, le patriarcat a misé sur la narration de la rédemption pour fonder son programme de génocide, d'écocide, de répression sexuelle, d'abus d'enfants, de domination sociale et de contrôle spirituel. Ce script fonctionne merveilleusement pour le programme de domination parce qu'il a été expressément écrit pour lui. Comment une histoire d'amour, de pardon et de bienveillance divine peut-elle cautionner la perpétration du mal? Cela semble impossible et contraire à la raison jusqu'à ce que nous réalisions que l'histoire n'est pas ce qu'elle semble être. La narration de la rédemption de la Bible est une histoire de perpétration, conçue pour fonder et légitimer le programme de domination. Dans le Nouveau Testament, l'intention réelle de la narration est déguisée sous des adages banaux sur l'amour, la grace, le pardon, la charité et autres nobles principes.

Les grands idéaux religieux de l'humanité, exprimés dans la narration de la rédemption, ne sont pas les remèdes à la violence pathologique qui nous engouffre, ils en sont les complices. La pathologie tire son origine de ces idéaux. Ils la nourrissent et la légitiment. Ils l'encouragent et l'excusent. C'est sans doute la leçon la plus sévère et la plus amère que l'histoire puisse nous enseigner.

Ceux qui défendent leur foi argumentent communément que les crimes contre l'humanité, commis au nom de Yahvé ou de Dieu ou d'Allah, sont les actes “d'extrémistes” qui ne représentent pas les principes authentiques de l'amour, de la paix et de la tolérance enchâssés dans les croyances religieuses qu'ils invoquent. Quant aux extrémistes, ils soutiennent qu'ils sont les croyants authentiques, désireux d'agir en tout altruisme selon des principes divinement dictés. Où est la vérité dans tout cela? Les perpétrateurs qui invoquent une caution divine pour leurs actes sont-ils les représentants authentiques de leur foi, comme ils le prétendent, ou sont-ils des aberrations violentes hors norme, pour lesquelles les membres, non auteurs de perpétration, voudraient les faire passer?

L'histoire démontre que les idéaux religieux attachés à la narration de la rédemption ont été constamment utilisés pour légitimer la violence, le viol, le génocide et la destruction du monde naturel. Aujourd'hui, alors que j'écris ces lignes, la Terre est la proie d'une crise écologique due à une théologie anti-naturelle et elle est consumée par une violence et un terrorisme enracinés dans des causes religieuses. En Irak, ceux qui se suicident à la bombe massacrent leurs propres concitoyens quotidiennement, soit parce que ces derniers collaborent avec les forces d'occupation, soit parce qu'ils situent du mauvais côté d'une dispute médiévale concernant la succession de Mahomet. Le commandant en chef des forces d'occupation a admis ouvertement que le dieu paternel Chrétien guide ses décisions politiques, attribuant ainsi au plan de Dieu un programme fasciste qui inflige le meurtre et l'oppression à de très nombreux êtres humains au Proche Orient et ailleurs dans le monde. L'oeuvre des perpétrateurs est une double destruction: prendre la vie et ruiner la vie. S'ils ont la chance de ne pas se faire entraîner dans le grabuge, les Musulmans bons et décents, ainsi que leur vis à vis Chrétiens et Judaïstes, se tiennent sur la touche pour contempler ce qui est fait au nom de leurs croyances chéries. En fin de compte, ceux qui commettent et promeuvent la violence et le meurtre, dans l'expression de leurs croyances religieuses, ne sont, peut-être, qu'une fraction minuscule des fidèles, mais ce sont eux qui déterminent le cours des événements, qui modèlent l'histoire, qui influencent la société et qui mettent en péril toute la biosphère.

Comment se peut-il qu'une poignée d'individus aberrants, qui pervertissent les principes religieux qu'ils prétendent soutenir, aient une telle puissance prépondérante sur le monde?

Une explication pourrait être l'unanimité de la croyance. Même lorsqu'elles sont passivement soutenues et point mises en application par la plupart des croyants, les croyances religieuses peuvent inspirer et légitimer les actions extrémistes commises par la poignée de purs et durs. La croyance dans le châtiment divin, par exemple, fait partie du credo partagé par les Juifs, les Chrétiens et les Musulmans. De nombreuses personnes, bonnes et décentes, n'agissent pas cependant en fonction de cette croyance. Elles ne se font pas les instruments du pouvoir de Dieu d'infliger un châtiment. Quelques unes le font et les conséquences se font ressentir dans le monde entier. Les extrémistes religieux gagnent une mesure de pouvoir disproportionné grâce au consentement passif de ceux qui partagent leur système de croyance - et ce sont des milliards de croyants. Bien que de nombreux Chrétiens objectent à l'invocation de leur croyance pour légitimer la guerre et la politique, ils s'identifient cependant avec des croyances telle que la mission de la poignée de justes d'accomplir le plan de Dieu (seconde composante du complexe du rédempteur) et telle que le jour final du jugement lorsque Dieu corrige toutes choses (quatrième composante du complexe du rédempteur). L'unanimité de la croyance est une force liante qui confère une identité commune aux croyants afin qu'ils n'aient pas à faire face aux difficultés de la vie entièrement par eux-mêmes. De même, elle encourage une force aveugle de collusion qui implique tous les croyants dans les actions commises par des co-croyants, même si ces derniers ne constituent qu'une minuscule fraction des fidèles.

Il pourrait être objecté que l'interprétation des croyances que les personnes bonnes, et aspirant à la paix, soutiennent en commun avec les extrémistes, les met à part de ces derniers. Cependant, la force fondamentale de la religion ne repose pas dans ces interprétations. En réalité, les interprétations ne comptent que pour peu, bien qu'elles fournissent une couverture bien pratique pour se cacher derrière lorsque le sang coule au nom de Dieu. Une double dynamique est à l'oeuvre dans l'unanimité: l'identification avec les croyances et la participation à l'histoire en laquelle les croyances sont inscrites et codées. Les personnes non-extrémistes, et aspirant à la paix, trouvent leur identité dans les croyances mais elles n'incarnent pas le comportement destructeur qui pourrait être, et qui est souvent, attribué aux croyances qu'elles soutiennent. Elles adhèrent également à l'histoire qui enchâsse leur système de croyance mais elles l'intériorisent, la tenant pour un article de foi personnelle, qui ne doit pas être imposé à autrui. Les extrémistes qui commettent la violence, dans l'expression de leurs croyances, participent à l'histoire de leur foi d'une manière très différente. La violence sectaire et fondamentaliste émerge moins du fait d'agir en fonction de croyances que du fait d'incarner l'histoire en laquelle les croyances sont encodées.

Un Envoûtement Narratif

La puissance de l'histoire est ce qui transforme les croyants en extrémistes. Cela présente une situation excessivement dangereuse car l'envoûtement narratif de l'histoire de la rédemption peut emmener toute la race humaine vers un comportement dément et inhumain. Les êtres humains peuvent agir en opposition avec leur propre humanité s'ils suivent un script, concernant ce que cela signifie d'être humain, qui est erroné, illusoire et chargé de fausses espérances. Je suppose que c'est précisément ce que les Gnostiques perçurent dans la narration de la rédemption des premiers Chrétiens.

Les perpétrateurs citent souvent des passages des Ecritures pour justifier des actions telles que le suicide à la bombe ou l'invasion de l'Iraq mais ils sont impulsés, par-dessus tout, par la force dramatique de l'histoire qu'ils incarnent. De nos jours, différentes factions de la société sont en compétition pour voir laquelle peut réaliser l'histoire de fin de jeu de la manière la plus violente et la plus dramatique possible. Le pouvoir de l'unanimité favorise les extrémistes parce qu'ils suivent un script attribué à une source surhumaine: les croyants non-extrémistes ne peuvent remettre en question le script sans se dresser à l'encontre de l'autorité surhumaine, ce qu'ils ne sont pas, en tant que croyants, enclins ou capables de faire. Les gens normaux, tolérants et amoureux de la paix n'extériorisent pas l'histoire de leur foi d'une manière violente mais, cependant, ils sont complices de la violence intrinsèque à l'histoire. Les croyants tolérants (“modérés” dans le jargon des nouvelles tous les jours) se caractérisent pas une révérence pieuse pour l'histoire encodée dans leurs croyances religieuses ou par un simple attachement sentimental. Dans les deux cas, ils ne se sentent généralement pas contraints à vivre selon les injonctions qui informent le script. Néanmoins, la force de l'unanimité les impliquent dans une collusion avec ceux qui le font. Il y a une autre leçon sévère et amère à apprendre de l'histoire: à quel point les gens bons peuvent se rendre complices du mal en partageant le système des croyances des perpétrateurs. La croyance engage ceux qui croient et elle les engage de façon absolue.

Comprendre cette situation alarmante, c'est reconnaître ô combien il serait difficile que les choses soient autrement. Supposons que des personnes bonnes et décentes doivent affirmer la puissance de leurs convictions à l'encontre de la perversion de ces mêmes convictions par des extrémistes. Comment pourraient-elles le faire? La force de l'unanimité érige une situation par laquelle une poignée d'individus dominent tous les autres. A moins que les modérés s'opposent aux extrémistes d'une façon directe et dramatique, quasiment un à un, la dynamique ne pourra jamais changer. A moins que les modérés, et amoureux de la paix, prennent leurs responsabilités pour agir résolument à l'encontre des extrémistes, les perpétrateurs et les groupes de perpétration auront toujours le dessus. Ils gagneront un excès de pouvoir de la collusion passive de ceux qui partagent leur système de croyance. Cela explique comment le mal et les injustices peuvent prévaloir dans le monde quand bien même, à n'importe quel moment, il y a considérablement plus de personnes bonnes et décentes, agissant avec gentillesse et tolérance, qu'il y a de perpétrateurs.

Il n'existe pas de solution totalitaire à la violence. Il existe divers types et causes de violence de par le monde et toutes les perpétrations de la violence vues dans l'histoire ne peuvent pas être attribuées à ceux qui suivent la narration de la rédemption. Mais la violence qui a le plus profondément modelé le monde entier, infligé la plus grande intensité de souffrance humaine, nuit considérablement aux créatures non-humaines, et saccagé désastreusement l'environnement - cette violence est impulsée et cautionnée par le complexe du rédempteur. Ce serait déjà une victoire énorme pour le futur de désamorcer cette violence seule.

Le patriarcat, l'instrument historique primordial de la domination, utilise les croyances rédemptionnistes pour garantir l'unanimité mais, ainsi que l'anthropologue culturel René Girard l'observa, “la religion ne protège l'homme que tant que ses fondements ultimes ne sont pas dévoilés”. C'est une remarque étonnante mais qui nous fait nous demander: protéger l'homme de quoi? On pourrait penser que des idéaux élevés tels que la charité, la tolérance et le pardon, qui sont inscrits dans le script de la rédemption, servent à nous protéger de la violence. Mais Girard n'est pas d'accord et moi non plus. La religion protège les hommes de voir sa complicité dans la violence qui infecte les croyances religieuses. Ce n'est pas la violence unique qui prévale dans le monde mais c'est de loin la plus insidieuse, la plus létale et la plus généralisée.

Les perpétrateurs purs et durs diffèrent des croyants, non nuisibles, par leur manière fanatique de vivre l'histoire dans laquelle leurs croyances sont encodées. Les gens décents, bien-intentionnés et aimables n'ont pas besoin de l'incarner de façon agressive, cependant leurs vies sont dominées par ceux qui le font. Comment cette relation de collusion peut-elle être brisée? En exposant et en réfutant la démence des croyances rédemptionnistes, tel que le firent les Gnostiques. Et de manière plus cruciale, en brisant l'envoûtement narratif des dominateurs. Le refus d'adhérer à la narration de la rédemption pourrait être qualifié de désobéissance spirituelle à l'instar de la désobéissance civile de Thoreau et de Gandhi.

La meilleure façon de vaincre le patriarcat, c'est de défier sa narration auto-légitimante et de s'en désengager.

De nombreuses personnes de foi religieuse traditionnelle pourraient agir ainsi et cependant conserver leur foi dans les principes de l'amour, du pardon, de la charité, de la paix et de la tolérance. Est-il possible d'avoir foi en ces principes en eux-mêmes, indépendamment d'une narration de légitimation? Si ce n'est pas possible, le monde ne pourra pas être sauvé du rédemptionnisme. Cependant, en désavouant l'histoire tout en restant fidèles à leurs idéaux, les gens de bon coeur prouveraient que la religion peut être pratiquée sans collusion avec ceux qui en font un prétexte pour la domination. Se dissocier de la narration de la rédemption serait la voie la plus efficace, pour les personnes décentes et amoureuses de la paix, de mettre fin à leur complicité dans le programme des oppresseurs.